Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui octroyer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2106236 du 3 février 2022, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet du Val-de-Marne ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer à M. D... un certificat de résidence algérien, mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 mars 2022, le préfet du Val-de-Marne demande à la Cour d'annuler le jugement n° 2106236 du 3 février 2022 du tribunal administratif de Melun.
Il soutient que :
- le mariage, conclu en vue de l'obtention d'un titre de séjour, présente un caractère frauduleux ;
- les moyens soulevés en première instance par M. D... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 avril 2022, M. D..., représenté par
Me Meurou, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer un certificat de résidence en qualité de conjoint d'un ressortissant français ou à défaut de réexaminer sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour, dans les deux cas dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) à la mise à la charge de l'État d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de la décision de refus de séjour :
-elle aurait dû être précédée de la réunion de la commission du titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été prise par une autorité incompétente pour ce faire ;
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle vise les stipulations de l'article 7bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 alors qu'il est fondé à se prévaloir des stipulations de l'article 6-2 de cet accord ;
- ces dernières stipulations ont été méconnues dès lors que la fraude n'est pas établie et qu'il remplit les conditions qu'elles prévoient ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 6-5 du même accord ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour sur laquelle elle se fonde ;
- elle a été prise par une autorité incompétente pour ce faire ;
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 6-2 de l'accord franco-algérien ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 6-5 du même accord ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire sur laquelle elle se fonde ;
- elle a été prise par une autorité incompétente pour ce faire ;
- elle est entachée d'un défaut de base légale ;
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me Raymond, substituant Me Meurou, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant algérien né le 11 juillet 1986, est entré en France le 10 décembre 2019, sous couvert d'un visa de court séjour. Il s'est marié avec une ressortissante française le 24 octobre 2020 et a sollicité la délivrance d'un certificat de résidence algérien en qualité de conjoint de française. Par un arrêté du 27 mai 2021, le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité au motif que le mariage avait été contracté dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné. Le préfet du Val-de-Marne relève appel du jugement du
3 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté à la demande de
M. D....
Sur le moyen d'annulation retenu en première instance :
2. Alors que l'arrêté contesté était fondé sur une suspicion de fraude au mariage, les premiers juges ont notamment relevé que le requérant avait produit des documents établissant la réalité de la vie commune entre les époux et que le préfet du Val-de-Marne n'avait produit aucun mémoire en défense ni la copie du rapport de police sur lequel était fondée la décision.
3. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment du rapport de police du 29 avril 2021, que la vérification domiciliaire a permis d'établir que les époux vivaient dans deux domiciles distincts dans deux communes différentes et qu'ils avaient donné des réponses imprécises, différentes voire contradictoires sur leurs revenus respectifs, sur les circonstances de leur rencontre et sur les personnes qui avaient été invitées à leur mariage, le rapport de la sous-préfète de L'Haÿ-les-Roses du 12 janvier 2021 mentionnant au demeurant que lors du dépôt du dossier, son épouse n'avait pas répondu aux questions posées. Dans ces conditions, alors que le requérant ne produit que des pièces éparses et ponctuelles comportant leurs deux noms à la même adresse ainsi que des quittances de loyer au nom du seul requérant, le préfet du Val-de-Marne justifie de la réalité de la fraude qu'il invoque. Il est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé son arrêté du 27 mai 2021 au motif que l'existence d'une fraude caractérisée par de fausses déclarations n'était pas établie.
4. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Melun et devant la Cour.
Sur les autres moyens soulevés en première instance :
En ce qui concerne le moyen commun aux décisions contestées :
5. Mme C..., sous-préfet de l'arrondissement de l'Haÿ-les-Roses, qui a signé l'arrêté attaqué, bénéficiait d'une délégation de signature du préfet du Val-de-Marne en vertu de l'arrêté n° 2021/660 du 1er mars 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs le même jour, notamment à l'effet de signer les " décisions (...) relevant des attributions de l'État dans l'arrondissement de l'Haÿ-les-Roses ", à l'exclusion de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions portant refus de délivrance de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination. Par suite, le moyen tiré du vice d'incompétence des décisions contestées manque en fait et doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
6. La décision contestée, prise au visa de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et notamment son article 7 bis ainsi que des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relève, en détaillant les faits sur lesquels elle se fonde, que le mariage de M. D... a été conclu uniquement pour faciliter l'obtention d'un titre de séjour et que l'intéressé ne déclare pas la présence en France de membres de sa famille proche. Elle est ainsi suffisamment motivée.
