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07/02/2023 | FRANCE | N°22PA00512

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 07 février 2023, 22PA00512


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'État à lui verser la somme de 430 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité des arrêtés des 17 janvier 2014, 18 novembre 2015 et 20 novembre 2015 par lesquels le préfet de Seine-et-Marne a délivré à M. C... une autorisation de stationnement d'un véhicule équipé en taxi s

ur la zone unique de prise en charge de Val d'Europe-Chessy.

Par un jugement n° 1903...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'État à lui verser la somme de 430 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité des arrêtés des 17 janvier 2014, 18 novembre 2015 et 20 novembre 2015 par lesquels le préfet de Seine-et-Marne a délivré à M. C... une autorisation de stationnement d'un véhicule équipé en taxi sur la zone unique de prise en charge de Val d'Europe-Chessy.

Par un jugement n° 1903735 du 3 décembre 2021, le tribunal administratif de Melun a condamné l'État à verser à Mme D... la somme de 1 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 23 avril 2020 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 février 2022, Mme D..., représentée par Me Benjamin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 3 décembre 2021 en ce qu'il a limité le montant de son indemnisation à la somme de 1 000 euros ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 350 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise avant dire droit en vue de permettre l'évaluation de son préjudice financier ;

4°) de mettre à la charge l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 17 janvier 2014 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a délivré une autorisation de stationnement à M. C... est illégale dès lors qu'elle méconnaît les dispositions de l'article 12 du décret du 17 août 1995 ;

- cette illégalité fautive engage la responsabilité de l'État à son égard dans la mesure où, placée au rang numéro 17 de la liste d'attente des demandes d'autorisations de stationnement, tandis que M. C... était placé au rang numéro 29, elle a été privée d'une autorisation de stationnement ;

- elle a subi un préjudice financier résultant de l'impossibilité de louer puis de vendre son autorisation de stationnement après quinze ans de location ; son préjudice est certain pour la période allant de février 2014 à janvier 2022, dès lors d'une part qu'elle remplissait le 17 janvier 2014 les conditions pour obtenir une autorisation de stationnement, et d'autre part qu'elle démontre un projet d'usage de cette autorisation ; le préjudice subi du fait de la perte de chance d'obtenir le renouvellement de son autorisation entre février 2022 et mars 2029 doit également être réparé ; son préjudice doit être évalué à la somme de 250 000 euros au titre des pertes de loyers, et à la somme de 140 000 euros au titre des fruits de la revente de son autorisation ;

- elle a subi un préjudice moral qui doit être indemnisé à hauteur de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 juillet 2022, le préfet de Seine-et-Marne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 12 octobre 2022.

Vu :

- le code des transports ;

- la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 ;

- la loi n°2014-1104 du 1er octobre 2014 ;

- le décret n° 95-935 du 17 août 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Benjamin, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 17 janvier 2014, le préfet de Seine-et-Marne a délivré à M. C... une autorisation de stationnement en vue de l'exploitation d'un véhicule équipé en taxi sur la zone unique de prise en charge (ZUPEC) du périmètre de Val d'Europe à Chessy (Seine-et-Marne), à compter du 20 janvier 2014. Mme D... a demandé au préfet de Seine-et-Marne, par un courrier du 21 décembre 2018, reçu le 26 décembre 2018, d'indemniser les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de cette décision. Une décision implicite de rejet est née le 26 février 2019 du silence gardé par l'autorité préfectorale sur cette demande. La requérante relève appel du jugement du 3 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a limité la réparation de son préjudice à la somme de 1 000 euros, et demande à la cour de condamner l'État à lui verser la somme de 350 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 3121-5 du code des transports, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté du 17 janvier 2014 : " (...) / Les nouvelles autorisations sont délivrées en fonction de listes d'attente rendues publiques ". Aux termes de l'article 12 du décret du 17 août 1995, en vigueur à la date de l'arrêté litigieux : " Les listes d'attente en vue de la délivrance de nouvelles autorisations, mentionnées à l'article 6 de la loi du 20 janvier 1995 susvisée, sont établies par l'autorité compétente pour délivrer les autorisations. Elles mentionnent la date de dépôt et le numéro d'enregistrement de chaque demande. Ces listes d'attente sont communicables dans les conditions prévues par l'article 4 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal. / Les demandes sont valables un an. Cessent de figurer sur les listes ou sont regardées comme des demandes nouvelles celles qui ne sont pas renouvelées, par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, avant la date anniversaire de l'inscription initiale. / Les nouvelles autorisations sont attribuées dans l'ordre chronologique d'enregistrement des demandes. Dans la zone des taxis parisiens, ces autorisations sont attribuées dans l'ordre chronologique d'enregistrement des demandes ou, à défaut, par tirage au sort. ".

