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10/05/2023 | FRANCE | N°22PA01267

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 10 mai 2023, 22PA01267


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D..., épouse A..., a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de l'année 2010 et, par un mémoire distinct, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° 2008374/1-1 du 9 février 2022 le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question p

rioritaire de constitutionnalité.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D..., épouse A..., a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de l'année 2010 et, par un mémoire distinct, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° 2008374/1-1 du 9 février 2022 le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 mars 2022 et le 19 octobre 2022 Mme D..., représentée par Me Mispelon, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2008374/1-1 du 9 février 2022 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de l'année 2010 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure de taxation d'office a été irrégulièrement mise en œuvre dès lors qu'aucune taxe sur la valeur ajoutée n'avait à être déclarée au titre de l'opération ayant donné lieu à la facture en litige ;

- la procédure d'imposition est irrégulière en ce que l'administration a violé le secret professionnel de l'avocat ;

- elle est irrégulière faute de lui avoir donné un délai suffisant entre la communication des pièces fondant l'imposition en litige et l'émission de l'avis de mise en recouvrement ;

- la mise en œuvre de l'article 283 du code général des impôts est sans incidence sur les règles relatives à l'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- les sommes versées sur le compte CARPA d'un avocat n'étant pas encaissables, la TVA en litige n'a pas été encaissée et n'était pas exigible au titre de l'année 2010 ;

- à titre subsidiaire, elle dispose d'un droit à compensation entre la taxe encaissée et celle acquittée sur les factures émises par les intermédiaires qu'elle a rémunérés.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 octobre 2022 le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 21 mars 2022, Mme D... demande à la Cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la décharge des impositions en litige :

1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales.

2°) de transmettre cette question au Conseil d'Etat.

Elle soutient que :

- l'article L. 10 du livre des procédures fiscales est applicable au litige ;

- cet article, en réservant l'obligation de remise de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié aux procédures de contrôle fiscal externe, porte atteinte au principe d'égalité devant la loi ;

- la question de la conformité de ces dispositions avec le principe constitutionnel d'égalité est sérieuse.

Par un mémoire, enregistré le 21 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme D....

Il soutient que la question posée est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code pénal ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Mispelon pour Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du contrôle sur pièces de son dossier pour l'année 2010, le service vérificateur a contrôlé l'activité d'avocate de Mme C... D..., épouse A..., et constaté que Mme D... avait facturé de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui a donné lieu à un rappel. Mme D... fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge du rappel de (TVA) auquel elle a été assujettie au titre de l'année 2010 et des pénalités correspondantes.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

3. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. Le quatrième alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de l'article 8 de la loi n° 87-502 du 9 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières dispose : " Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13 l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ". Il résulte de ces dispositions que les garanties de procédure contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ne peuvent être invoquées que par les contribuables ayant fait l'objet d'une vérification de comptabilité ou d'un examen d'ensemble de leur situation fiscale personnelle.

6. Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 9 juillet 1987 que le législateur, en adoptant la disposition dont la constitutionnalité est contestée au regard du principe d'égalité devant la loi, a entendu, dans le but d'améliorer les relations entre l'administration fiscale et les contribuables, légaliser une pratique que l'administration avait prescrite aux vérificateurs, préalablement à l'engagement d'une vérification de comptabilité ou d'une vérification approfondie de situation fiscale. Il était loisible au législateur, compétent pour définir les règles régissant le contrôle des impositions, de compléter les garanties offertes aux contribuables subissant ces opérations de contrôle sans étendre ces garanties supplémentaires aux contribuables faisant l'objet d'un contrôle sur pièces, qui sont dans une situation différente, eu égard aux modalités d'exécution des opérations de contrôle conduites pour ces différentes catégories de contribuables vérifiés et à leur objet.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par suite, de la transmettre au Conseil d'Etat

Sur les conclusions aux fins de décharge :

8. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : (...) 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes (...) ". L'administration a mis à la charge de Mme D... le rappel de taxe en litige par la procédure de taxation d'office, au motif que celle-ci n'avait procédé pour l'année 2010 à aucune déclaration de taxe alors qu'elle avait facturé le 28 septembre 2010 de la TVA pour un montant de 117 306 euros.