7. Il ne ressort pas des termes de la décision qu'elle serait entachée d'un défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressé.
8. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2) ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux (...) ". Aux termes de l'article 7 bis de cet accord : " (...) Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour pour ce qui concerne les catégories visées au a) (...) : / a) Au ressortissant algérien, marié depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité française, dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 6 nouveau 2) et au dernier alinéa de ce même article (...) ".
9. Si M. D... soutient que la décision est entachée d'une erreur de droit en ce qu'il a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement des stipulations de l'article 6-2 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, dont il remplit les conditions, et non sur le fondement de celles de son article 7 bis, il ne l'établit pas. En tout état de cause, le préfet a pu à bon droit, comme il a été dit au point 3 du présent arrêt, rejeter sa demande de titre de séjour en se fondant sur le motif tiré de ce que le mariage a été conclu en vue de faciliter la délivrance d'un titre de séjour.
10. M. D... ne saurait utilement se prévaloir des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors qu'il n'établit pas avoir déposé de demande de titre de séjour sur leur fondement.
11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., né en 1986, n'est entré qu'en 2019 à l'âge de 33 ans en France où il est dépourvu d'attaches familiales, son mariage avec son épouse, avec laquelle il n'établit aucune communauté de vie, ayant été conclu en vue de faciliter la délivrance d'un titre de séjour. Il n'est, dans ces conditions, pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
14. En vertu de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au litige, la commission du titre de séjour " est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ".
15. Il résulte de ces dispositions que le préfet est tenu de saisir la commission du titre de séjour du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions d'obtention du titre de séjour sollicité auxquels il envisage de refuser ce titre de séjour et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, M. D... ne remplissait pas les conditions permettant la délivrance d'un certificat de résidence sur le fondement de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par suite, le préfet du Val-de-Marne n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour avant de prendre la décision de refus de séjour.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
16. La décision portant refus de titre de séjour n'étant entachée d'aucune des illégalités alléguées, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français doit, en conséquence, être écarté.
17. La décision portant refus de titre de séjour étant suffisamment motivée en fait et en droit, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'avait pas à faire l'objet d'une motivation spécifique. Par suite, ce moyen doit être écarté.
18. Il ne ressort pas des termes de la décision qu'elle serait entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle.
19. Pour les motifs exposés au point 10 du présent arrêt, M. D... ne saurait utilement se prévaloir des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
20. Pour les motifs exposés au point 9 du présent arrêt, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6-2 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ne peut qu'être écarté.
21. Pour les motifs exposés au point 12 du présent arrêt, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
22. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
23. La décision portant obligation de quitter le territoire n'étant entachée d'aucune des illégalités alléguées, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, invoqué à l'appui des conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination doit, en conséquence, être écarté.
24. La décision, prise au visa des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionne que M. D... n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à cette convention et est ainsi suffisamment motivée, quand bien même elle ne viserait pas les articles pertinents du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette simple omission de motifs n'entachant pas la décision d'un défaut de motivation. Pour les mêmes motifs, elle n'est entachée d'aucun défaut de base légale.
25. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes desquelles " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier la portée.
26. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel le préfet du Val-de-Marne a refusé de lui octroyer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent par voie de conséquence être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2106236 du 3 février 2022 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... D... devant le tribunal administratif de Melun est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à M. A... D....
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,
- Mme Naudin, première conseillère,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 février 2023.
Le rapporteur, Le président,
J.-F. B... S. DIÉMERT
La greffière
C. POVSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22PA01058