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03/03/2023 | FRANCE | N°21PA01713

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 03 mars 2023, 21PA01713


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Duc B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 10 janvier 2019 par lesquelles le directeur de l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Étranger (AEFE) a rejeté son recours gracieux contre les décisions du 18 décembre 2018 portant refus de lui accorder des bourses scolaires au bénéfice de ses deux enfants au titre de l'année scolaire 2018-2019.

Par un jugement n° 1909256 du 16 septembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
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Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er avri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Duc B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 10 janvier 2019 par lesquelles le directeur de l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Étranger (AEFE) a rejeté son recours gracieux contre les décisions du 18 décembre 2018 portant refus de lui accorder des bourses scolaires au bénéfice de ses deux enfants au titre de l'année scolaire 2018-2019.

Par un jugement n° 1909256 du 16 septembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er avril 2021, le 2 juin 2022 et le 11 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Clauss puis par Me Renault, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions du directeur de l'AEFE du 10 janvier 2019 ;

3°) d'enjoindre à l'AEFE de lui accorder des bourses au taux de 100 % pour ses deux enfants au titre de l'année scolaire 2018/2019, dans le délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'AEFE la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, Me Renault, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à titre subsidiaire, à lui verser directement sur le seul fondement de l'article L. 761-1 précité.

Il soutient que :

- le conseil consulaire des bourses scolaires réuni le 23 avril 2018 s'est déroulé dans des conditions anormales, de nombreux dossiers ayant fait l'objet de décisions de rejets ou d'ajournement injustifiées ;

- les décisions attaquées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation des éléments financiers soumis lors de l'instruction de la demande ;

- les documents fournis sont suffisants à déterminer le montant de ses revenus ;

- aucune traduction des documents n'a été exigé lors du dépôt de la demande, ni par le poste instructeur ni par l'AEFE ;

- les critères d'attribution étant les mêmes au titre des deux années scolaires précédentes et sa situation étant également identique, il n'est pas justifié qu'il ait fait l'objet d'un rejet de sa demande de bourse qui avait été accordée à 100% au titre de ces deux années ;

- l'AEFE a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard du train de vie de la famille ;

- il a sollicité auprès du bureau d'aide juridictionnelle la désignation d'un traducteur assermenté pour procéder à la traduction des pièces, ce qui lui a été refusé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 mai 2022 et le 21 septembre 2022, l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Étranger (AEFE), représentée par la SELARL Drai Associés, Me Margaroli, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués dans la requête ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 12 janvier 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- l'instruction spécifique de l'AEFE du 27 décembre 2017 sur les bourses scolaires au bénéfice des enfants français résidant à l'étrange, prise en application des articles D. 531-45 à D. 531-51 du code de l'éducation, et applicable à l'année 2018/2019 pour les pays du rythme nord ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,

- et les observations de Me Le Douarin, représentant l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Étranger (AEFE).

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a présenté le 22 janvier 2018 une demande de bourse scolaire au profit de ses deux enfants scolarisés en classe de sixième et de CM1 au lycée français international Marguerite Duras de Hô Chi Minh-Ville au Vietnam au titre de l'année scolaire 2018-2019. Le 19 juin 2018, le directeur de l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Étranger (AEFE) a décidé l'ajournement de cette demande. Par décision du 18 décembre 2018, prise au titre d'un réexamen de la demande de M. B..., le directeur de l'AEFE a de nouveau rejeté la demande de bourse pour ses deux enfants. A la suite du recours gracieux de M. B..., le directeur de l'AEFE a confirmé cette décision par deux nouvelles décisions du 10 janvier 2019. M. B... relève appel du jugement du 16 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'ensemble de ces décisions.

2. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

3. En application de ces principes, il y a lieu de considérer que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation des décisions du 10 janvier 2019 qui rejettent son recours gracieux formé contre la décision du 18 décembre 2018 sont également dirigées contre cette dernière décision.

