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30/01/2023 | FRANCE | N°22PA02124

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 30 janvier 2023, 22PA02124


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 10 septembre 2020, ensemble la décision du 18 février 2021, par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Institut cellules souches et cerveau, Equipes cellules souches pluripotentes chez les mammifères, A...) à mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude de la

caractérisation de l'expression de régulateurs du cycle cellulaire dans l'embry...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 10 septembre 2020, ensemble la décision du 18 février 2021, par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Institut cellules souches et cerveau, Equipes cellules souches pluripotentes chez les mammifères, A...) à mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude de la caractérisation de l'expression de régulateurs du cycle cellulaire dans l'embryon préimplantatoire humain et la dérivation de lignées de cellules souches embryonnaires pluripotentes naïves.

Par un jugement n° 2014303 du 8 mars 2022, le tribunal administratif de Montreuil a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision du 10 septembre 2020 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 mai 2022 et le 21 décembre 2022, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Hourdin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2014303 du 8 mars 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 18 février 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier pour insuffisance de motivation quant au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2151-2 du code de la santé publique ;

- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ont omis de répondre au moyen d'irrégularité de la procédure tiré de ce que les rapports d'instruction ne se sont pas prononcés sur les conditions de conservation des embryons ;

- la décision attaquée est irrégulière dès lors que les conditions de conservation des embryons par l'équipe de recherche n'ont pas été vérifiées ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions du III de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dès lors qu'il n'est pas établi que les auteurs des rapports d'expertise scientifique ne présentent pas de liens constitutifs de conflits d'intérêt avec l'équipe de recherche ; les formulaires de déclaration d'intérêts des experts scientifiques ont été produits pour les besoins de la cause et sont insincères.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 août 2022, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la Fondation Jérôme Lejeune ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- les observations de Me Hourdin, représentant la Fondation Jérôme Lejeune,

- et les observations de Me de Cénival, représentant l'Agence de la biomédecine.

Considérant ce qui suit :

1. Le 31 janvier 2020, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM, Institut cellules souches et cerveau, Equipes cellules souches pluripotentes chez les mammifères, A...) a déposé une demande d'autorisation d'un protocole de recherche sur les embryons humains auprès de l'Agence de la biomédecine. Par une décision du 10 septembre 2020, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a fait droit à cette demande et a autorisé, pour une durée de cinq ans, la mise en œuvre d'un protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude de la caractérisation de l'expression de régulateurs du cycle cellulaire dans l'embryon préimplantatoire humain et la dérivation de lignées de cellules souches embryonnaires pluripotentes naïves. Par une décision du 18 février 2021, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a retiré la décision du 10 décembre 2020 qui était entachée d'une erreur matérielle et a de nouveau autorisé le protocole de recherche pour une durée de cinq ans. La Fondation Jérôme Lejeune a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'un recours tendant à l'annulation de la décision du 10 février 2020. Par un jugement du 8 avril 2022, le tribunal, après avoir requalifié le recours comme dirigé contre la décision du 18 février 2021, a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées contre la décision du 10 septembre 2020 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. La Fondation Jérôme Lejeune relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. D'une part, il ressort du point 13 du jugement attaqué que pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2151-2 du code de la santé publique, les premiers juges ont retenu qu'il ressortait des pièces du dossier de la demande d'autorisation que l'Agence de la biomédecine s'était assurée, par un examen concret et circonstancié des modalités pratiques de réalisation du programme de recherche, de la faisabilité du protocole ainsi que de la pérennité des organismes et équipes y participant. Ils ont également relevé que la Fondation Jérôme Lejeune n'apportait aucun élément probant de nature à remettre en cause l'exactitude des constatations effectuées par l'agence. Ce faisant, les premiers juges ont suffisamment motivé leur réponse à ce moyen.

4. D'autre part, la Fondation Jérôme soutient que c'est à tort que les premiers juges ont écarté comme inopérant le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure au motif que les rapports d'instruction ne s'étaient pas prononcés sur les conditions de conservation des embryons alors qu'il appartenait aux experts de procéder à une telle vérification. Toutefois, cette contestation a trait au bien-fondé du jugement et demeure, par suite, sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. En premier lieu, aux termes du quatrième alinéa du III de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique : " En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l'autorisation, l'agence suspend l'autorisation de la recherche ou la retire. L'agence diligente des inspections comprenant un ou des experts n'ayant aucun lien avec l'équipe de recherche, dans les conditions fixées à l'article L. 1418-2. ". Aux termes de l'article L. 1451-1 du même code : " I. - Les membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, (...) les membres des instances collégiales, des commissions, des groupes de travail et conseils des autorités et organismes mentionnés aux articles (...) L. 1418-1 (...) du présent code (...) sont tenus, lors de leur prise de fonctions, d'établir une déclaration d'intérêts. (...) ". Aux termes de l'article L. 1452-2 du même code : " Une charte de l'expertise sanitaire, approuvée par décret en Conseil d'Etat, s'applique aux expertises réalisées dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire à la demande du ministre chargé de la santé ou à la demande des autorités et des organismes mentionnés au I de l'article L. 1451-1. Elle précise les modalités de choix des experts, le processus d'expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, la notion de lien d'intérêts, les cas de conflit d'intérêts, les modalités de gestion d'éventuels conflits et les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts ".

