Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 8 avril 2019 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé la société Goliver Therapeutics à importer une lignée de cellules souches embryonnaires humaines à des fins de recherche en provenance de la société Biotime, située aux Etats-Unis.
Par un jugement n° 1908494 du 9 avril 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 juin 2021 et le 2 mai 2022, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Hourdin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1908494 du 9 avril 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du
8 avril 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour insuffisance de motivation quant au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2151-16 du code de la santé publique, faute pour l'Agence de la biomédecine de s'être assurée du respect des informations relatives au conditionnement des cellules souches embryonnaires ;
- le jugement est irrégulier pour insuffisance de motivation quant au moyen tiré de la méconnaissance de l'ensemble des principes éthiques prévus aux articles 16 à 16-8 du code civil ; les premiers juges ont omis de vérifier le respect par la décision attaquée des principes de primauté et de dignité de la personne, de l'inviolabilité du corps humain et du respect de son intégrité ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions des articles R. 2151-15 et R. 2151-16 du code de la santé publique dès lors qu'elle ne mentionne pas l'adresse de l'organisme fournisseur des cellules souches embryonnaires ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article R. 2151-16 du code de la santé publique, faute pour l'Agence de la biomédecine de s'être assurée du respect des informations relatives au conditionnement des cellules souches embryonnaires ;
- la décision méconnaît les dispositions des articles L. 2151-6 et R. 2151-13 du code de la santé publique et les articles 16 à 16-8 du code civil dès lors que, d'une part, l'Agence de la biomédecine ne s'est pas assurée de l'existence effective du consentement donné par le couple géniteur et que, d'autre part, il n'est pas établi que la cession des cellules souches embryonnaires aurait été réalisée à titre gratuit ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 18 § 1 de la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 et les premiers juges ont commis une erreur de droit en écartant ce moyen comme inopérant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2021, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la Fondation Jérôme Lejeune ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 9 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 31 juillet 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;
- le code de la santé publique ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- les observations de Me Hourdin, représentant la Fondation Jérôme Lejeune,
- et les observations de Me de Cénival, représentant l'Agence de la biomédecine.
Considérant ce qui suit :
1. Le 30 novembre 2018, la société Goliver Therapeutics a déposé une demande d'autorisation d'importation d'une lignée de cellules souches embryonnaires humaines auprès de de l'Agence de la biomédecine. Par une décision du 8 avril 2019, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a fait droit à cette demande et a autorisé la société Goliver Therapeutics à importer une lignée de cellules souches embryonnaires humaines en provenance de la société Biotime située aux Etats-Unis, destinée à des recherches ayant pour finalité l'étude de la thérapie cellulaire des maladies du foie avec des hépatocytes générés à partir de cellules souches embryonnaires de grade GMP (" good manufacturing practices "). La Fondation Jérôme Lejeune a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'un recours tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement du 9 avril 2021, dont la Fondation Jérôme Lejeune relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. D'une part, il ressort du point 6 du jugement attaqué que les premiers juges ont retenu que l'article R. 2151-16 du code de la santé publique ne pouvait être utilement invoqué à l'appui de conclusions tendant à l'annulation d'une autorisation d'importation de cellules souches embryonnaires dès lors que ces dispositions réglementent les opérations d'importation, lesquelles interviennent nécessairement postérieurement à l'autorisation d'importation et n'en conditionnent pas la délivrance. Par suite, les premiers juges ont précisé les motifs de fait retenus pour écarter le moyen comme inopérant et ont suffisamment motivé leur réponse à ce moyen.
