Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une décision n° 421061 du 14 décembre 2018, le Conseil d'État statuant au contentieux a rejeté la demande d'astreinte de la société MEI Partners à l'encontre de l'Etat en vue d'assurer l'exécution de l'obligation de supprimer les garanties financières octroyées par l'établissement public BPI France à la société Bpifrance Financement SA et a attribué au tribunal administratif de Paris le jugement du surplus des conclusions de la requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des actes de garantie dont a bénéficié la société Bpifrance Financement SA ainsi que les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le ministre sur le recours gracieux formé par la société MEI Partners.
Par un jugement n° 1823505 du 27 septembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de la société MEI Partners.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 12 novembre 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 6 avril 2022, la société Mei Partners, Me Jean-Marc Noël agissant en qualité de liquidateur judiciaire de cette société, M. C... A... et la Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux (EFRBI) représentés par Me Frölich, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement, en ce qu'il rejette les conclusions dirigées contre la décision implicite du ministre de l'économie refusant de récupérer les aides et intérêts résultant de l'exécution de garanties mises en œuvre en violation de l'obligation de notification de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;
2°) d'annuler cette décision implicite ;
3°) de prononcer une astreinte de 21 960 000 euros par jour à l'encontre de l'Etat s'il ne justifie pas avant le 26 janvier 2022 avoir procédé à la récupération des intérêts et des aides octroyées par les garanties illégales en cause ;
4°) de liquider l'astreinte pour un montant de 14 milliards d'euros à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir en fonction des justificatifs apportés par l'Etat ;
5°) d'ordonner la récupération des aides non notifiées pour un montant provisoire de 14 372 422 420 euros ;
6°) d'ordonner la récupération des intérêts non notifiées pour un montant provisoire de 360 713 132 euros ;
7°) de condamner l'Etat à leur payer une provision de 1 950 000 000, majorée de 10% en cas de non-paiement à compter du 4 juin 2022, à valoir sur l'indemnité de gestion d'affaire prévue par l'article 1301-2 du code civil ;
8°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors qu'ils disposent d'un intérêt à agir en trois composantes : les activités de la société MEI Partners entrent en concurrence avec celles de Bpifrance ; ils détiennent une créance sur l'Etat au titre de la gestion d'affaire ; ils bénéficient du statut protecteur de lanceur d'alerte pour avoir signalé des violations du droit de l'Union européenne ;
- M. A... et Me Frolich disposent de la qualité pour agir ;
- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal a donné accès à l'établissement public Bpifrance à l'ensemble de la procédure, cette erreur de procédure étant préjudiciable au secret des affaires ;
- le tribunal devait tirer les conséquences de ses propres conclusions et transposer les principes de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ; il a ainsi méconnu les articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;
- le tribunal a omis de qualifier la clause de successeur du garant selon les critères de l'article 107 paragraphe 1 du TFUE tendant à établir l'existence d'une aide ;
- c'est à tort que le tribunal a conclu à une absence d'aides d'État ;
- il ressort de la note des autorités françaises du 20 février 2019 que la Commission a ouvert une première phase d'enquête administrative et la plainte SA.46963 a été scindée en décembre 2018 pour ouvrir l'affaire SA.52275 ; le ministre n'apporte pas de décision de la Commission européenne indiquant que les garanties litigieuses ont été notifiées conformément à l'article 108 du TFUE et que celles-ci ne soulèvent pas d'objections de la part de la Commission européenne ; même en l'absence de toute décision des instances communautaires ordonnant la restitution des aides illégales, le ministre est tenu d'adopter les mesures propres à remédier à l'illégalité des aides ; le ministre doit également procéder au retrait d'une décision attribuant une subvention illégale sur le fondement de l'article L. 242-2 du code des relations entre le public et l'administration ; en conséquence de l'annulation de la décision implicite du ministre, la Cour est tenue d'adopter les mesures d'exécution tendant à la récupération des aides et des intérêts non notifiés, sous astreinte ;
- c'est avec mauvaise foi que le ministre affirme que la Communication de la Commission européenne du 20 juin 2008 trouverait à s'appliquer au lieu de la Communication concernant le secteur bancaire du 30 juillet 2013 alors que la société Bpifrance Financement est un établissement bancaire ; le tribunal a commis une erreur de qualification juridique en utilisant la Communication de la Commission européenne du
20 juin 2008 alors qu'il aurait dû examiner les conditions prévues par le point 59 de la Communication concernant le secteur bancaire du 30 juillet 2013 ;
- les conditions fixées au sous b) c) d) e) f) du point 59 de la communication du
30 juin 2013 de la Commission européenne ne sont pas respectées par les garanties octroyées par l'établissement industriel et commercial BPfrance à l'établissement bancaire Bpifrance financement SA ;
- la société Mei Partners et M. A... ont accompli une gestion d'affaire au sens de l'article 1301-2 du code civil dans le cadre qu'un quasi contrat de gestion d'affaires aux fins de récupération des aides d'Etat illégales et des intérêts ; ils sont fondés à demander à la Cour de condamner l'État à leur payer une provision de 1 950 000 000 euros à valoir sur l'indemnité définitive de gestion d'affaire, majorée de 10 % en cas de non-paiement à compter du 4 juin 2022 ; l'article R. 541-4 du code de justice administrative les autorisent à présenter une demande de provision à valoir sur l'indemnité de gestion d'affaire et des intérêts pour la période d'illégalité et découlant de la sommation d'huissier de justice du
