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17/03/2023 | FRANCE | N°22PA02326

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 17 mars 2023, 22PA02326


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 février 2022 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de 24 mois et l'a signalé aux fins de non-admission

dans l'espace Schengen.

Par un jugement n° 2204565 du 22 avril 2022, la magistrate dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 février 2022 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de 24 mois et l'a signalé aux fins de non-admission dans l'espace Schengen.

Par un jugement n° 2204565 du 22 avril 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 mai 2022, M. C..., représenté par Me Bernaille, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2204565 du 22 avril 2022 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler les arrêtés du 23 février 2022 du préfet de police ;

3°) d'enjoindre au préfet de police de lui restituer son passeport, sa carte d'identité serbe et son permis de conduire, dans le délai de cinq jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai :

- elle a été signée par une autorité incompétente ;

- elle lui a été irrégulièrement notifiée, en méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 63-1 du code de procédure pénale ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne le placement en rétention.

En ce qui concerne la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire :

- elle méconnaît les dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle a été signée par une autorité incompétente ;

- elle lui a été irrégulièrement notifiée, en méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 63-1 du code de procédure pénale ;

- elle est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 novembre 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. C... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;

- le règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;

- le règlement (UE) n° 610/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... ;

- et les observations de Me Bernaille, pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né le 1er octobre 1973 à Krusevac (Serbie), est entré en France, selon ses déclarations, le 19 février 2022. Par un arrêté du 23 février 2022, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a ordonné son placement en rétention administrative. Par un arrêté du même jour, le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de 24 mois et l'a signalé aux fins de non-admission dans l'espace Schengen. M. C... relève appel du jugement du

22 avril 2022 par lequel la magistrate déléguée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire Schengen.

En ce qui concerne l'ensemble des décisions :

2. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-00991 du 27 septembre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs, le préfet de police a donné délégation à Mme B... A..., attachée d'administration de l'Etat, pour signer tous actes, arrêtés et décisions nécessaires à l'exercice des missions de la direction de la police générale, parmis lesquelles figure la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés attaqués manque en fait et doit être écarté.

3. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " (..) 3. Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; (...) / e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience ". Et aux termes de l'article 63-1 du code de procédure pénale : " La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen du formulaire prévu au treizième alinéa (...) ".

4. M. C... ne saurait utilement invoquer ni les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions de l'article 63-1 du code de procédure pénale, qui ne sont pas applicables aux procédures administratives. Par ailleurs, la circonstance que le juge des libertés et de la détention a, le 25 février 2022, constaté l'irrégularité de la procédure et prononcé la mainlevée de la mesure de rétention, est sans influence sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur ce même territoire.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable à la date des décisions attaquées : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ". Et selon l'article L. 611-2 du même code : " L'étranger en provenance directe du territoire d'un des États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 peut se voir appliquer les 1° et 2° de l'article L. 611-1 lorsqu'il ne peut justifier être entré ou s'être maintenu sur le territoire métropolitain en se conformant aux stipulations (...) des paragraphes 1 et 2 de l'article 21 de cette même convention ".

6. Aux termes de l'article 21 de la convention d'application de l'accord de Schengen, dans sa version issue du règlement (UE) n° 265/2010 du Parlement européen et du Conseil du 25 mars 2010 et du règlement (UE) n° 610/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par un des Etats membres peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d'un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pour une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours sur le territoire des autres États membres, pour autant qu'ils remplissent les conditions d'entrée visées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c) et e), du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et qu'ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de l'Etat membre concerné (...) ". Aux termes du 1 de l'article 6 du règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016, qui s'est substitué à l'article 5 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 : " Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : / a) être en possession d'un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière (...) / c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants (...) / e) ne pas être considéré comme constituant une menace pour l'ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l'un des Etats (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que le comportement de M. C..., qui a été interpellé, le 21 février 2022, pour vol à l'étalage et usage illicite de stupéfiant, après avoir été déjà signalé pour usage de faux papiers, en 2008, et pour vol à l'étalage ou vol simple en 2012, 2013, et 2021, sous des identités différentes, caractérisait une menace pour l'ordre public au sens du e) de l'article 6 du règlement (UE) n° 2016/399 du 9 mars 2016. En outre, l'intéressé ne justifie pas de l'objet et des conditions de séjour, ni disposer de moyens de subsistances suffisants, tels que requis par le c) de ce même article. Par suite, à défaut pour lui de justifier qu'il est entré sur le territoire français en se conformant aux stipulations de l'article 21-1 de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, il entrait dans les prévisions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Par ailleurs, le moyen tiré de l'illégalité du placement en rétention est inopérant à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

9. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : " 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire dont il fait l'objet ; ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstances particulières, dans les cas suivant : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. (...) L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il (...) ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".

10. Ainsi qu'il a été dit au point 7, M. C... a été interpellé le 21 février 2022, pour vol à l'étalage, après avoir été déjà signalé pour usage de faux papiers, en 2008, et pour vol à l'étalage ou vol simple en 2012, 2013, et 2021, sous des identités différentes. Par ailleurs, il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente constituant son habitation principale. Il suit de là que le préfet pouvait, sans commettre ni erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation, décider de ne pas lui octroyer de délai de départ volontaire.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

11. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

12. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

13. En premier lieu, il ressort de l'examen de la décision attaquée qu'elle mentionne que M. C... a déclaré être entré en France depuis moins de trois jours, que son comportement, signalé à plusieurs reprises pour vol, constitue une menace pour l'ordre public, qu'il ne peut pas se prévaloir de liens anciens, forts et caractérisés avec la France et qu'il n'est pas portée une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale, Elle est, ce faisant, suffisamment motivée.

14. En second lieu, à supposer même que M. C... ait entendu soulever ce moyen, il ressort des pièces du dossier qu'il est sans ressources et sans hébergement stable et effectif en France, qu'il y est dépourvu d'attaches familiales, qu'il est arrivé récemment et qu'il a été interpellé pour des faits de vol à l'étalage. Dans ces conditions et en l'absence de circonstances humanitaires, le préfet a pu, sans entacher son arrêté d'une erreur d'appréciation, lui faire interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de vingt-quatre mois.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate déléguée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation doivent être rejetées de même que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Cécile Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Perroy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2023.

La rapporteure,

C. D...La présidente,

H. VINOT

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA02326 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02326
Date de la décision : 17/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : BERNAILLE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-03-17;22pa02326 ?
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