3. Il résulte de l'instruction qu'au 17 janvier 2014, date à laquelle une autorisation de stationnement a été délivrée à M. C..., Mme D... se trouvait placée au rang n° 17 sur la liste d'attente des demandes d'autorisation de stationnement de taxis de la ZUPEC du périmètre Val d'Europe à Chessy, tandis que M. C... était placé au rang n° 29. Les nouvelles autorisations de stationnement ne pouvant être délivrées que dans l'ordre chronologique d'enregistrement des inscriptions initiales, régulièrement renouvelées, le préfet de Seine-et-Marne a méconnu les dispositions précitées de l'article 12 du décret du 17 août 1995 en délivrant à M. C... l'autorisation litigieuse. Il a ainsi commis une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard de la requérante.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices financiers :

4. Aux termes de l'article L. 3124-1 du code des transports : " Lorsque l'autorisation de stationnement n'est pas exploitée de façon effective ou continue, ou en cas de violation grave ou répétée par son titulaire du contenu de cette autorisation ou de la réglementation applicable à la profession, l'autorité administrative compétente pour la délivrer peut donner un avertissement au titulaire de cette autorisation de stationnement ou procéder à son retrait temporaire ou définitif. " Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative peut retirer l'autorisation de stationnement qu'elle a délivrée pour un certain nombre de motifs mentionnés à cet article.

5. Mme D... demande d'abord l'indemnisation des pertes de revenus qu'elle aurait tirés de la location d'une autorisation de stationnement en vue de l'exploitation d'un véhicule équipé en taxi sur la ZUPEC du périmètre de Val d'Europe à Chessy entre février 2014 et 2022, ainsi que de la perte de chance de percevoir de tels revenus entre 2022 et 2029, date à laquelle elle indique qu'elle aurait revendu son autorisation. Si le préfet de Seine-et-Marne fait valoir que l'autorisation de stationnement présente un caractère précaire et révocable et peut faire l'objet d'un retrait par l'autorité administrative, il résulte de l'instruction que Mme D... remplissait les conditions, à la date de l'arrêté illégal du 17 janvier 2014, lui permettant d'obtenir cette autorisation. Dans ces conditions, le préjudice financier qu'elle invoque pour la période allant de février 2014 à 2022 doit être regardé comme résultant de manière directe et certaine de l'illégalité commise pour les motifs exposés au point 3. Il en sera fait une juste appréciation, eu égard au montant des sommes perçues par un collègue ayant exploité dans les mêmes circonstances une autorisation de stationnement en 2016 et 2017, et en tenant compte, notamment, des effets induits par la réduction de l'activité au cours de la période de crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, en fixant la somme due à ce titre à 100 000 euros. En revanche, le renouvellement de l'autorisation de stationnement de Mme D... pour la période allant de 2022 à 2029 présente, eu égard au caractère précaire et révocable de celle-ci, un caractère éventuel. La demande de réparation du préjudice subi à ce dernier titre ne peut donc qu'être rejetée.

6. La requérante demande ensuite réparation du préjudice financier résultant de l'impossibilité de revendre en 2029 l'autorisation dont elle aurait dû bénéficier en 2014, qu'elle évalue à la somme de 140 000 euros. Les dispositions de l'article L. 3121-2 du code des transports prévoient cependant que : " L'autorisation de stationnement prévue à l'article L. 3121-1 et délivrée postérieurement à la promulgation de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur est incessible et a une durée de validité de cinq ans, renouvelable dans des conditions fixées par décret. / Toutefois, le titulaire d'une autorisation de stationnement délivrée avant la promulgation de la même loi a la faculté de présenter à titre onéreux un successeur à l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation. Cette faculté est subordonnée à l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement pendant une durée de quinze ans à compter de sa date de délivrance ou de cinq ans à compter de la date de la première mutation. ". Compte tenu des conditions posées par ces dispositions et de ce qui a été énoncé au point 4 du présent arrêt, le préjudice dont il est ainsi demandé réparation présente un caractère éventuel. La demande indemnitaire à ce titre doit par suite être rejetée.

En ce qui concerne le préjudice moral :

7. Si Mme D... soutient que la somme de 1 000 euros allouée à ce titre par les premiers juges doit être portée à 5 000 euros, elle n'assortit sa demande d'aucune argumentation permettant d'établir que l'évaluation du tribunal serait insuffisante.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à demander que la somme que l'État a été condamné à lui verser par le jugement attaqué soit portée de 1 000 euros à 101 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros à Mme D... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La somme que l'État a été condamné à verser à Mme D... par l'article 1er du jugement n° 1903735 du 3 décembre 2021 du tribunal administratif de Melun est portée à 101 000 euros.

Article 2 : L'État versera à Mme D... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le jugement n° 1903735 du 3 décembre 2021 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.

La rapporteure,

G. B...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA00512


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00512
Date de la décision : 07/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : GENESIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-02-07;22pa00512 ?
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