9. Pour soutenir qu'elle ne pouvait valablement faire l'objet d'une taxation d'office, Mme D... soutient qu'elle n'avait aucune déclaration à souscrire dès lors qu'elle n'a pas encaissé en 2010 le montant de cette taxe, ni des honoraires facturés, le paiement de la facture du 28 septembre 2010 étant intervenu sur un compte à la Caisse de règlements pécuniaires des avocats (CARPA) faisant obstacle à ce qu'elle appréhende les sommes.

10. Il résulte toutefois des dispositions du 3 de l'article 283 du code général des impôts que : " Toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture est redevable de la taxe du seul fait de sa facturation ". Ces dispositions, qui permettent d'appréhender la taxe sur la valeur ajoutée entre les mains de la personne qui l'a facturée, comme due de ce seul fait au Trésor et ce même dans l'hypothèse où il n'y a pas eu d'exécution d'une prestation ou encore lorsque le prix mentionné sur la facture ne doit pas être effectivement acquitté par l'acheteur, trouvent à s'appliquer, dans ces hypothèses, sans contrariété avec les dispositions de l'article 269 du code général des impôts relatives aux règles de principe de fait générateur et d'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, dès lors qu'il est constant que Mme D... a procédé, le 28 septembre 2010, à la facturation d'un montant de TVA de 117 306 euros dans une facture d'honoraires adressée à la SCI du 21 rue de Berri, elle était redevable de cette taxe qu'elle devait, par suite, déclarer. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que la procédure de taxation d'office pour défaut de déclaration aurait été irrégulièrement mise en œuvre.

11. En conséquence de ce qui précède, compte-tenu de la mise en œuvre régulière de cette procédure de taxation d'office, les moyens soulevés par Mme D... et relatifs aux garanties qu'elle pourrait revendiquer dans le cadre d'une procédure contradictoire dont elle n'a pas fait l'objet doivent être écartés comme inopérants.

12. Il résulte également ce qui est jugé au point 10 que Mme D... ne peut utilement soutenir qu'elle n'aurait pas appréhendé le montant de TVA de 117 306 euros en litige, et que par suite celle-ci ne serait pas exigible en 2010, pour demander la décharge du rappel en litige.

Sur les conclusions subsidiaires aux fins de compensation :

13. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. " L'article L. 205 du même livre dispose que : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. ". Les surtaxes et rectifications appelées à être compensées par application de ces dispositions doivent concerner un même contribuable, se rapporter à un même impôt et se rapporter à une même période d'imposition.

14. Mme D... soutient qu'elle a droit à une compensation entre le montant de 117 306 euros de taxe mis à sa charge et le montant total de 117 318 euros de taxe qui lui a été facturée au mois d'octobre 2010 par les trois intermédiaires qu'elle a rémunérés dans le cadre de la même opération immobilière que celle pour laquelle elle a émis la facture du 28 septembre 2010, à savoir l'achat par une société civile immobilière d'un immeuble situé à Paris. Il résulte toutefois de l'instruction qu'elle n'établit pas avoir procédé au paiement de la facture émise par l'un de ces intermédiaires, la SARL A... Bâtiment, et qu'en ce qui concerne les deux autres, elle n'établit pas, par la production d'une convention du 2 juillet 2010 relative à la répartition entre ces trois intermédiaires des honoraires rémunérant leur prestation d'intermédiation dans la transaction immobilière, ni par la production des factures émises par ceux-ci, qui ne comportent aucune description précise de la prestation facturée, que ces deux intermédiaires, dont il n'est au demeurant pas établi qu'ils seraient assujettis à la TVA, auraient rendu une quelconque prestation de service au profit de son activité d'avocat. Dans ces circonstances, faute d'établir son droit à déduction de la taxe afférente à ces factures, elle n'est donc pas fondée à solliciter la compensation entre le rappel de TVA mis à sa charge et la prétendue surtaxe dont elle aurait fait l'objet à raison de ces trois factures.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme D....

Article 2 : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction nationale des vérifications de situations fiscales.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Hamon, président assesseur,

- M. Aggiouri, premier conseiller,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2023.

La présidente-rapporteure,

P. B...L'assesseur le plus ancien,

K. AGGIOURI

La greffière,

C. BUOT La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA01267


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01267
Date de la décision : 10/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme HAMON
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : MISPELON

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-05-10;22pa01267 ?
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