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10/02/2023 | FRANCE | N°21PA00044

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 10 février 2023, 21PA00044


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La province des Iles Loyauté a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler l'arrêté n° 2020-4714/GNC-Pr du 30 mars 2020 du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en tant qu'il limite le versement des dotations de fonctionnement et d'équipement à 95 % des crédits adoptés lors du budget primitif pour l'année 2020.

Par un jugement n° 2000140 du 22 octobre 2020, le tribunal administratif de Nouvelle Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour

:

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 6 janvier 2021 et 16 juille...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La province des Iles Loyauté a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler l'arrêté n° 2020-4714/GNC-Pr du 30 mars 2020 du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en tant qu'il limite le versement des dotations de fonctionnement et d'équipement à 95 % des crédits adoptés lors du budget primitif pour l'année 2020.

Par un jugement n° 2000140 du 22 octobre 2020, le tribunal administratif de Nouvelle Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 6 janvier 2021 et 16 juillet 2021, la province des Iles Loyauté, représentée par Me Claveleau, demande à la cour administrative d'appel de Paris :

1°) d'annuler le jugement n° 2000140 du 22 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté n° 2020-4714/GNC-Pr du 30 mars 2020 du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en tant qu'il limite le versement des dotations de fonctionnement et d'équipement à 95 % des crédits adoptés lors du budget primitif pour l'année 2020 ;

3°) de mettre à la charge du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ni la loi organique du 19 mars 1999 ni aucune disposition légale n'autorise le président du gouvernement, en sa qualité d'ordonnateur, à limiter de manière discrétionnaire le montant des versements de la dotation globale de fonctionnement et d'équipement à 95 % du montant inscrit au budget primitif pour l'année 2020 ; s'il relève de sa compétence d'ordonnateur d'échelonner ou de moduler dans le temps les versements, il ne lui appartient pas de décider de ne verser que 95% du montant inscrit au budget, même primitif, de ces dépenses obligatoires sans prévoir de modalités de versement du reliquat ; seule une délibération pourrait encadrer les modalités de versement des dotations ; par un jugement devenu définitif, le tribunal administratif a d'ailleurs jugé qu'aucune disposition ne prévoit que les dotations versées aux provinces puissent être diminuées à la fin de l'année budgétaire et faire l'objet d'un remboursement ;

- la loi organique a en effet abrogé la délibération du 27 décembre 1990 qui prévoyait les modalités de détermination et de versement des dotations aux provinces et communes ainsi qu'un mécanisme de régularisation a posteriori des versements, notamment lorsque les recettes fiscales se révélaient supérieures à celles inscrites à titre prévisionnel au budget primitif ; c'est dans un souci de sécurité budgétaire pour les provinces que la loi organique ne prévoit plus cette possibilité ; en métropole au demeurant, l'Etat ne dispose pas de la faculté de limiter le pourcentage de versement des dotations aux collectivités territoriales afin que ces dernières bénéficient d'une bonne visibilité de leurs ressources ;

- la décision contestée méconnait le principe de libre administration des collectivités territoriales dès lors que les dotations en cause représentent 95% des recettes de fonctionnement de la province des Iles Loyauté et que celle-ci n'est pas libre de disposer de ses ressources si elle ne dispose pas de l'intégralité du montant des dotations fixé au budget primitif de la Nouvelle-Calédonie ; sa trésorerie est ainsi mise à mal, d'autant plus que la Nouvelle-Calédonie n'a pas réglé d'autres sommes dues par elle à d'autres titres ;

- la décision contestée méconnait pour les mêmes raisons les principes de sincérité et de

transparence budgétaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2021, le gouvernement de la Nouvelle- Calédonie, représenté par la société d'avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation Meier- Bourdeau-Lécuyer et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5000 euros soit mise à la charge de la province des Iles Loyauté sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les montants fixés au budget prévisionnel ne sont pas définitifs, à la différence des quotes-parts et de leur clé de répartition ; l'ordonnateur était compétent pour définir, par l'arrêté contesté, les modalités de versement des dotations aux provinces suivant cette clé de répartition ; en prévoyant que les crédits votés au budget primitif seraient, dans un premier temps, versés à hauteur de 95% du montant et le solde versé plus tard, le président du gouvernement n'a donc pas outrepassé sa compétence ; le haut-commissaire, s'il a relevé une erreur matérielle lors de l'exercice du contrôle de légalité, n'a d'ailleurs formulé aucune réserve à ce sujet ;

- aucune disposition légale n'encadre les modalités de versement des dotations de sorte que seule l'absence de versement de la quote-part votée pourrait être reprochée au gouvernement, ainsi que l'a d'ailleurs fait le jugement invoqué par la province des Iles Loyauté ;

