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30/03/2023 | FRANCE | N°18PA04057

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 30 mars 2023, 18PA04057


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le parti politique Souveraineté, identité, libertés a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 24 juillet 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui attribuer la nuance politique " divers-droite ".

Par un jugement n° 1714545 du 30 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 décembre 2018, le parti politique Souveraineté, identité, libertés, représe

nté par Me Triomphe, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1714545 du 30 octobre 2018...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le parti politique Souveraineté, identité, libertés a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 24 juillet 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui attribuer la nuance politique " divers-droite ".

Par un jugement n° 1714545 du 30 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 décembre 2018, le parti politique Souveraineté, identité, libertés, représenté par Me Triomphe, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1714545 du 30 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 24 juillet 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui attribuer la nuance politique " divers-droite " ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente, dès lors que l'article 5 du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 qui la fonde est lui-même illégal en ce qu'il attribue à l'administration le pouvoir, par la définition des nuances politiques des partis et des candidats, de qualifier des partis politiques d'extrémistes sans que soient précisément définis les critères qu'il lui appartient d'appliquer à cette fin ;

- l'attribution de nuances politiques par l'administration relève d'une appréciation arbitraire et subjective d'ordre politique et méconnaît le principe de neutralité du service public ;

- l'attribution par les services du ministère de l'intérieur d'une nuance politique à une formation politique constitue une entrave à la liberté du débat démocratique et porte atteinte à la sincérité du scrutin ;

- l'attribution arbitraire de nuances politiques par l'administration porte atteinte à l'égalité entre les formations politiques selon qu'un parti bénéficie ou non d'une audience qui lui est propre ;

- à titre subsidiaire, la décision attaquée repose sur des faits matériellement inexacts et est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle lui attribue la nuance d'extrême-droite.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 avril 2019, après la mise en demeure prévue par l'article R. 612-3 du code de justice administrative, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Par ordonnance du 13 décembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 janvier 2020 à 12 heures.

Vu :

- la Constitution, notamment ses articles 3 et 4 ;

- la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;

- le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 relatif à la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " Application élection " et " Répertoire national des élus " ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de M. Doré, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 relatif à la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " Application élection " et " Répertoire national des élus " a mis en œuvre dans les services du ministère de l'intérieur (secrétariat général) et ceux des représentants de l'État dans les départements de métropole et d'Outre-mer, dans les collectivités d'Outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, deux traitements automatisés de données à caractère personnel concernant les candidats aux élections au suffrage universel et les mandats électoraux et fonctions électives que ces élections ont vocation à pourvoir. Le premier traitement, dénommé " Application élection ", comprend les données relatives aux candidatures enregistrées ainsi que les résultats obtenus par les candidats. Le second traitement, dénommé " Répertoire national des élus ", comprend les données relatives aux candidats proclamés élus. Le parti politique Souveraineté, identité, libertés ayant présenté 48 candidats aux élections des députés à l'Assemblée nationale des 11 et 18 juin 2017, les données relatives à ces candidatures ont été enregistrées dans l'application " élection " gérée par l'administration et, dans ce cadre, ces candidats se sont vu attribuer la nuance " extrême-droite ".

2. Par un courrier en date du 26 mai 2017, M. Karim Ouchikh, président du parti, a saisi le ministre de l'intérieur d'une demande tendant à ce que l'administration attribue à ses candidats la nuance " divers-droite ". Par une décision du 24 juillet 2017 le ministre de l'intérieur a refusé d'accéder à cette demande et a confirmé la nuance d'" extrême-droite " attribuée aux candidats soutenus par ledit parti aux élections législatives. Le parti Souveraineté, identité, libertés ayant saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d'annulation de cette décision, cette juridiction a rejeté cette demande par un jugement du 30 octobre 2018, dont le parti relève appel devant la Cour.

Sur la légalité de la décision litigieuse :

3. Aux termes de l'article 2 du décret du 9 décembre 2014 susvisé : " I. L'application élection enregistre les données relatives aux candidats aux scrutins suivants : (...) élections des députés, (...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Les traitements automatisés mentionnés à l'article 1er ont pour finalités : / 1° Le suivi des candidatures enregistrées et des mandats et fonctions exercés par les élus en vue de l'information du Parlement, du Gouvernement, des représentants de l'État mentionnés à l'article 1er et des citoyens ; / 2° La centralisation des résultats de chaque tour de scrutin, leur conservation et leur diffusion sous forme électronique ; / (...) ". Aux termes du I de l'article 5 de ce décret : " Les données à caractère personnel et informations enregistrées portant sur les personnes mentionnées à l'article 2 sont les suivantes : / (...) : / 4° Étiquette politique lorsqu'elle a été déclarée par le ou les candidats lors du dépôt de candidature et, le cas échéant, par le ou les remplaçants ; / 5° Étiquette politique lorsqu'elle a été déclarée par la liste ou le binôme des candidats lors du dépôt de candidature ; / 6° Nuance politique attribuée au candidat par l'administration ; / 7° Nuance politique attribuée à la liste ou au binôme de candidats par l'administration ; / (...) ".