9 juillet 2021 ; l'opposition à la gestion d'affaire du ministre dans son mémoire en défense est nulle et non avenue en vertu de la directive 2019/1937 et constitutive d'une forme de représailles au sens de l'article 21 de la directive ; en outre, M. B... n'a pas qualité pour s'opposer à la gestion d'affaire, seul le comptable public pouvant s'y opposer ; cette gestion d'affaire est utile pour combler un vide préjudiciable à l'application effective du droit de l'Union ; l'opposition du ministre a pour conséquence une limitation du droit des requérants à un recours effectif et de la protection juridictionnelle effective protégés par l'article 19 du TFUE et l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'article 19 de la directive 2019/1937 leur confère une protection contre les représailles exercées contre les revenus, tels que l'indemnité de l'article 1301-2 du code civil à laquelle ils ont droit, contre le silence gardé par l'administration à l'égard de leur demande de versement de ces revenus et contre l'application incorrecte de l'article R. 741-12 du code de justice administrative ; l'article 23 de la directive leur confère le droit d'obtenir des sanctions contre les représailles dont ils sont victimes, tout comme l'article 6 de la loi du
21 mars 2022 ;
- dans le cas où la résolution du litige l'exige, la Cour devra interroger la CJUE.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 mars 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est irrecevable faute d'intérêt à agir de la société requérante, que les conclusions tendant au versement d'une provision de 1 950 000 000 euros sont nouvelles en appel et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union ;
- le code civil ;
- la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. L'établissement public à caractère industriel et commercial Bpifrance, qui exerce une activité de financement en faveur du développement des très petites entreprises, des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, dispose à cette fin d'un établissement de crédit agréé, la société anonyme Bpifrance Financement, dont elle détient 50 % du capital à parité avec la Caisse des Dépôts et consignations. La société Bpifrance Financement procède à des émissions d'emprunts obligataires bénéficiant, de la part de Bpifrance, de la garantie autonome à première demande prévue par l'article 2321 du code civil. Estimant que ces garanties sont constitutives d'aides d'État au sens des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et qu'elles sont illégales dès lors qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une notification auprès de la Commission européenne, la société Mei Partners a demandé au ministre de l'économie et des finances, par un courrier du 26 mars 2018, de procéder à la récupération des aides illégalement versées. Du silence gardé pendant deux mois par le ministre est née une décision implicite de rejet le 26 mai 2018. Par une requête, enregistrée le 30 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Mei Partners a contesté cette décision et demandé le prononcé d'une astreinte de 21 960 000 euros par jour à compter du 28 mai 2018 en vue d'assurer la suppression des garanties financières octroyées par l'établissement public Bpifrance à la société Bpifrance Financement. Par une décision du 14 décembre 2018, le Conseil d'État statuant au contentieux a rejeté la demande d'astreinte de la société Mei Partners et attribué au tribunal administratif de Paris le jugement du surplus des conclusions la requête. Par un courrier du 28 décembre 2018, la société Mei Partners a introduit auprès du ministre de la justice une réclamation préalable indemnitaire tendant à l'indemnisation du préjudice résultant, selon elle, de la violation manifeste du droit de l'Union européenne par le Conseil d'État dans sa décision du 14 décembre 2018. Du silence gardé par l'administration pendant deux mois est née une décision implicite de rejet en date du 28 février 2019.
Le 31 décembre 2018, la société requérante a adressé une plainte n° SA.52275 à la Commission européenne relative à la méconnaissance des règles de la concurrence par l'État français. La société Mei Partners, Me Jean-Marc Noël agissant en qualité de liquidateur judiciaire de cette société, M. C... A... et la Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux (EFRBI) relèvent appel du jugement du 27 septembre 2021 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il rejette les conclusions dirigées contre la décision implicite du ministre de l'économie refusant de récupérer les aides et intérêts résultant de l'exécution de garanties mises en œuvre par Bpifrance.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les appelants soutiennent que le jugement attaqué est irrégulier en ce que le tribunal a donné à l'établissement public Bpifrance accès à l'ensemble de la procédure, cette erreur de procédure étant préjudiciable au secret des affaires. Toutefois, la requête a été communiquée à Bpifrance dès lors qu'elle contenait des conclusions à fin d'annulation des actes de cet établissement octroyant une garantie autonome à première demande à la société anonyme Bpifrance Financement. En outre, les appelants n'indiquent pas quelle atteinte au secret des affaires aurait été commise lors de l'instruction de l'affaire et n'allèguent pas avoir invoqué le secret des affaires pour que certaines pièces soient soustraites au contradictoire en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative. Par suite, aucune irrégularité de l'instruction n'entache le jugement attaqué.