- les modalités de versement sous forme d'avances mensuelles ont été fixées par un arrêté n°2016-18972/GNC-Pr du 28 décembre 2016 relatif au versement du solde des dotations globales de fonctionnement et d'équipement aux provinces pour l'exercice 2016 qui prévoit un versement initial aux provinces de 95% du montant inscrit au budget primitif de la Nouvelle-Calédonie, montant prévisionnel, et un réajustement en fin d'année en fonction du recouvrement réel des recettes de l'exercice ; le solde de 5% est ainsi versé l'année n+1, après le vote du compte administratif, lorsque les ressources disponibles sont connues avec certitude ; ce mécanisme, inspiré par le souci d'une saine gestion, permet d'éviter des trop-perçus et d'éventuels remboursements ; l'arrêté contesté du 30 mars 2020 n'a donc pas pour conséquence un versement incomplet de la dotation aux provinces, qui contreviendrait aux dispositions de la loi organique et aux délibérations du congrès ;

- l'arrêté contesté n'a pas pour effet de porter atteinte à l'autonomie financière de la province des Iles Loyauté, dès lors que, d'une part, la Nouvelle-Calédonie procède au versement des dotations prévues pour l'exercice 2020 conformément au cadre réglementaire posé par la loi organique et la délibération du congrès et que, d'autre part, l'assemblée de la province des îles Loyauté est libre de disposer à sa convenance des dotations en cause, qu'elle peut répartir conformément aux choix et aux orientations des élus provinciaux ;

- le principe de sincérité budgétaire, qui implique, selon l'article 47-2 de la Constitution, que les comptes des administrations publiques donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, n'est nullement méconnu, en l'absence de toute mauvaise foi des élus et dès lors que les modalités de versement des dotations ont été fixées avant ce versement et de façon transparente.

Par une ordonnance du 22 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juillet 2021

à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier. Vu :

- la Constitution ;

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 modifiée et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relatives à la Nouvelle-Calédonie ;

- la délibération n°45 du 26 décembre 2019 du congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 décembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu ;

- les conclusions de Mme C... ;

- les observations de Me Dufaud pour la province des Iles Loyauté et de Me Lecuyer pour le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération n° 45 du 26 décembre 2019 relative au budget annexe de répartition de la Nouvelle-Calédonie, le congrès a défini, à l'article 3 de la délibération, pour l'année 2020, les quotes-parts du montant prévisionnel de ce budget annexe affecté aux provinces au titre des dotations de fonctionnement et d'équipement prévues à l'article 181 de la loi organique susvisée du 19 mars 1999. Par un arrêté n° 2020-1958/GNC-Pr du 23 janvier 2020 relatif au versement des dotations globales de fonctionnement et d'équipement aux provinces pour l'exercice 2020, retiré et remplacé par un arrêté n° 2020- 4714/GNC-Pr du 30 mars 2020, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a prévu le versement échelonné sur douze mois d'avances correspondant au total à 95 % du montant des quotes-parts inscrites au budget primitif. Par un jugement du 22 octobre 2020, dont la province des Iles Loyauté fait appel, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour ce qui la concerne, de l'arrêté du 30 mars 2020 en tant qu'il fixe ce taux de 95%.

2. D'une part, aux termes de l'article 84 de la loi organique susvisée du 19 mars 1999 : " Le congrès vote le budget et approuve les comptes de la Nouvelle-Calédonie. Le budget de la Nouvelle- Calédonie prévoit et autorise les recettes et les dépenses de la Nouvelle-Calédonie pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre de chaque année. (...) Certaines interventions et activités ou certains services sont individualisés au sein de budgets annexes. Ces budgets annexes sont votés en équilibre réel (...) ". En vertu de l'article 180, les ressources des provinces comprennent notamment une dotation de fonctionnement et une dotation d'équipement versées par la Nouvelle-Calédonie. Aux termes de l'article 181 de cette même loi : " I. - La dotation de fonctionnement versée par la Nouvelle-Calédonie aux provinces constitue une dépense obligatoire inscrite au budget de la Nouvelle-Calédonie./ Cette dotation est financée par prélèvement d'une quote-part des impôts, droits et taxes perçus au profit du budget de la Nouvelle-Calédonie et des recettes de la régie des tabacs, achats et frais de fonctionnement déduits. Cette quote-part, qui ne peut être inférieure à 51,5 % de ces ressources, est fixée chaque année compte tenu du montant de celles-ci inscrit au budget primitif. Elle est, le cas échéant, majorée pour atteindre le seuil de 51,5 % de ces ressources telles qu'elles sont comptabilisées par le payeur à la clôture de l'exercice. / (...) II. - La dotation d'équipement versée par la Nouvelle-Calédonie aux provinces constitue une dépense obligatoire inscrite au budget de la Nouvelle-Calédonie. / Cette dotation est financée par prélèvement d'une quote-part des impôts, droits et taxes perçus au profit du budget de la Nouvelle-Calédonie et des recettes de la régie des tabacs, achats et frais de fonctionnement déduits. Cette quote-part, qui ne peut être inférieure à 4 % de ces ressources, est fixée chaque année compte tenu du montant de celles-ci inscrit au budget primitif. Elle sera, le cas échéant, majorée pour atteindre le seuil de 4 % de ces ressources, effectivement encaissées, telles qu'elles sont comptabilisées par le payeur à la clôture de l'exercice. (...) ".