4. Il résulte des dispositions précitées qu'elles habilitent, pour assurer la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " Application élection " et " Répertoire national des élus ", le ministre de l'intérieur à établir une " grille des nuances politiques " destinée à permettre l'agrégation des résultats des élections en vue de l'information des pouvoirs publics et des citoyens. Ainsi que l'a relevé la Commission nationale de l'informatique et des libertés, dans la délibération n° 2013-406 du 19 décembre 2013 rendue à propos des traitements automatisés précités, la nuance politique, qui est attribuée par l'administration, vise à placer tout candidat ou élu ainsi que toute liste sur une grille politique représentant les courants politiques et se distingue ainsi des étiquettes et des groupements politiques. Elle permet aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux sincères faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps.

- En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité :

5. Le parti politique requérant soutient que le principe d'égalité entre formations politiques est méconnu selon qu'elles disposent de leur nuance propre et ou qu'ils sont agrégés à une nuance générique.

6. L'objet de la " grille des nuances politiques " est de permettre l'agrégation des résultats des élections en vue de l'information des pouvoirs publics et des citoyens. Eu égard à cet objet, qui implique que la grille ne distingue qu'un nombre limité de nuances politiques, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu des résultats électoraux obtenus par les candidats se réclamant du parti Souveraineté, identité, libertés lors des élections passées et de l'appréciation qui pouvait être portée sur la représentativité de ce mouvement politique à la date de la décision attaquée, alors en outre que le parti politique requérant ne se trouve pas dans une situation identique à celle de partis, tels que " Debout la France " ou le " Front national ", eu égard notamment à leur audience politique respective qui justifie l'attribution d'une nuance politique individualisée. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté.

- En ce qui concerne l'illégalité, par voie d'exception, de l'article 5 du décret du 9 décembre 2014 :

7. Le parti politique requérant soutient que la décision attaquée a été prise par une autorité dépourvue de compétence à cette fin, dès lors que l'article 5 du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 qui la fonde est lui-même illégal en ce qu'il attribue à l'administration le pouvoir, par la définition des nuances politiques des partis et des candidats, de qualifier des partis politiques d'extrémistes sans que soient précisément définis les critères qu'il lui appartient d'appliquer à cette fin. Il soutient également que l'attribution de nuances politiques par l'administration relève ainsi d'une appréciation arbitraire et subjective d'ordre politique et méconnaît le principe de neutralité du service public, et que l'attribution par les services du ministère de l'intérieur d'une nuance politique à une formation politique constitue une entrave à la liberté du débat démocratique et porte atteinte à la sincérité du scrutin.

8. Les dispositions de l'article 5 du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014, qui sont seules critiquées par la voie de l'exception d'illégalité, n'ont pas pour effet, par elles-mêmes, d'autoriser le ministre de l'intérieur à attribuer arbitrairement à un parti politique une nuance politique susceptible de revêtir, aux termes de la requête, un caractère infamant en méconnaissance du principe de neutralité du service public, et ne peuvent pas davantage être regardées comme étant de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin et à la sincérité du débat démocratique. Dès lors, le parti politique requérant, qui ne soulève pas expressément l'illégalité de la décision ministérielle, à caractère réglementaire, ayant déterminé la grille des nuances politiques pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale des 11 et 18 juin 2017, ne peut utilement soutenir que la décision contestée du 24 juillet 2017 serait illégale comme fondée sur une disposition elle-même illégale.

- En ce qui concerne l'erreur manifeste d'appréciation, l'erreur de droit et l'inexactitude matérielle des faits dans l'attribution de la nuance " extrême-droite " au parti politique requérant :

9. Le parti politique requérant soutient que la décision attaquée est fondée sur des faits matériellement inexacts et est entachée d'erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que le ministre, qui a pris en l'espèce une décision arbitraire reposant sur des motifs et des critères entachés de subjectivité, ne pouvait se fonder sur aucun élément objectif pour lui attribuer la nuance d'" extrême-droite ".

10. Il ressort des pièces du dossier que, pour attribuer la nuance " extrême-droite " au parti politique Souveraineté, identité, libertés le ministre de l'intérieur s'est principalement fondé sur sa proximité avec le Front national, qui s'est notamment manifestée par son soutien à la candidature de Mme B... A... à l'élection présidentielle ou par la conclusions d'accords électoraux lors des scrutins municipaux, départementaux et régionaux, sans que puisse être regardé comme ayant été véritablement pris en considération le programme du parti requérant, pourtant présenté par le ministre lui-même comme relevant des " éléments objectifs " sur lesquels doit reposer son appréciation. Dans ces conditions, et alors qu'il n'appartient pas au parti en cause de justifier par lui-même de sa non-appartenance à la nuance politique qui lui a été attribuée et qu'il conteste, le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit.

11. Il résulte de ce qui précède que le parti politique Souveraineté, identité, libertés est fondé à soutenir que la décision litigieuse est illégale et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à son annulation. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation tant de ce jugement que de cette décision.

Sur les frais du litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État (ministère de l'intérieur et des Outre-mer) le versement au parti politique Souveraineté, identité, libertés d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1714545 du 30 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La décision du 24 juillet 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'attribuer la nuance politique " divers-droite " au parti Souveraineté, identité, libertés est annulée.

Article 3 : L'État (ministère de l'intérieur et des Outre-mer) versera au parti politique Souveraineté, identité, libertés une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au parti politique Souveraineté, identité, libertés et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 2 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeil, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mars 2023.

Le rapporteur,

S. C...Le président,

J. D...

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA04057


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA04057
Date de la décision : 30/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. FOMBEUR
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : TRIOMPHE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-03-30;18pa04057 ?
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