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10/05/2023 | FRANCE | N°21PA02447

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 10 mai 2023, 21PA02447


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Crédit agricole a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés d'un montant de 8 906 182 euros en droits et pénalités, ainsi que la décharge des rappels de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés d'un montant de 739 214 euros en droits et pénalités, auxquels elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012.

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n jugement n° 1906619 du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Crédit agricole a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés d'un montant de 8 906 182 euros en droits et pénalités, ainsi que la décharge des rappels de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés d'un montant de 739 214 euros en droits et pénalités, auxquels elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012.

Par un jugement n° 1906619 du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé partiellement la SA Crédit agricole des impositions en litige à raison de la réduction des bases d'imposition correspondant aux provisions pour restructuration, mis la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 mai 2021 et le 27 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 1906619 du 14 janvier 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de rétablir les impositions dont la décharge a été prononcée par les premiers juges.

Il soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en renversant la charge de la preuve ; - la provision en litige trouvant son origine dans un évènement survenu après la clôture de l'exercice 2012 elle n'est pas déductible des résultats de cette exercice et cette charge doit être supportée sur un exercice suivant ;

- les charges provisionnées ne sont pas suffisamment probables à la clôture de l'exercice 2012 dès lors que l'approbation de la cession par les autorités réglementaires avant la clôture 2012 est incertaine, que les suppressions de poste doivent s'échelonner sur une période de transition divisée en quatre phases, dont la première est prévue à compter du 29 avril 2013, et qu'elles doivent être ajustées aux tâches restant à réaliser au cours des différentes phases ;

- le montant de la provision n'est pas suffisamment précis.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 octobre 2021 et le 27 janvier 2022, la SA Crédit Agricole, représentée par Me Vaysse, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 4 du jugement attaqué et de prononcer la décharge totale des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la provision pour restructuration qu'elle a constituée était justifiée à la clôture de l'exercice correspondant à l'année 2012 dès lors que des événements en cours rendaient probables les charges de restructuration ;

- la provision devait être rattachée à l'exercice 2012 en application des normes comptables ;

- elle a réintégré fiscalement la composante de la provision destinée à faire face au paiement d'indemnités de licenciement pour motif économique conformément aux dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts commentées au paragraphe n° 140 de la doctrine administrative référencée BIC-PROV-30-20-10-20-2012 publiée en date du 3 décembre 2012, opposable sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

- à titre incident, les premiers juges ont à tort considéré que la provision correspondant au frais d'intervention d'un cabinet de recrutement était surévaluée et donc insuffisamment précise.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Vaysse, avocat de la SA Crédit Agricole.

Considérant ce qui suit :

1. La société Crédit Agricole Cheuvreux, qui exerçait une activité de courtage avant son absorption par la société Kepler Capital Markets, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité sur la période allant du 1er janvier 2011 à la date de sa fusion à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause la déductibilité de la provision pour restructuration d'un montant de 24 963 763 euros constituée au titre de l'exercice se terminant le 31 décembre 2012. La SA Crédit Agricole, agissant en sa qualité de société mère du groupe d'intégration fiscale auquel appartient la société Crédit Agricole Cheuvreux sur l'exercice correspondant à l'année 2012, a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des impositions consécutives à cette opération de contrôle auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012. Par un jugement du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil a fait partiellement droit à sa demande. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la SA Crédit Agricole demande l'annulation de l'article 4 du jugement attaqué et la décharge totale des impositions en litige.

Sur l'appel principal :

2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / (...) 5º Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provisions et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées, à cette date, par l'entreprise.

3. Il résulte de l'instruction qu'au cours de l'année 2012, la société Crédit Agricole Corporate Investment Banking a décidé de se séparer de sa filiale Crédit Agricole Cheuvreux et s'est rapprochée de la société Kepler qui a manifesté son intérêt pour la reprise de cette filiale en mai 2012. Le 7 décembre 2012, la société Crédit Agricole Corporate Investment Banking a exercé son option de vente de la société Crédit Agricole Cheuvreux auprès de la société Kepler, sous condition suspensive d'autorisation des autorités de tutelles françaises et anglaises. Les négociations de rachat ont donné lieu à des négociations pour la conclusion d'un plan social s'inscrivant dans le cadre du rapprochement avec la société Kepler. Le 21 novembre 2012 un accord a été signé avec les organisations syndicales intitulé " accord relatif au projet portant sur la cession de la société Crédit Agricole Chevreux à la société Kepler ". Les salariés ont été informés le 4 décembre 2012 du projet de rapprochement entre les deux sociétés et de la restructuration subséquente et le comité d'entreprise de la société Crédit Agricole Cheuvreux a donné son avis sur cette réorganisation le 7 décembre 2012. Les documents relatifs à la mise en place du plan de sauvegarde de l'emploi ont ensuite été adressés à la direction régionale chargée du travail et de l'emploi le 12 décembre 2012. Toutefois, l'accord pour le rapprochement Kepler-Crédit Agricole Cheuvreux n'a été donné par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution que le 30 janvier 2013 et l'accord du régulateur anglais, le Financial Services Authority, a été donné le 26 avril 2013. La cession a eu lieu le 29 avril 2013 et la société Crédit Agricole Cheuvreux, renommée SA Chevreux en juillet 2013, a finalement été absorbée en décembre 2013.

