Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 15 juillet 2019 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) à mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude de la programmation épigénétique du spermatozoïde pour la régulation de la transcription dans l'embryon.
Par un jugement n° 1914047 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 janvier 2022, le 27 juillet 2022, le
7 septembre 2022 et le 12 octobre 2022, et un mémoire non communiqué, enregistré le
27 octobre 2022, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Hourdin, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1914047 du 30 novembre 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du
15 juillet 2019 portant autorisation d'un protocole de recherche sur l'embryon humain ainsi que la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 11 mai 2022 portant autorisation de modification substantielle de ce protocole de recherche ;
3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour insuffisance de motivation quant au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2151-2 du code de la santé publique ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions du III de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dès lors qu'il n'est pas établi que les auteurs des rapports d'expertise scientifique ne présentent pas de liens constitutifs de conflits d'intérêts avec l'équipe de recherche ; la composition de l'équipe de recherche n'est pas précisée de telle sorte qu'il est impossible de s'assurer de l'absence de conflits d'intérêts ; les formulaires de déclaration d'intérêts des experts ont été produits pour les besoins de la cause et sont insincères ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 2151-2 du code de la santé publique et des stipulations de l'article 18 § 2 de la convention d'Oviedo dès lors que le protocole de recherche a notamment pour objet la conception d'embryons humains ;
- la décision méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dès lors que des études préalables pouvaient être menées sur les animaux avant d'envisager les recherches sur des embryons humains ;
- la décision est illégale dès lors qu'il n'est pas établi que l'hôpital disposait d'une autorisation de conservation des embryons à des fins de recherche.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 juillet 2022, le 12 septembre 2022, le
7 octobre 2022 et le 25 octobre 2022, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 11 mai 2022 sont irrecevables dès lors que cette décision est distincte de la décision prise par la directrice générale de l'Agence de la biomédecine le 15 juillet 2019 et qu'en tout état de cause, ces conclusions sont présentées pour la première fois en appel ;
- les moyens soulevés par la Fondation Jérôme Lejeune ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 13 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au
28 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- les observations de Me Hourdin, représentant la Fondation Jérôme Lejeune,
- et les observations de Me de Cénival, représentant l'Agence de la biomédecine.
Considérant ce qui suit :
1. Le 30 mars 2019, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM, UMR 1064, centre hospitalier universitaire de Nantes) a déposé une demande d'autorisation d'un protocole de recherche sur l'embryon humain auprès de l'Agence de la biomédecine. Par une décision du 15 juillet 2019, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a fait droit à cette demande et a autorisé, pour une durée de cinq ans, la mise en œuvre d'un protocole de recherche sur l'embryon ayant pour finalité l'étude de la programmation épigénétique du spermatozoïde pour la régulation de la transcription dans l'embryon. La Fondation Jérôme Lejeune a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'un recours tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement du 26 octobre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Dans le dernier état de ses écritures, la Fondation Jérôme Lejeune relève appel de ce jugement et sollicite, en outre, l'annulation de la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 11 mai 2022 portant autorisation de modification substantielle de ce protocole de recherche.
Sur les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision du 11 mai 2022 :
2. Aux termes de l'article R. 2151-9 du code de la santé publique : " L'établissement ou l'organisme qui souhaite modifier un élément substantiel du protocole autorisé au titre de l'article L. 2151-5 doit déposer un nouveau dossier de demande d'autorisation. Ce dernier est instruit dans les mêmes conditions que la demande initiale ".
3. Par une décision du 11 mai 2022 intervenue en cours d'instance et prise sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 2151-9 du code de la santé publique, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé une modification substantielle du protocole de recherche sur l'embryon précédemment autorisé par la décision attaquée du 15 juillet 2019. Contrairement à ce que soutient la Fondation Jérôme Lejeune, les conclusions de la requête ne peuvent être regardées comme tendant également à l'annulation de la décision du 11 mai 2022 qui a pour objet d'autoriser l'INSERM (UMR 1064, centre hospitalier universitaire de Nantes) à mettre en œuvre les modifications du protocole de recherche et n'a, dès lors, pas la même portée que la décision d'autorisation de recherche initiale prise le 15 juillet 2019. Dans ces conditions, les conclusions dirigées contre la décision du 11 mai 2022 et présentées directement devant la cour ont le caractère de conclusions nouvelles en cause d'appel. Par suite, il y a lieu de faire droit à la fin de non-recevoir opposée par l'Agence de la biomédecine et de rejeter comme irrecevables les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision du 11 mai 2022.