4. Aux termes de l'article L. 452-2 du code de l'éducation, l'AEFE " a pour objet : (...) / 5° D'accorder des bourses aux enfants de nationalité française scolarisés dans les écoles et les établissements d'enseignement français à l'étranger dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de l'éducation, du ministre chargé des affaires étrangères et du ministre chargé de la coopération ". Aux termes de l'article D. 531-46 du même code : " Pour bénéficier des bourses scolaires à l'étranger, les élèves doivent : / 1° Être de nationalité française et inscrits ou en cours d'inscription au registre des Français établis hors de France de la circonscription consulaire dans laquelle ils ont leur résidence ; / 2° Fréquenter un des établissements figurant sur la liste arrêtée chaque année par le ministre chargé de l'éducation, le ministre des affaires étrangères et le ministre chargé de la coopération en application du 5° de l'article L. 452-2 ; / 3° Résider avec leur famille dans le pays où est situé l'établissement scolaire fréquenté ". Enfin l'article D. 531-48 de ce code dispose : " Les commissions locales examinent et présentent à la commission nationale les demandes de bourses scolaires dont peuvent bénéficier les élèves français établis hors de France dans les conditions définies aux articles D. 531-45 et D. 531-46. Elles répartissent entre les bénéficiaires les crédits délégués par l'agence, dans le respect des critères généraux définis par des instructions spécifiques ".

5. Le directeur de l'AEFE a, sur le fondement de ces dispositions, adopté une instruction spécifique, applicable pour l'année scolaire 2018-2019, qui énonce les critères d'obtention des bourses scolaires par les familles des enfants mentionnés au 5° de l'article L.452-2 du code de l'éducation et remplissant les conditions énoncées à l'article D. 531-46 du même code. Ce faisant, cette autorité, qu'aucun texte de nature législative ou réglementaire n'avait habilitée à adopter un acte réglementaire ayant un tel objet, doit être regardée comme ayant défini, sans renoncer à son pouvoir d'appréciation, des orientations générales en vue de l'exercice de son pouvoir d'accorder des bourses scolaires, qui sont opposables aux familles ayant demandé de telles bourses. Cette instruction prévoit, en son point 2.11, que le quotient maximal au-delà duquel aucune bourse n'est accordée (hors barème revenus) est fixé à 21 000 euros et que le seuil en deçà duquel une quotité de bourse de 100% est attribuée est égal à un septième du quotient maximal, soit 3 000 euros, une quotité théorique partielle de bourse étant déterminée selon une formule prédéfinie si le quotient de la famille est compris entre ces deux valeurs. Elle prévoit également, en son point 4.3.4 que : " Lorsque l'instruction d'un dossier de demande soulève des difficultés particulières sur la situation familiale, financière ou patrimoniale de la famille, il est recommandé aux postes diplomatiques et consulaires de diligenter dans toute la mesure du possible une visite au domicile de la famille (...) et d'inviter la commission locale à se prononcer sur la base de ses conclusions (...). / Les visites à domicile sont conduites par des personnes dûment habilitées par le poste diplomatique ou consulaire ". Elle dispose en outre, aux termes du point 4.9.3.1, concernant les modalités d'instruction des dossiers par les postes avant le second conseil consulaire des bourses : " Doivent normalement conduire à une proposition de rejet : les déclarations incomplètes, inexactes ou incohérentes des familles ; (...) / Les conclusions défavorables des visites à domicile diligentées ". Enfin, le point 4.2 de l'instruction précise que l'instruction des demandes de bourses est fondée sur l'appréciation des revenus de l'année précédant celle de la demande.

6. En premier lieu, M. B... fait valoir que des membres du premier conseil consulaire des bourses scolaires auraient soulevé des anomalies dans la préparation et de déroulement de ce conseil, mettant notamment en exergue dans un document intitulé " Remarques sur le déroulement de la préparation et du Conseil Consulaire des Bourses Scolaires à Hô Chi A... Ville " une augmentation anormale du nombre de dossiers rejetés, une instruction des demandes " à charge " par le poste instructeur sans prise en compte des spécificités locales et une communication partielle et tardive des dossiers, de nature à entraver un examen sérieux de ces derniers. Toutefois, pour regrettables, à les supposer établis, qu'aient été ces dysfonctionnements, le requérant n'établit pas qu'ils auraient eu une incidence sur l'examen de sa demande de bourses. Par suite, le moyen tiré du fonctionnement anormal du service doit être écarté.

