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03/03/2023 | FRANCE | N°22PA01217

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 03 mars 2023, 22PA01217


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision du 18 juin 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre de la campagne de mobilité du premier semestre 2021 des mutations des greffiers des services judiciaires, a refusé de faire droit à sa demande de mutation sur un des quatre postes proposés dans le ressort de la cour d'appel de Fort-de-France.

Par un jugement n° 2100284 du 20 janvier 2022, le tribunal administratif de


Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision du 18 juin 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre de la campagne de mobilité du premier semestre 2021 des mutations des greffiers des services judiciaires, a refusé de faire droit à sa demande de mutation sur un des quatre postes proposés dans le ressort de la cour d'appel de Fort-de-France.

Par un jugement n° 2100284 du 20 janvier 2022, le tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 15 mars et le 27 novembre 2022, Mme B..., représentée par Me Royanez, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 janvier 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 18 juin 2021 ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de réexaminer, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sa candidature à un poste vacant de greffier au tribunal judiciaire de Fort-de-France ou à la Cour d'appel de Fort-de-France en considération des critères de priorité légale et notamment de la localisation du centre de ses intérêts matériels et moraux de chaque candidat retenu, de leur situation médicale et de leur situation familiale ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 300 000 francs CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article 60 de la loi du

11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dès lors que bénéficiant de la reconnaissance du statut de travailleur handicapé et possédant le centre de ses intérêts matériels et moraux en Martinique, elle relève des priorités définies par cet article pour bénéficier d'une affectation sur ce territoire ;

- la décision attaquée en retenant un critère de 3 ans de durée minimale d'affectation méconnaît les articles 8 et 11 du décret du 29 novembre 2019 dès lors que ce critère impératif contenu dans les lignes directrices ne correspond pas à une orientation générale au titre du bon fonctionnement du service et ne peut être appliqué sans arrêté sur un territoire soumis à des règles différentes de celles de métropole ;

- le critère subsidiaire a été appliqué en lieu et place des critères de priorité légale ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation, les agents ayant bénéficié d'une mutation à Fort-de-France sur l'un des postes qu'elle sollicitait ne disposant pas d'une priorité statutaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;

- le décret n° 2016-1969 du 28 décembre 2016 ;

- le décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 19 juin 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice,

Mme Bonvel, greffière des services judiciaires depuis 2013, alors en poste à Fort-de-France en Martinique, collectivité dont elle est originaire, a été mutée, sur sa demande, en

Nouvelle-Calédonie à compter du 1er septembre 2019, pour une durée de deux ans renouvelable une seule fois. Dans le cadre du mouvement des greffiers judiciaires du premier semestre 2021, Mme B... s'est portée candidate, le 1er mars 2021, sur quatre postes de greffier ouverts dans le ressort de la cour d'appel de Fort-de-France. Mme B... relève appel du jugement du

20 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 juin 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre de la campagne de mobilité du premier semestre 2021 des mutations des greffiers des services judiciaires, a refusé de faire droit à sa demande de mutation sur un des quatre postes proposés dans le ressort de la cour d'appel de Fort-de-France.

2. D'une part, aux termes de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable aux mutations prenant effet à compter du 1er janvier 2020 en application du VI de l'article 94 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique : " I. L'autorité compétente procède aux mouvements des fonctionnaires en tenant compte des besoins du service. / II. - Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service et sous réserve des priorités instituées à l'article 62 bis, les affectations prononcées tiennent compte des demandes formulées par les intéressés et de leur situation de famille. Priorité est donnée : (...) 2° Au fonctionnaire en situation de handicap relevant de l'une des catégories mentionnées aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 5212-13 du code du travail ; (...) 4° Au fonctionnaire qui justifie du centre de ses intérêts matériels et moraux dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie (...). / III. - L'autorité compétente peut définir, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, des durées minimales et maximales d'occupation de certains emplois. IV. - Les décisions de mutation tiennent compte, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, des lignes directrices de gestion en matière de mobilité prévues à l'article 18 de la présente loi. Dans le cadre de ces lignes directrices, l'autorité compétente peut, sans renoncer à son pouvoir d'appréciation, définir des critères supplémentaires établis à titre subsidiaire. Elle peut notamment conférer une priorité au fonctionnaire ayant exercé ses fonctions pendant une durée minimale dans un territoire ou dans une zone rencontrant des difficultés particulières de recrutement ou au fonctionnaire ayant la qualité de proche aidant au sens de la sous-section 3 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 8 du décret du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires : " Les lignes directrices de gestion fixent, en matière de mobilité : (...) 3° Les modalités de prise en compte des priorités de mutation et, le cas échéant, de mise en œuvre de critères supplémentaires prévus au II et au IV de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, permettant d'examiner et de départager les demandes individuelles de mobilité, sans préjudice du pouvoir d'appréciation de l'autorité compétente en fonction des situations individuelles, des besoins du service ou de tout autre motif d'intérêt général ; 4° Le cas échéant, les modalités d'application des durées minimales et maximales d'occupation de certains emplois définis dans les conditions prévues à l'article 11 du présent décret. " et aux termes de l'article 11 de ce décret : " I. - Dans les administrations et établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du