4. D'autre part, il ressort des points 10 et 11 du jugement attaqué que le tribunal, qui n'étant pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par la Fondation Jérôme Lejeune, n'a pas omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 2151-6 et R. 2151-13 du code de la santé publique, en précisant les raisons pour lesquelles il a estimé que les principes éthiques tenant au consentement du couple du géniteur et au caractère gratuit du don d'embryon avaient été respectés. Par suite, les premiers juges ont suffisamment motivé leur réponse à ce moyen, en l'absence d'autres précisions fournies par la requérante quant à la méconnaissance d'autres principes éthiques.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2151-15 du code de la santé publique dans sa version applicable à la date de la décision attaquée : " Le directeur général de l'Agence de la biomédecine autorise l'importation et l'exportation de cellules souches embryonnaires à des fins de recherche, après avis du conseil d'orientation. Cette autorisation est valable pour une durée de deux ans. / Cette autorisation est délivrée pour chaque opération envisagée et comporte les informations mentionnées à l'article R. 2151-16. (...) ". Aux termes de l'article R. 2151-16 du même code alors applicable : " Toute opération d'importation ou d'exportation à des fins de recherche, à l'exclusion du transit et de l'emprunt du territoire douanier à l'occasion d'un transfert entre deux autres Etats membres de l'Union européenne, de cellules souches embryonnaires est subordonnée à l'apposition sur le conditionnement extérieur des informations suivantes : / 1° La mention "cellules souches embryonnaires ;" / 2° La désignation des cellules concernées ; / 3° L'usage auquel ces cellules sont destinées ; / 4° Pour l'importation, le nom et l'adresse de l'organisme étranger fournisseur, de l'organisme autorisé à importer et du destinataire (...) ".
6. D'une part, il ressort des termes de la décision attaquée que la lignée de cellules souches embryonnaires (ESI-017) dont l'importation est sollicitée a été fournie par la société Biotime située aux Etats-Unis. Si l'adresse de la société n'y est pas expressément mentionnée, cette information figure dans le dossier de demande d'autorisation d'importation précisant que le siège de la société se situe " 1010 Atlantic Avenue, Suite102 Alameda, CA 94501, Etats-Unis ". Dès lors que la décision contestée a été prise au vu de cette demande et qu'elle s'y réfère en énonçant notamment que l'importation de la lignée de cellules souches embryonnaires est autorisée " dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation ", le moyen tiré de l'irrégularité de l'absence de mention relative à l'adresse de l'organisme étranger fournisseur dans ladite décision doit être écarté.
7. D'autre part, les dispositions précitées de l'article R. 2151-16 du code de la santé publique relatives aux informations apposées sur le conditionnement extérieur des cellules souches embryonnaires ont pour objet de garantir l'identification du colis lors des opérations d'importation, une fois l'autorisation accordée. Dès lors, elles ne sont pas au nombre des dispositions auxquelles la délivrance d'une autorisation d'importation de cellules souches embryonnaires est subordonnée. Par suite, et ainsi que l'ont retenu les premiers juges, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 2151-16 du code de la santé publique ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " L'importation de cellules souches embryonnaires aux fins de recherche est soumise à l'autorisation préalable de l'Agence de la biomédecine. Cette autorisation ne peut être accordée que si ces cellules souches ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article R. 2151-13 du même code alors applicable : " Tout organisme qui importe ou exporte des cellules souches embryonnaires doit être en mesure de justifier qu'elles ont été obtenues dans le respect des principes mentionnés aux articles 16 à 16-8 du code civil, avec le consentement préalable du couple géniteur de l'embryon qui a été conçu dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et ne fait plus l'objet d'un projet parental, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, n'ait été alloué au couple. ".
9. Aux termes de l'article 16 du code civil : " La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. ". Aux termes de l'article 16-1 du même code : " Chacun a droit au respect de son corps. / Le corps humain est inviolable. / Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. ". Aux termes de l'article 16-3 du même code : " Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. / Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. ". Aux termes de l'article 16-5 du même code : " Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. ". Aux termes de l'article 16-6 du même code : " Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci. ". Enfin, aux termes de l'article 16-8 du même code : " Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur. / En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l'identification de ceux-ci. ".
10. Il résulte de ces dispositions que l'Agence de la biomédecine ne peut délivrer une autorisation d'importation de cellules souches embryonnaires sur le fondement de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique que si l'organisme qui sollicite l'autorisation est en mesure d'attester qu'elles proviennent de cellules obtenues à partir d'un embryon ayant fait l'objet d'un consentement préalable au don, à titre gratuit, par le couple dont il est issu.
11. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la lignée de cellules souches embryonnaires en cause (lignée ESI-017) a fait l'objet d'une précédente importation au profit de la société Goliver Therapeutics en vertu d'une autorisation délivrée le 11 décembre 2014 par l'Agence de la biomédecine qui s'est assurée à cette occasion du recueil du consentement préalable du couple dont l'embryon est issu, au vu notamment d'un courrier du 28 avril 2014 versé aux débats et rédigé par la société Esi Bio, division de la société Biotime, attestant que le couple, pleinement informé, avait consenti au don d'un embryon surnuméraire pour la recherche. A l'appui de sa nouvelle demande d'autorisation d'importation, la société Goliver Therapeutics a produit un article intitulé " The generation of six clinical-grade human embryonic stem cell lines " publié dans la revue scientifique " Cell stem cells " en novembre 2007 décrivant la procédure de recueil préalable du consentement mise en œuvre ainsi que les formulaires-types d'information et de recueil des consentements destinés au couple géniteur et utilisés aux différents stades de la procédure (don d'embryon, dérivation des cellules et utilisation des cellules à des fins de recherche) par l'organisme australien " Sydney In vitro Fertilisation ", bénéficiaire du don d'embryon. Etait également joint à la demande d'autorisation d'importation un extrait du registre américain du National Institue of Health (NIH) attestant que la lignée ESI-17 est inscrite sur ce registre, dont les lignes directrices versées aux débats subordonnent l'inscription au respect de certains principes essentiels dont celui du consentement écrit et volontaire du couple géniteur de l'embryon, objet du don à la recherche. Dans ces conditions, l'Agence de la biomédecine a pu valablement considérer que les éléments produits par la société Goliver Therapeutics attestaient du recueil effectif du consentement préalable du couple et de ce que la lignée ESI-017 avait été obtenue dans le respect des principes fondamentaux prévus par l'article 16-3 du code civil.
12. D'autre part, il ressort du courrier de la société Esi Bio, division de la société Biotime, du 28 avril 2014 et de l'article de revue scientifique " The generation of six clinical-grade human embryonic stem cell lines " publié en novembre 2007 que la lignée ESI-017 a été dérivée par l'organisme australien " Sydney In vitro Fertilisation " à partir du don d'un embryon consenti, à titre gratuit, par le couple géniteur. En outre, les formulaires-types d'information et de recueil du consentement utilisés par cet organisme répondent aux exigences du principe de gratuité du don de l'embryon à la recherche. Enfin, si la Fondation Jerôme Lejeune se prévaut du fait que la lignée ESI-17 est commercialisée sur le site internet de la société Biotime pour un montant de 950 dollars, il ressort des pièces du dossier qu'une telle somme, eu égard à son faible montant, ne pouvait avoir pour objet que d'assurer le dédommagement des frais engagés par cette société au titre du conditionnement, de la conservation et de l'expédition de la lignée. Par suite, la Fondation Jérome Lejeune n'est pas fondée à soutenir que l'autorisation attaquée méconnaîtrait le principe de non-patrimonialité du corps humain prévu par l'article 16-5 du code civil.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article 18 paragraphe 1 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, ou convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 : " Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon. ".
14. Ainsi que l'ont retenu les premiers juges, cette stipulation requiert l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers et est, dès lors, dépourvue d'effet direct. Par suite, la Fondation Jérôme Lejeune ne peut utilement l'invoquer à l'appui de ses conclusions.
15. Il résulte de ce qui précède que la Fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Agence de la biomédecine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Fondation Jérôme Lejeune et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune le versement d'une somme de 1 500 euros à l'Agence de la Biomédecine sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Fondation Jérôme Lejeune est rejetée.
Article 2 : La Fondation Jérôme Lejeune versera une somme de 1 500 euros à l'Agence de la biomédecine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine, à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale et à la société Goliver Therapeutics.
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2023.
La rapporteure,
G. A...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
A. DUCHERLa République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA03028