Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 mars 2019 par laquelle le ministre de la culture n'a pas renouvelé son contrat à durée déterminée, ensemble la décision implicite de rejet opposée à sa demande du 15 mars 2019 sollicitant le bénéfice d'un contrat à durée indéterminée.
Par un jugement n° 1911050 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de Mme B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 12 mai 2021, 28 avril et 14 juin 2022, la ministre de la culture demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1911050 du 11 mars 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement n'a pas été signé en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le jugement est irrégulier faute pour le tribunal d'avoir tenu compte de la note en délibéré produite le 23 février 2021.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- le tribunal s'est mépris sur la portée des pièces produites qui établissent que le non renouvellement du contrat de Mme B... était justifié par l'intérêt du service, à savoir la réorganisation de la direction de la direction de l'information et de la communication du ministère de la culture (DICOM) ;
- cette réorganisation, tendant au remplacement de métiers purement techniques comme ceux de webmestre par des métiers davantage tournés vers la communication web supposant des compétences éditoriales, a conduit à la disparition du besoin dans ces premiers métiers et par suite, à la suppression du poste occupé par Mme B... ;
- c'est par ailleurs et en tout état de cause à tort, à supposer que soit retenue l'absence de preuve de l'intérêt du service, que les premiers juges en ont déduit que le refus d'octroyer à Mme B... un contrat de travail à durée indéterminée en application de l'article 6 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 serait illégal.
Par quatre mémoires en défense dont le dernier n'a pas été communiqué, enregistrés le 17 décembre 2021, les 24 et 25 mai 2022 ainsi que le 27 février 2023, Mme B..., représentée par Me Crusoé, conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens qui y sont soulevés sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Perroy ;
- les conclusions de Mme Lorin, rapporteure publique désignée en application de l'article R. 222-24 du code de justice administrative ;
- et les observations de Me Crusoé pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Par contrat signé par le ministre de la culture le 9 avril 2013, Mme B... a été recrutée en qualité de chargée d'études au sein du service de la coordination des politiques culturelles et de l'innovation pour une durée de trois mois à compter du 1er mai 2013. Par contrat du 5 juillet 2013, Mme B... a été engagée pour une durée de deux mois dans le même service à compter du 1er septembre 2013. Puis, par trois contrats à durée déterminée, Mme B... a été engagée pour exercer, à la délégation de l'information et de la communication (DICOM) du ministère de la culture, les fonctions d'assistante webmaster du 10 février 2014 au 9 février 2015, de chef de projet multimédia du 14 février 2015 au 31 juillet 2015, et de webmestre et chef de projet multimédia du 1er août 2015 au 31 mai 2018, ce dernier contrat ayant été étendu jusqu'au 31 mai 2019. Par courrier du 15 mars 2019, Mme B... a demandé la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée. Par décision du 20 mars 2019, le ministre de la culture a refusé de renouveler son contrat. Mme B... a alors demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de cette décision, ensemble celle de la décision implicite lui refusant le bénéfice du contrat à durée indéterminée dont elle a sollicité la conclusion le 15 mars 2019. Par sa requête, la ministre de la culture demande à la Cour l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris ayant fait droit à la demande de Mme B..., ainsi que le rejet de cette demande.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " (...) la minute est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. La ministre de la culture soutient que la minute du jugement n'aurait pas été signée par la formation de jugement en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Il ressort toutefois des pièces du dossier de première instance transmis à la Cour que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures prévues par ces dispositions. Si l'expédition du jugement du tribunal administratif de Paris ne comporte pas ces signatures, cette circonstance n'est pas de nature à entacher la régularité du jugement attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative auraient été méconnues doit être écarté.
4. En second lieu, lorsque le juge administratif est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il lui appartient, dans tous les cas, d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.
5. La ministre de la culture soutient que les premiers juges n'ont pas tenu compte de sa note en délibéré qui, selon elle, établissait, par la production des organigrammes de la DICOM des 3 mai et 16 juillet 2019, que le poste occupé par Mme B... avait été supprimé. Il ressort toutefois de l'examen de cette note produite par la ministre le 23 février 2021, postérieurement au prononcé des conclusions du rapporteur public et avant la date de lecture du jugement, que les éléments précités ne constituaient ni une circonstance de fait dont elle ne pouvait faire état avant la clôture de l'instruction, ni une circonstance de droit nouvelle ou que le juge aurait dû relever d'office. Par suite, en se bornant à viser cette note en délibéré sans l'analyser ni prendre en compte son contenu, le tribunal n'a pas méconnu le caractère contradictoire de l'instruction.
Sur la légalité de la décision du 20 mars 2019 refusant à Mme B... le renouvellement de son contrat à durée déterminée :
6. Un agent public qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie ni d'un droit au renouvellement de son contrat ni, à plus forte raison, d'un droit au maintien de ses clauses si l'administration envisage de procéder à son renouvellement. Toutefois, l'administration ne peut légalement décider, au terme de son contrat, de ne pas le renouveler ou de proposer à l'agent, sans son accord, un nouveau contrat substantiellement différent du précédent, que pour un motif tiré de l'intérêt du service. Un tel motif s'apprécie au regard des besoins du service ou de considérations tenant à la personne de l'agent.
7. La ministre, qui ne se prévaut d'aucune considération tenant à la manière de servir de Mme B..., soutient que le refus de renouveler son contrat se justifie par la réorganisation de la DICOM initiée en 2017, laquelle implique une évolution de son pôle " internet et technologie " se traduisant par la substitution d'une mission de communication web, intégrant les compétences éditoriales et de communication, à une mission purement technique de webmestre. Cette réorganisation impliquait ainsi le recrutement de personnels formés dans le domaine de la communication internet et la disparition du besoin en profils purement techniques, conduisant à la suppression du poste occupé par Mme B....
