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27/01/2023 | FRANCE | N°22PA04014

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 27 janvier 2023, 22PA04014


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 16 juin 2022 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités bulgares.

Par un jugement n° 2214130 du 5 août 2022, le magistrat désigné a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 août 2022, le préfet de police demande

à la Cour d'annuler le jugement du 5 août 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal admini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 16 juin 2022 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités bulgares.

Par un jugement n° 2214130 du 5 août 2022, le magistrat désigné a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 août 2022, le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugement du 5 août 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de M. D....

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier pour n'être pas motivé, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- les moyens soulevés par M. D... dans sa demande de première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2022, M. D..., représenté par Me Pafundi, demande à la Cour :

1°)de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) à titre principal, de prononcer un non-lieu à statuer ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête du préfet de police ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- il n'y plus lieu de statuer sur la requête dès lors le préfet de police lui a délivré une attestation de demande d'asile en procédure normale et que sa demande d'asile est pendante devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;

- c'est à juste titre que le tribunal a retenu comme fondé le moyen tiré de la méconnaissance des articles 24 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013.

- les moyens de la requête du préfet de police ne sont pas fondés.

Par une décision du 7 novembre 2022, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a accordé à M. D... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant afghan né le 10 février 1996 à Lôgar, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 17 mai 2022. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait présenté le 5 avril 2022 une demande d'asile auprès des autorités bulgares, le préfet de police a adressé à ces autorités, le 23 mai 2022, une demande de reprise en charge de M. D... en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités bulgares ont tacitement acceptée le 7 juin 2022. Le préfet de police a décidé du transfert de M. D... aux autorités bulgares par un arrêté du 16 juin 2022. Par sa requête, le préfet de police relève appel du jugement n° 2214130 du 5 août 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté de transfert du 16 juin 2022 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D....

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire présentée par l'intimé :

2. Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. D... tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire dès lors que l'aide juridictionnelle totale lui a été accordée par une décision du 7 novembre 2022.

Sur l'exception de non-lieu :

3. Si M. D... soutient que le préfet de police lui a délivré une attestation de demande d'asile en procédure normale le 27 septembre 2022 et que sa demande d'asile a été ultérieurement enregistrée auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, ces mesures sont intervenues en exécution du jugement du 5 août 2022 ainsi que d'un second jugement du 26 septembre 2022 ayant annulé le nouvel arrêté de transfert pris par le préfet pour exécuter le jugement attaqué du 5 août 2022, et n'excèdent pas, dans ces circonstances, ce qui était nécessaire à l'exécution de ce premier jugement. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer soulevée par M. D... doit être écartée.

Sur la régularité du jugement :

4. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

5. Il ressort de l'examen du jugement qu'après avoir visé les moyens soulevés par M. D... dans ses écritures ainsi que les observations à la barre de son conseil, le magistrat désigné a décrit, au point 1 des considérants, la nature du litige, accordé au point 2 le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a répondu aux conclusions aux fins d'annulation par un point 3, unique, ainsi rédigé : " Il résulte de ce qui précède, [en] pour ce seul motif, que M. D... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 16 juin 2022 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités bulgares ". Si M. D..., en réponse au moyen tiré du défaut de motivation, fait valoir que le moyen retenu est celui tiré de la méconnaissance des articles 24 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé, il n'est pas possible d'inférer des motifs ci-avant décrits le moyen accueilli par le magistrat désigné pour annuler l'arrêté du 16 juin 2022. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que le jugement dont s'agit est irrégulier pour ne pas satisfaire aux conditions de l'article L. 9 du code de justice administrative, et à en demander l'annulation.

6. Il y a lieu, pour la Cour, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Paris et la Cour tendant à l'annulation de la décision portant transfert auprès des autorités bulgares pour l'examen de sa demande d'asile.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

7. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-00991 du 27 septembre 2021 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2021-505 du 27 septembre 2021, le préfet de police a donné à Mme C... B..., attachée principale d'administration de l'Etat, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'ont pas été absentes ou empêchées lors de la signature de l'acte attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

9. L'arrêté attaqué par lequel le préfet de police a décidé le transfert de M. D... aux autorités bulgares, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, vise notamment le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Il indique qu' " il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. D... au moyen du système Eurodac, effectuée conformément au règlement n° 603/2013 (...), que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités bulgares le 5 avril 2022 et autrichiennes le 30 avril 2022 ", que les autorités autrichiennes avaient refusé de le reprendre en charge au motif que les autorités bulgares étaient responsables du traitement de sa demande d'asile, puis qu' " en application de l'article 3 et de l'article 18 (1) (b) du règlement n° 604/2013, les autorités bulgares doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. D... " et qu'enfin, ces autorités, après avoir été saisies le 23 mai 2022, " ont accepté leur responsabilité par un accord tacite du 7 juin 2022 en application de l'article 25-2 du règlement susvisé ". Par ailleurs, le préfet de police a précisé que " l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. D... ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ". Par suite, cet arrêté est suffisamment motivé.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement [...]. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 [...] ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu remettre, contre signature, la brochure dite " A " (" J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ") et la brochure dite " B " (" Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' "). Il n'est pas établi que ces documents, rédigés en langue pachto, et remis à M. D... les 16 et 17 mai 2022, ne comportaient pas l'ensemble des éléments d'information énumérés par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, alors qu'il est indiqué, au-dessus de la signature apposée par le requérant sur chacun des documents, le nombre de pages qu'ils comportaient. Si M. D... fait valoir que les brochures devaient être remises dans une langue qu'il comprend, les documents remis étaient rédigés en pachto, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. En outre, M. D... a signé le résumé de l'entretien individuel, et a déclaré " avoir compris l'ensemble des termes de cet entretien ". Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".