3. D'autre part, en vertu de l'article 134 de la même loi organique, le président du gouvernement est ordonnateur des dépenses et prescrit l'exécution des recettes de la Nouvelle-Calédonie. Aux termes de l'article 10 du décret susvisé du 7 novembre 2012, applicable en Nouvelle-Calédonie : " Les ordonnateurs prescrivent l'exécution des recettes et des dépenses (...) ". Aux termes de l'article 11 de ce même décret : " Les ordonnateurs constatent les droits et obligations, liquident les recettes et émettent les ordres de recouvrer. Ils engagent, liquident et ordonnancent les dépenses (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions combinées que le montant de chacune de ces dotations résulte de la quote-part de certaines ressources de la Nouvelle-Calédonie fixée par le congrès et que, dans le cas où, à la clôture de l'exercice, le montant effectivement encaissé de ces ressources diffère de leur montant prévisionnel inscrit au budget primitif, la quote-part doit, si besoin, être majorée pour atteindre le seuil fixé par la loi organique pour chacune des dotations. Il n'est en revanche pas prévu par ces dispositions ni d'ailleurs par aucune autre, dès lors que l'arrêté, invoqué en défense, du président du gouvernement en date du 28 décembre 2016 n'est, en tout état de cause, et à supposer même que cette autorité soit compétente pour fixer de telles règles, relatif qu'à l'année 2016, que l'ordonnateur, qui constate les droits et obligations, puisse ne prescrire qu'un versement initial aux provinces d'une fraction seulement du montant inscrit au budget primitif de la Nouvelle-Calédonie, alors même qu'un réajustement interviendrait après le vote du compte administratif en fonction du recouvrement réel des recettes de l'exercice.

5. A l'article 1er de l'arrêté contesté, le président du gouvernement a constaté que les dotations globales de fonctionnement et d'équipement des provinces, inscrites au budget primitif 2020 de la Nouvelle- Calédonie, s'élevaient à soixante-deux milliards vingt-quatre millions trois cent quarante-neuf mille cinq cent quarante-six (62 024 349 546) francs CFP et a décidé que seraient versés 95 % de ces sommes, conformément à un tableau annexé, prévoyant un versement échelonné d'avances à ce titre sur les douze mois de l'année 2020.

6. En limitant à 95 % du montant inscrit au budget primitif 2020 le versement aux provinces d'avances au titre des dotations de fonctionnement et d'équipement qui leur sont dues, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ne s'est pas borné, en vertu de ses pouvoirs d'ordonnateur, à fixer les modalités de versement de ces dépenses obligatoires. En l'absence, ainsi que le soutient la province des Iles Loyauté et ainsi qu'il a été constaté ci-dessus, de toute disposition légale l'autorisant à procéder de la sorte pour tenir compte du caractère seulement prévisionnel des sommes inscrites au budget primitif, il a entaché sa décision d'illégalité.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la province des Iles Loyauté est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la province des Iles Loyauté, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la Nouvelle-Calédonie demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie une somme de 1 500 euros à verser à la province des Iles Loyauté sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000140 du 22 octobre 2020 du tribunal administratif de Nouvelle Calédonie et l'arrêté n° 2020-4714/GNC-Pr du 30 mars 2020 du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, en tant qu'il limite le versement des dotations de fonctionnement et d'équipement à 95 % des crédits adoptés lors du budget primitif pour l'année 2020 en faveur de la province des Iles Loyauté, sont annulés.

Article 2 : La Nouvelle-Calédonie versera à la province des Iles Loyauté une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la Nouvelle-Calédonie présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la province des Iles Loyauté et à la Nouvelle-Calédonie.

Une copie sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Mireille Heers, présidente de chambre ;

- M. d'Haëm, président-assesseur ;

- Mme B... d'Argenlieu, première conseillère ;

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 février 2023,

La rapporteure, La présidente,

L. D'ARGENLIEU M. A...

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA00044 3


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00044
Date de la décision : 10/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme SAINT-MACARY
Avocat(s) : CLAVELEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-02-10;21pa00044 ?
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