8. La réorganisation dont fait état la ministre, que documente le procès-verbal du CHSCT du 4 avril 2017, mentionne toutefois que le but de la réorganisation de la DICOM consiste en la création d'un pôle " communication externe " élaborant les communiqués et les dossiers de presse, également en charge de fonctions de veille sur internet et d'alerte, avec au surplus le rattachement d'un community manager. Cette réorganisation était en revanche, selon les termes mêmes du procès-verbal, déjà effective à la date du CHSCT, et elle a consisté à scinder le pôle " éditions, internet et nouveaux médias " qui intégrait des profils techniques et des profils éditoriaux, en deux nouveaux pôles, à savoir un pôle " internet " et un pôle " rédaction et édition " aux fins de " placer sur le même niveau la technique et le contenu ". Ce procès-verbal ne rapporte ainsi pas la preuve que le projet de réorganisation de la DICOM impliquait la disparition du besoin en profils techniques de webmestre. Les allégations contradictoires de la ministre ne permettent par ailleurs pas d'établir que le poste de Mme B... aurait été supprimé. Elle se prévaut en effet, dans son mémoire introductif, de ce que l'organigramme du 16 juillet 2019 mentionnant comme seul webmestre M. A... démontre la suppression du poste dans la mesure où l'organigramme du 3 mars 2019 révèle qu'il exerçait déjà cette fonction, concomitamment à Mme B.... L'intimée a toutefois fait valoir qu'elle était la seule webmestre au sein du service et qu'ayant été placée en congé grossesse pathologique puis en congé maternité au cours de l'année 2018, elle a été remplacée par M. A..., qui a été maintenu en situation de tuilage à son retour en janvier 2019. Abandonnant sa présentation initiale, la ministre soutient alors en réplique, pour établir la suppression du poste de Mme B..., que M. A... a en réalité été recruté sur un poste différent de chargé de communication. Cette nouvelle allégation n'est toutefois pas davantage établie par la production d'un contrat engageant M. A... comme " chargé de communication " pour le seul mois de juillet 2018, alors que l'organigramme du 16 juillet 2019 mentionne le métier de " webmestre ", étant par ailleurs non contesté que M. A... n'avait aucun diplôme en communication. Enfin, si la ministre se prévaut également de l'existence de restrictions budgétaires et produit à cette fin la notification des plafonds d'emploi pour 2018 adressée le 17 mai 2018 par le secrétaire-général du ministère à la cheffe de la DICOM, les trois ETPT à supprimer dont elle fait mention l'ont été en 2018 et ne justifient donc pas que le non-renouvellement du contrat de Mme B... en 2019 résulterait de contraintes de gestion budgétaire et comptable. Eu égard aux éléments qui précèdent, qui font ressortir des inexactitudes, ainsi que des contradictions, entre les déclarations de la ministre et les documents qu'elle produit, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le non-renouvellement du contrat de Mme B... devait être regardé comme ayant été décidé pour des motifs étrangers à l'intérêt du service, seul invoqué par la ministre, et l'ont annulé.
Sur la légalité de la décision implicite de rejet opposée à la demande tendant au bénéfice d'un contrat à durée indéterminée :
9. Aux termes de l'article 6 bis de la loi du 11 janvier 1984 dans sa version applicable au litige : " Lorsque les contrats pris en application des articles 4 et 6 sont conclus pour une durée déterminée, cette durée est au maximum de trois ans. Ces contrats sont renouvelables par reconduction expresse dans la limite d'une durée maximale de six ans. (...) / Tout contrat conclu ou renouvelé en application des mêmes articles 4 et 6 avec un agent qui justifie d'une durée de services publics de six ans dans des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu, par une décision expresse, pour une durée indéterminée. / La durée de six ans mentionnée au quatrième alinéa du présent article est comptabilisée au titre de l'ensemble des services effectués dans des emplois occupés en application des articles 4, 6, 6 quater, 6 quinquies et 6 sexies. Elle doit avoir été accomplie dans sa totalité auprès du même département ministériel, de la même autorité publique ou du même établissement public. Pour l'appréciation de cette durée, les services accomplis à temps incomplet et à temps partiel sont assimilés à du temps complet. / Les services accomplis de manière discontinue sont pris en compte, sous réserve que la durée des interruptions entre deux contrats n'excède pas quatre mois. / Lorsqu'un agent atteint l'ancienneté mentionnée aux quatrième à sixième alinéas du présent article avant l'échéance de son contrat en cours, celui-ci est réputé être conclu à durée indéterminée. (...) ".
10. Si les premiers juges ont déduit de l'absence de justification, par la ministre, de l'intérêt du service, que le refus implicite de faire droit à la demande de Mme B... tendant au bénéfice des dispositions précitées était lui aussi illégal, la ministre fait valoir dans la présente instance que l'intéressée ne remplissait pas la condition d'ancienneté légale pour n'avoir été employée par ses services que 68,5 mois, soit moins que les 72 mois exigés par le texte précité. Ce seul motif suffisant à fonder le refus attaqué, il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a annulé la décision implicite refusant à Mme B... le bénéfice d'un contrat à durée indéterminée.
11. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la culture est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite rejetant la demande par laquelle Mme B... a sollicité, par courrier du 15 mars 2019, la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée.
Sur le surplus des conclusions de la requête :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante pour l'essentiel dans l'instance, une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1911050 du 11 mars 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il annule la décision implicite refusant à Mme B... le bénéfice d'un contrat à durée indéterminée.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la ministre de la culture.
Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Perroy, premier conseiller,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2023.
Le rapporteur,
G. PERROY
La présidente,
C. VRIGNON-VILLALBA
La greffière,
A. MAIGNAN
La République mande et ordonne à la ministre de la culture ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA0260102