Sur les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision du 15 juillet 2019 :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 2151-7 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Tout organisme qui assure, à des fins de recherche, la conservation d'embryons ou de cellules souches embryonnaires doit être titulaire d'une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine. / (...) / Les organismes mentionnés au premier alinéa ne peuvent céder des embryons ou des cellules souches embryonnaires qu'à un organisme titulaire d'une autorisation délivrée en application du présent article ou de l'article L. 2151-5. L'Agence de la biomédecine est informée préalablement de toute cession. ". Il résulte de ces dispositions, dans leur rédaction antérieure à la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, que tout organisme qui assure, à des fins de recherche, la conservation d'embryons doit être titulaire d'une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine. En outre, aux termes de l'article R. 2151-19 du même code : " Le directeur général de l'agence de la biomédecine autorise la conservation d'embryons et de cellules souches embryonnaires, après avis du conseil d'orientation, pour une durée déterminée, qui ne peut excéder cinq ans, renouvelable dans les mêmes conditions. (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " I. - Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si : / 1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ; / 2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s'inscrit dans une finalité médicale ; / 3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ; / 4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. / (...) / III. - Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. (...) ". Aux termes de l'article R. 2151-1 du même code : " Le directeur général de l'Agence de la biomédecine peut autoriser, dans les conditions fixées par l'article L. 2151-5, un protocole de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires, après avis du conseil d'orientation, pour une durée déterminée qui ne peut excéder cinq ans, renouvelable dans les mêmes conditions ". En outre, l'article R. 2151-3 du même code alors applicable prévoit que : " I. - Seuls peuvent obtenir l'autorisation de procéder à une recherche sur l'embryon : / 1° Les établissements publics de santé et les laboratoires de biologie médicale autorisés à conserver des embryons en application de l'article L. 2142-1, ainsi que les établissements autorisés à pratiquer le diagnostic préimplantatoire en application de l'article L. 2131-4 ; / 2° Les établissements et organismes ayant conclu une convention avec l'un au moins des établissements ou laboratoires mentionnés au 1° (...) " et l'article L. 2142-1 du même code auquel il est renvoyé dispose que : " (...) / A l'exception de l'insémination artificielle et de la stimulation ovarienne, les activités, tant cliniques que biologiques, d'assistance médicale à la procréation doivent être autorisées suivant les modalités prévues par les dispositions du chapitre II du titre II du livre Ier de la partie VI du présent code. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 2142-1 du même code : " Les activités cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation mentionnées à l'article L. 2142-1 comprennent : (...) / 2° Les activités biologiques suivantes : (...) / f) Conservation des embryons en vue d'un projet parental ou en application du 2° du II de l'article L. 2141-4 ; (...) ". En vertu de ce renvoi opéré au 2° du II de l'article L. 2141-4 du code de la santé publique, les activités biologiques d'assistance médicale à la procréation comprennent également la conservation des embryons pour lesquels les membres du couple, en cas d'arrêt du projet parental, ou le membre survivant, en cas de décès, ont consenti à ce qu'ils fassent l'objet d'une recherche dans les conditions prévues à l'article L. 2151-5 du même code[0].
6. Il résulte notamment des dispositions précitées qu'il revient à l'Agence de la biomédecine, compétente pour délivrer, suspendre ou retirer les autorisations de conservation et les autorisations de recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires humaines, et à laquelle l'article R. 2151-11 du code de la santé publique confie la tenue d'un registre national des embryons et cellules souches embryonnaires permettant d'établir le lien entre les données résultant des autorisations de conservation et celles résultant des autorisations de recherche, de vérifier que l'autorisation de conservation de l'organisme le cas échéant sollicité pour la remise des embryons ou cellules souches embryonnaires humaines destinés à la recherche soumise à son autorisation est en cours de validité, à la date à laquelle cette autorisation est accordée et tout au long de la période pour laquelle elle l'est, et que ni sa suspension ni son retrait ne sont engagés.
7. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de recherche sur des embryons a été présentée par une équipe de recherche de l'INSERM appartenant au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes et que les embryons seront fournis par le service de médecine du développement et de biologie de la reproduction du CHU, lequel dispose, en vertu d'un arrêté du 14 février 2018 du directeur général de l'Agence régionale de santé des Pays de la Loire, d'une autorisation d'exercer des activités biologiques d'assistance médicale à la procréation comprenant la " conservation des embryons en vue d'un projet parental " en application de l'article L. 2142-1 du code de la santé publique précité. Contrairement à ce que fait valoir l'Agence de la biomédecine, et en dépit de la définition des activités biologiques d'assistance médicale à la procréation résultant du 2° de l'article R. 2142-1 du même code, une telle autorisation, qui porte sur l'activité de conservation des embryons à des fins biologiques d'assistance médicale à la procréation, n'avait pas pour objet d'autoriser la conservation desdits embryons à des fins de recherche et ne dispensait pas le CHU de Nantes de la détention d'une autorisation de conservation à des fins de recherche délivrée par l'Agence de la biomédecine, ainsi que l'exigeaient les dispositions précitées de l'article L. 2151-7 du code de la santé publique dans leur rédaction antérieure à la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique. Par suite, et dès lors que le CHU de Nantes, sollicité pour la remise des embryons destinés à la recherche, ne disposait pas d'une autorisation de conservation à des fins de recherche en cours de validité, l'Agence de la biomédecine ne pouvait valablement délivrer une autorisation de recherche sur ces embryons.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni sur les autres moyens de la requête dirigés contre la décision contestée, que la Fondation Jérôme Lejeune est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Fondation Jérôme Lejeune et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par l'Agence de la biomédecine et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1914047 du 30 novembre 2021 du tribunal administratif de Montreuil et la décision du 15 juillet 2019 de l'Agence de la biomédecine sont annulés.
Article 2 : L'Agence de la biomédecine versera une somme de 1 500 euros à la Fondation Jérôme Lejeune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'Agence de la biomédecine au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine et à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2023.
La rapporteure,
G. A...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
A. DUCHERLa République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00425