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02/02/2023 | FRANCE | N°21PA06697

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 02 février 2023, 21PA06697


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 13 juin 2019, confirmée à la suite de son recours gracieux le 28 novembre 2019, par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom.

Par un jugement n° 1915558 du 29 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 31 décembre 2021, régularisée par ministère d'avocat le


16 mai 2022, et des mémoires complémentaires enregistrés les 19 juillet, 30 juillet et 7 août 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 13 juin 2019, confirmée à la suite de son recours gracieux le 28 novembre 2019, par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom.

Par un jugement n° 1915558 du 29 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 31 décembre 2021, régularisée par ministère d'avocat le

16 mai 2022, et des mémoires complémentaires enregistrés les 19 juillet, 30 juillet et 7 août 2022, Mme A... B..., représentée par Me Crusoé, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1915558 du 29 octobre 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne vise ni n'analyse le mémoire qu'elle a communiqué le 7 octobre 2021, les motifs du jugement n'attestant pas que les premiers juges en ont pris connaissance ;

- le mémoire en défense a été signé par une personne incompétente pour ce faire ;

- les décisions ont été prises par une autorité incompétente ;

- elle justifie d'un intérêt légitime et de circonstances exceptionnelles en ce que le nom B... correspond au nom de son géniteur qui l'a abandonnée à sa naissance, et que porter ce nom crée pour elle une souffrance psychique et l'empêche de s'émanciper du traumatisme familial et identitaire qu'elle a subi.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 juin et 25 juillet 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Crusoé, avocat de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., née le 8 octobre 1967, a sollicité auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, le changement de son nom en " D...". Par une décision du

13 juin 2019 confirmée le 28 novembre 2019 sur recours gracieux, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande. Mme B... relève appel du jugement du 29 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des écritures en défense du garde des sceaux, ministre de la justice ;

2. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / (...) / Le changement de nom est autorisé par décret. ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.

3. Mme B... soutient que le port de son nom, qui est celui de son géniteur qui l'a abandonnée à sa naissance, lui occasionne une souffrance psychique qui l'empêche de s'émanciper du traumatisme familial et identitaire qu'elle a subi et que le nom qu'elle sollicite, " D...", correspond à celui de ses bisaïeux et de son aïeule, cette dernière lui ayant apporté de la stabilité dans sa vie. Elle produit, au soutien de ses affirmations, des attestations de sa sœur, de sa mère et d'un proche, qui décrivent avec précision l'aggravation de son état de santé, en particulier le développement de troubles psychologiques que lui a causés le port du nom B..., sa mère relevant en particulier que la délivrance de documents d'identité en 1997 au nom " B... dit D..." lui avaient permis de se reconstruire mais que le refus de leur renouvellement a entrainé une nouvelle période de troubles. La requérante produit également des certificats de médecins psychiatres attestant que ces troubles sont en lien avec ses racines familiales et le port de ce patronyme, ainsi qu'une attestation d'un séjour effectué en 2015 dans une clinique spécialisée dans la prise en charge des troubles du comportement. L'ensemble de ces circonstances est de nature à révéler des circonstances exceptionnelles caractérisant un motif légitime au sens et pour l'application du premier alinéa de l'article 61 du code civil. Le garde des sceaux, ministre de la justice, a ainsi commis une erreur d'appréciation en refusant de faire droit à la demande de changement de nom qui lui était présentée.

4. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que décision du garde des sceaux, ministre de la justice, est illégale et doit être annulée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / [...]. ".

6. L'annulation de la décision en litige pour le motif retenu au point 3 implique nécessairement que le garde des sceaux, ministre de la justice, présente au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant

Mme B... à changer son patronyme en " D...".

Sur les frais du litige :

7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État (ministère de la justice) le versement à

Mme B... d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1915558 du 29 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris du

29 octobre 2021 est annulé.

Article 2 : Les décisions du 13 juin 2019 et du 28 novembre 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice, rejetant la demande, présentée par Mme A... B..., de changement de son nom en

" D... ", sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant Mme B... à changer son patronyme en " D... ".

Article 4 : L'État (ministère de la justice) versera à Mme A... B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,

- Mme Naudin, première conseillère,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 février 2023.

Le rapporteur,

J.-F. C...

Le président,

S. DIÉMERTLa greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au ministre de la justice, garde des sceaux, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA06697


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06697
Date de la décision : 02/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DIEMERT
Rapporteur ?: M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : AARPI ANDOTTE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-02-02;21pa06697 ?
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