7. En second lieu, il ressort de la décision du 18 décembre 2018, prise à l'issue de la seconde commission nationale des bourses de l'année scolaire 2018-2019 que, pour refuser à M. B... le bénéfice de la bourse sollicitée, le directeur de l'AEFE a considéré que " le dossier reste incohérent sur les chiffres déclarés et les conclusions de la visite à domicile sont défavorables ". Il ressort en outre des écritures en défense de l'AEFE que cette dernière invoque, pour justifier le motif tiré de l'incohérence du dossier, la circonstance que les revenus allégués par M. B... au titre de l'année 2017 ne sont pas établis, du fait notamment du caractère inexploitable des documents comptables produits, rédigés en vietnamien et non accompagnés d'une traduction offrant des garanties de certification suffisantes. Elle soutient également, s'agissant du deuxième motif, que la visite au domicile de M. B..., organisée aux fins d'appréciation des revenus réels de la famille, a révélé qu'il résidait avec cette dernière " dans une grande maison avec piscine, pour une surface habitable de 800 m² dont 14 chambres ", et qu'elle a pu ainsi lui opposer les conclusions défavorables du service instructeur au motif d'une inadéquation entre les ressources déclarées et le niveau de vie constaté.

8. M. B... soutient que ses revenus au titre de l'année 2017 correspondent au bénéfice net après impôts de l'entreprise, indiqué à la ligne 17 du document intitulé " déclaration du résultat d'exploitation ", traduction proposée par ses soins d'un document rédigé en vietnamien, soit la somme de 249 939 076 VND, équivalant à 9 326,08 euros. Toutefois, un tel document, qui n'offre aucune garantie de certification de la traduction proposée, ne peut être retenu aux fins d'établir les revenus de l'intéressé. M. B... fait également valoir que ce bénéfice net de l'entreprise n'étant connu qu'à la fin de l'exercice, il a perçu en 2017 la somme de 300 000 000 VND au titre d'avances sur bénéfices, correspondant à un salaire mensuel de 25 000 000 VND. Toutefois, la perception de ce salaire mensuel ne ressort d'aucune pièce du dossier dès lors que ni le document intitulé " tableau récapitulatif (du) salaire depuis 2014-2017 ; B... A... Duc " produit par le requérant, qui ne constitue pas un document comptable certifié, ni les documents produits intitulés " comptes bancaires de l'entreprise pour 2017 " et " comptabilité détaillée de l'entreprise pour l'année 2017 ", rédigés en vietnamien et accompagnés de quelques traductions n'offrant aucune garantie de certification, ne permettent d'identifier des opérations de versement d'un salaire mensuel de 25 000 000 VND au profit de M. B... au titre de l'année 2017. Par suite, le directeur de l'AEFE, qui pouvait se fonder, en vertu du 4.9.3.1 de l'instruction spécifique, sur des déclarations incomplètes, inexactes ou incohérentes pour rejeter la demande de bourse de l'intéressé, n'a commis aucune erreur manifeste dans l'appréciation des revenus de la famille. Dès lors, et à supposer même que le motif tiré d'une inadéquation entre les ressources déclarées et le niveau de vie constaté, opposé à l'intéressé à la suite de la visite au domicile de l'intéressé, ne soit pas établi, il ressort des pièces du dossier que le directeur de l'AEFE aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur le premier motif, tiré de l'incohérence des revenus déclarés par M. B....

9. Enfin, la circonstance que M. B... aurait bénéficié, lors des deux années scolaires 2016-2017 et 2017-2018, de bourses scolaires au bénéfice de ses deux enfants au taux de 100 %, alors que les critères d'attribution et sa situation étaient identiques à ceux de l'année 2018-2019, à la supposer établie, est en tout état de cause sans incidence sur la légalité des décisions attaquées, le bénéficiaire d'une bourse n'ayant aucun droit acquis à son renouvellement.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête ne peut dès lors qu'être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'AEFE, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme que l'AEFE demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Duc B... et à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

Délibéré après l'audience du 10 février 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Briançon, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mars 2023.

Le rapporteur,

P. C...

La présidente,

C. BRIANÇON La greffière,

A. GASPARYAN

La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA01713


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01713
Date de la décision : 03/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRIANÇON
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : RENAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-03-03;21pa01713 ?
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