6. En application de ces dispositions, la charte de l'expertise sanitaire a été approuvée par un décret du 21 mai 2013. Elle prévoit notamment, au 4ème alinéa de son I, que : " L'organisme chargé de la réalisation de l'expertise s'assure que les experts retenus disposent des compétences, de l'expérience ainsi que de l'indépendance nécessaires pour réaliser les travaux d'expertise demandés, en s'appuyant notamment sur l'analyse de leurs curriculums vitae, de leurs compétences professionnelles, de leurs productions scientifiques et de leurs déclarations d'intérêts. Un expert ne doit pas accepter une mission pour laquelle il n'est pas ou ne s'estime pas être compétent, ou pour laquelle il n'est pas ou n'estime pas être suffisamment indépendant au regard de l'objet de l'expertise ". Elle précise, au A de son III : " La notion de lien d'intérêts recouvre les intérêts ou les activités, passés ou présents, d'ordre patrimonial, professionnel ou familial, de l'expert en relation avec l'objet de l'expertise qui lui est confiée. / Les liens d'intérêts que l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise demande aux experts de déclarer sont détaillés dans le document type de la déclaration publique d'intérêts prévu par l'article

R. 1451-2 du code de la santé publique. / Un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle les liens d'intérêts d'un expert sont susceptibles, par leur nature ou leur intensité, de mettre en cause son impartialité ou son indépendance dans l'exercice de sa mission d'expertise au regard du dossier à traiter ".

7. D'une part, et ainsi que l'ont retenu les premiers juges, la Fondation Jérôme Lejeune ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées du quatrième alinéa du III de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, qui sont relatives aux inspections réalisées par l'Agence de la biomédecine une fois les autorisations de recherche accordées, et ne régissent dès lors pas les conditions d'instruction des demandes d'autorisation de recherche.

8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que l'Agence de la biomédecine a pu s'assurer de l'absence de conflits d'intérêts notamment au regard des déclarations d'intérêts souscrites par les deux experts respectivement les 5 février et 18 mai 2020 avant le dépôt de leur rapport d'expertise scientifique les 17 avril et 9 juin 2020. La Fondation Jérôme Lejeune soutient que ces déclarations d'intérêts doivent être écartées des débats dès lors que les dates du format PDF de ces déclarations sont postérieures à leur date de souscription. Toutefois, une telle circonstance n'est pas de nature à révéler le caractère insincère desdites déclarations ni l'existence d'un conflit d'intérêt alors que les dates en cause permettent uniquement d'attester des dates de création et de modification des déclarations sous leur format PDF. En outre, la fondation requérante ne fournit, à l'appui de ses allégations et au vu des déclarations produites, aucun élément susceptible d'établir l'existence de liens d'intérêts mettant en cause l'indépendance et l'impartialité des experts à la date à laquelle ils ont remis leur rapport alors, au demeurant, qu'un des rapports d'instructions versé aux débats précisait la composition de l'équipe de recherche. Par suite, le moyen tiré de ce que le manque d'indépendance et d'impartialité des experts entacherait la procédure d'irrégularité doit être écarté.

9. En second lieu, l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée dispose que : " I. - Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si : / (...) 4o Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. / (...) III.- Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. (...) ". L'article R. 2151-2 du même code prévoit que : " Outre la vérification des conditions fixées à l'article L. 2151-5, l'agence de la biomédecine (...) évalue les moyens et dispositifs garantissant (...) la traçabilité des embryons et des cellules souches embryonnaires. ". Il résulte de ces dispositions que la délivrance d'une autorisation de recherche sur le fondement de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique est subordonnée à la garantie par le bénéficiaire de l'autorisation de la traçabilité, dès leur remise pour cette recherche et tout au long de celle-ci, des embryons et des cellules souches embryonnaires.

10. Il ressort des pièces du dossier que les embryons destinés à la recherche, fournis par le service de médecine de la reproduction de l'hôpital Mère Enfants de A..., seront remis au laboratoire U1208 de l'INSERM. Le rapport établi par la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine quant aux conditions matérielles et techniques de réalisation du protocole de recherche, qui est versé aux débats, décrit précisément les conditions de traçabilité de ces embryons, lesquels seront cultivés pendant une durée allant d'un à cinq jours avant leur destruction. En outre, si le protocole de recherche prévoit que des cellules souches seront dérivées à partir de ces embryons, il ressort des pièces du dossier, et notamment des rapports d'instruction, que les cellules dérivées seront maintenues en culture et conservées par l'équipe de recherche, en vertu d'une autorisation de conservation à des fins de recherche délivrée par l'Agence de la Biomédecine le 20 mai 2016 en cours de validité à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions, l'agence a pu s'assurer de la traçabilité des embryons qui seront remis à l'équipe de recherche alors au demeurant que la requérante n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la pertinence des modalités de traçabilité arrêtées au sein du laboratoire U1208 de l'INSERM. Par suite, le moyen sera écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que la Fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Agence de la biomédecine qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance le versement d'une somme au titre des frais exposés par Fondation Jérôme Lejeune et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune le versement d'une somme de 1 500 euros à l'Agence de la Biomédecine sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Fondation Jérôme Lejeune est rejetée.

Article 2 : La Fondation Jérôme Lejeune versera une somme de 1 500 euros à l'Agence de la biomédecine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine et à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2023.

La rapporteure,

G. B...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

A. DUCHERLa République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA02124


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA02124
Date de la décision : 30/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle DÉGARDIN
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : HOURDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-01-30;22pa02124 ?
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