11 janvier 1984 susvisée, des durées minimales et maximales d'occupation de certains emplois peuvent être fixées notamment pour tenir compte : 1° De difficultés particulières de recrutement ; 2° Des impératifs de continuité du service et de maintien des compétences ; 3° Des objectifs de diversification des parcours de carrières ; 4° Des enjeux de prévention des risques d'usure professionnelle liés aux conditions particulières d'exercice de certaines fonctions ; 5° Des enjeux relatifs à la prévention de risques déontologiques. Ces durées minimales et maximales d'affectation peuvent n'être appliquées que dans certaines zones géographiques. II. - Un arrêté du ou des ministres intéressés et du ministre chargé de la fonction publique précise, après consultation du ou des comités sociaux d'administration ministériels compétents, les types d'emplois ainsi que, le cas échéant, les zones géographiques soumis à une durée minimale ou maximale d'occupation ainsi que le quantum de ces durées. ".

4. Enfin, les lignes directrices de gestion 2020 du ministère de la justice en matière de mobilité précisent que : " La durée minimale souhaitée sur les fiches de poste tient compte des impératifs de continuité du service et de maintien des compétences ainsi que des difficultés particulières de recrutement. Sous réserve des règles prévues par les statuts particuliers et des textes réglementaires d'application du III de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984, il est préconisé de prendre en compte cette durée minimale souhaitée dans l'appréciation des candidatures. Elles sont de : 3 ans par principe ; 2 ans pour la première affectation après la réussite d'un concours (...). Il peut être dérogé à la condition d'ancienneté lorsque la situation personnelle de l'agent le nécessite ".

5. Lorsque, dans le cadre d'un mouvement de mutation, un poste a été déclaré vacant, et que des agents se sont portés candidats dans le cadre du mouvement, l'administration doit comparer l'ensemble des candidatures dont elle est saisie au titre des mutations en fonction, d'une part, de l'intérêt du service, d'autre part, si celles-ci sont invoquées, compte tenu des priorités fixées par les dispositions citées ci-dessus de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984. Les décisions de mutation tiennent également compte des lignes directrices de gestion en matière de mobilité.

6. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté en défense que Mme B... possède le centre de ses intérêts matériels et moraux en Martinique. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mme B... peut également se prévaloir depuis 2015 du statut de travailleur handicapé.

7. Mme B... soutient que la ligne directrice du ministère, tenant à une durée minimale d'affectation de trois ans sur le précédent poste ne lui était pas opposable dès lors qu'elle méconnaît les articles 8 et 11 du décret du 29 novembre 2019. Toutefois, cette règle de gestion de la durée dans le poste, appliquée uniquement pour départager des candidatures, ne constitue pas la mise en œuvre d'un critère supplémentaire prévu au II et au IV de l'article 60 de la loi du

11 janvier 1984 relevant de l'article 8 du décret. Cette règle ne relève pas davantage des dispositions de l'article 11 de ce même décret nécessitant un arrêté ministériel pour certains types d'emplois ainsi que, le cas échéant, les zones géographiques soumis à une durée minimale ou maximale d'occupation.

8. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'article 2 de l'arrêté du 19 juin 2019 que Mme Bonvel, greffière des services judiciaires depuis 2013, est mutée en Nouvelle-Calédonie à compter du 1er septembre 2019, pour une période de deux ans renouvelable une seule fois à l'issue de cette première affectation. Ainsi, les termes de cet arrêté qui applique une règle spécifique aux agents affectés en Nouvelle-Calédonie qui ne possèdent pas le centre de leurs intérêts matériels et moraux sur ce territoire font obstacle à ce que soit appliquée une ligne directrice nationale imposant une durée minimale d'affectation supérieure à la durée minimale de deux ans spécifique applicable sur ce poste sans que lui soit opposée aucune circonstance particulière. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que cette ligne directrice ne lui étant pas applicable, la décision de rejet qui lui a été opposée est entachée d'illégalité.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 18 juin 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. L'exécution du présent arrêt implique que la demande de Mme B... soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais d'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... en application des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2100284 du 20 janvier 2022 du tribunal administratif de

Nouvelle-Calédonie et la décision du 18 juin 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au réexamen de la demande de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Mme B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 10 février 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Briançon, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 mars 2023.

La présidente-rapporteure,

C. C...L'assesseur le plus ancien,

P. MANTZ

La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA01217


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01217
Date de la décision : 03/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRIANÇON
Rapporteur ?: Mme Claudine BRIANÇON
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : SELARL D'AVOCATS ROYANEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-03-03;22pa01217 ?
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