Sur la fin de non-recevoir opposée aux conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite du ministre :
3. Pour justifier de leur intérêt à agir contre la décision implicite du ministre de l'économie refusant de récupérer les aides et intérêts résultant de l'exécution de garanties mises en œuvre par Bpifrance, les appelants font valoir, en premier lieu, que l'objet social de la société Mei Partners l'a conduite à soumettre des demandes de financement dans le cadre du projet Zerho par courrier du 2 mars 2011 adressé à l'ADEME et par l'intermédiaire d'une filiale, la société Efinovia SA, par demande du 4 mars 2015 adressée au Commissariat général de l'investissement, et que la société Mei Partners ainsi que la Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux (EFRBI) en cours de formation et appelée à lui succéder, entrent nécessairement en concurrence avec un opérateur tel que Bpifrance. Toutefois, il ne résulte pas de l'objet social de la société Mei Partners, qui porte selon elle, sur la création, la gestion, l'exploitation de fonds d'investissement se rapportant à des projets concourant notamment au " développement de la compétitivité et de la croissance des entreprises, ainsi qu'aux enjeux de politiques publiques ", qu'elle exercerait une activité de distribution et de soutien au crédit des petites et moyennes entreprises par la voie d'émissions obligataires. Par suite, elle ne saurait se prévaloir d'une situation de concurrente de Bpifrance.
4. En deuxième lieu, les requérants ne sauraient utilement se prévaloir d'une créance sur l'Etat que détiendrait la société Mei Partners au titre d'une prétendue gestion d'affaire, exercée par le biais de ses actions contentieuses et de sa plainte auprès de la Commission européenne en vue de la récupération d'aides d'Etat illégales, ni d'un enrichissement sans cause de l'Etat qui en résulterait, dès lors qu'en tout état de cause, ils ne justifient pas du succès de ces actions.
5. En troisième lieu, à supposer que M. A... puisse être regardé comme un lanceur d'alerte, au sens de la directive susvisée 2019/1937 et de la loi du 21 mars 2022 prise pour sa transposition, pour avoir dénoncé des violations du droit de l'Union européenne, aucune des dispositions qu'il invoque, en particulier celles qui instaurent une protection des lanceurs d'alerte contre les représailles, ne lui confère, contrairement à ce qu'il prétend, un intérêt à agir " né et actuel " contre une décision du ministre refusant de récupérer des aides dont il n'est pas établi qu'elles seraient illégales et qu'elles devraient faire l'objet de la part de l'Etat français d'une récupération auprès des bénéficiaires.
6. Il en résulte, et sans qu'il soit besoin de poser de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que la société Mei Partners et autres ne justifient pas d'un intérêt à agir contre la décision implicite du ministre de l'économie refusant de récupérer des aides d'Etat et des intérêts y afférant. Les conclusions de la requête tendant à ce que la Cour ordonne la récupération de ces aides et des intérêts non notifiées à la Commission européenne, prononce une astreinte à l'encontre de l'Etat s'il ne justifie pas avoir procédé à cette récupération et la liquidation de cette astreinte, ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au versement d'une provision :
7. La société Mei Partners et autres demandent à la Cour de condamner l'Etat à leur verser une provision à valoir sur la créance qu'ils détiendraient sur l'Etat au titre d'une gestion d'affaires, prévue par l'article 1301-2 du code civil, consistant à réclamer pour son compte le reversement des aides d'Etat illégales. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 4, en tout état de cause, ils ne justifient pas du succès de l'action intentée auprès de la Commission européenne en vue de la récupération des aides d'Etat, ni de l'existence d'un enrichissement sans cause de ce dernier. Il en résulte, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à ces conclusions, qu'elles ne peuvent qu'être rejetées.
8. Il résulte de tout ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.
Sur les frais de l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse aux appelants la somme qu'ils demandent au titre des frais de l'instance.
Sur l'amende pour recours abusif :
10. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".
11. La requête de M. A... qui reprend à l'identique les conclusions et moyens développés par ce dernier en son nom ou celui de sa société Mei Partners dans de très nombreuses instances devant les tribunaux administratifs, la Cour de céans et le Conseil d'Etat, présente un caractère abusif. Il y a lieu de le condamner à payer une amende de 1 500 euros sur le fondement des dispositions précitées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Mei Partners et autres est rejetée.
Article 2 : M. A... est condamné à payer une amende de 1 500 euros pour recours abusif.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mei Partners, à Me Jean-Marc Noël, à M. C... A..., à la Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux (EFRBI), au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de la justice et à l'établissement public Bpifrance.
Délibéré après l'audience du 15 février 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2023.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
N° 21PA05797 2