4. Si la société soutient que sa filiale rencontrait des difficultés financières et que sa restructuration était nécessaire, il n'est aucunement établi que le plan de sauvegarde de l'emploi mis en place et lié à la cession de la société Crédit Agricole Chevreux à la société Kepler aurait été maintenu indépendamment de cette fusion. En conséquence, l'obligation pour la société Crédit Agricole Chevreux de mettre en œuvre le plan de sauvegarde de l'emploi trouve sa source dans la cession de la société à la société Kepler. Or, si certains événements étaient intervenus à la date de clôture des comptes de l'exercice 2012, notamment l'annonce du plan social, rendant probable les charges de restructuration, la fusion entre les deux sociétés était assortie d'une condition suspensive qui pouvait faire échouer l'opération de fusion. Ce n'est donc qu'à compter de la réalisation de cette condition, que la société Chevreux se trouvait irrévocablement engagée à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi et qu'ainsi la restructuration prenait le caractère d'un "événement en cours" rendant les charges de restructuration probables et de nature à justifier la constitution d'une provision en application des dispositions précitées du 1 de l'article 39 du code général des impôts. Or, il est constant qu'à la fin de l'exercice correspondant à l'année 2012, les autorités de régulation anglaises et françaises n'avaient pas donné leur accord à la fusion. Par suite, les charges correspondant à la restructuration attendue de la société Crédit agricole Chevreux ne se rattachaient pas à une opération déjà effectuée par la société à la clôture de l'exercice 2012 et la société ne pouvait les déduire de ses bénéfices au titre de l'exercice 2012 en application du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.

5. Par ailleurs, la société fait valoir que la provision pour restructuration litigieuse est justifiée sur le pan comptable, ce qui doit entraîner sa déductibilité dès lors qu'aucune règle propre au droit fiscal n'y fait obstacle. Elle se prévaut à cet égard d'un avis du Conseil national de la comptabilité n° 2000-01 sur les passifs. Cependant, le paragraphe 1.2 de cet avis énonce que les provisions pour risque et charge ont un caractère éventuel au titre de leur montant ou de leur échéance mais correspondent à une obligation probable ou certaine à la date de la clôture. Compte tenu en particulier de la nécessité d'obtenir l'accord des autorités de régulation, les obligations résultant de l'exécution de l'opération de restructuration ne peuvent en tout état de cause être regardés ni comme probable ni comme certaine à la clôture de l'exercice correspondant à l'année 2012.

6. Enfin, la société Crédit Agricole n'est pas fondée à se prévaloir en défense de la doctrine administrative référencée BOI-BIC-PROV-30-20-10-20-2012 (n° 140 et n° 80), publiée au bulletin officiel des finances publiques le 3 décembre 2012 qui ne donne pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il est ici fait application.

Sur l'appel incident :

7. Il suit de ce qui a été dit aux points 2 à 6 que la provision à l'origine du litige n'est pas déductible. La SA Crédit Agricole ne peut dès lors, par la voie de l'appel incident, réclamer un droit à déduction supérieur à celui reconnu à tort par les premiers juges.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a partiellement déchargé la SA Crédit Agricole des impositions en litige. Les impositions dont le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge partielle sont remises à la charge de la SA Crédit Agricole. Les conclusions d'appel incident de la SA Crédit Agricole et celles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er,2 et 3 du jugement n° 1906619 du 14 janvier 2021 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : Les impositions dont le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge partielle sont remises à la charge de la SA Crédit Agricole.

Article 3 : Les conclusions d'appel incident de la SA Crédit Agricole et celles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SA Crédit Agricole.

Copie en sera adressée à la direction des vérifications nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Jardin, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2023.

L'assesseur le plus ancien,

P. HAMON Le président- rapporteur,

C. A...

Le greffier,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21PA02447


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA02447
Date de la décision : 10/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: M. Claude JARDIN
Rapporteur public ?: Mme JURIN
Avocat(s) : PHILIPPE VAYSSE SAS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-05-10;21pa02447 ?
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