13. La conduite de l'entretien par une personne qualifiée en vertu du droit national constitue, pour le demandeur d'asile, une garantie. Il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu de cet entretien versé au dossier par le préfet de police, que M. D... a bénéficié d'un entretien individuel le 17 mai 2022 dans les locaux de la préfecture de police, que cet entretien a été réalisé par le truchement d'un interprète en langue pachto, langue que l'intéressé a déclaré comprendre et qu'il a ainsi eu la possibilité de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. L'intéressé ne fait état devant la Cour d'aucun élément laissant supposer que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Si le résumé de l'entretien individuel, dont l'intéressé a eu connaissance comme l'atteste l'apposition de sa signature, ne mentionne pas le nom et la qualité de l'agent qui a conduit l'entretien, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été reçu par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale en charge de l'asile à la préfecture de police. Dès lors que l'entretien de M. D... a été mené par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Par ailleurs, il ne résulte ni des dispositions du règlement (UE) du 26 juin 2013, ni d'aucune autre disposition législative ou règlementaire que l'agent chargé de mener l'entretien individuel en vue de déterminer l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, devrait bénéficier d'une délégation de signature du préfet de police. En outre, aucune disposition n'impose de mentionner dans ce résumé la durée de l'entretien, la possibilité de procéder à une relecture dudit résumé ou la possibilité pour le conseil de l'intéressé d'en solliciter la communication. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de police aurait méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

14. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point précédent, qu'un entretien individuel a été accordé à M. D... à l'occasion duquel l'intéressé a pu faire part de sa situation personnelle et de ses conditions d'entrée. M. D..., qui a signé le procès-verbal de son audition sur lequel a été apposée la mention " Observations : l'administré n'a pas d'autre déclaration ", n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'il aurait été empêché de présenter des observations écrites ou aurait été privé d'une procédure contradictoire ou du droit d'être entendu. Le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration doit dès lors en tout état de cause être écarté.

15. En sixième lieu, d'une part, aux termes de l'article 23 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un Etat membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre Etat membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013 [...] 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'Etat membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale [...] ". Aux termes de l'article 25 du même règlement : " 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

16. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " Dublinet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Aux termes de l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement [...]. / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

17. Il résulte des dispositions du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " Dublinet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux mois au terme duquel la demande de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier " Eurodac " et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.

18. En l'espèce, le préfet de police a versé au dossier la copie de la réponse automatique d'accusé de réception du point d'accès bulgare Dublinet depuis l'adresse " bgdub@nap01.bg.dub.testa.eu ", émise le 23 mai 2022, et portant la référence 29930580935-750, correspondant au dossier de M. D.... Cet accusé de réception, bien qu'émis automatiquement par l'adresse électronique du point d'accès bulgare, permet de regarder les autorités françaises comme ayant saisi dès le 23 mai 2022, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac, daté du 16 mai 2022, les autorités bulgares de la requête aux fins de reprise en charge de M. D.... Par ailleurs, le préfet produit en appel le formulaire intitulé " Constat d'un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " et délivré par l'application Dublinet, lequel comporte le même numéro de référence du dossier de M. D... et atteste de la naissance, le 7 juin 2022, d'un accord implicite de reprise des autorités bulgares en application de l'article 25-2 du règlement (UE) n° 604/2013. Par suite, le moyen tiré de ce que les autorités bulgares n'auraient pas valablement été saisies par les autorités françaises doit être écarté.

19. En septième lieu, les dispositions de l'article 24 du règlement n° 604/2013 régissent la procédure applicable aux requêtes aux fins de reprise en charge lorsque aucune nouvelle demande d'asile n'a été introduite dans l'Etat membre procédant au transfert de l'intéressé. La situation de M. D... ne relevant pas de ces dispositions, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 du règlement n°604/2013 comme inopérant.

20. En huitième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 26 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté comme inopérant, les conditions de notification de l'arrêté préfectoral portant remise aux autorités bulgares étant par elles-mêmes sans influence sur sa légalité.

21. En neuvième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Si la commission estime qu'un Etat membre a manqué à l'une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé après avoir mis cet Etat en mesure de présenter ses observations ".

22. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

23. D'une part, ni la circonstance que la Commission européenne a adressé aux autorités bulgares, le 8 novembre 2018, une lettre de mise en demeure sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, puis, a transmis, le 29 juillet 2019, un avis motivé pour transposition incomplète de la directive n° 2013/32/UE de refonte sur les procédures d'asile, ni les rapports généraux produits par l'appelant, ne permettent d'établir l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, alors que, ainsi que le fait valoir le préfet de police, la Commission européenne n'a pas recommandé de suspendre les transferts des demandeurs d'asile vers cet Etat. D'autre part, si M. D... soutient avoir subi des traitements inhumains et dégradants en Bulgarie, il n'a jamais fait état de telles circonstances lors de l'entretien individuel dont il a bénéficié le 17 mai 2022 cependant que si le médecin l'ayant examiné fait le constat de diverses traces physiques et cicatrices, ce même médecin, s'agissant de leur origine, se borne à faire le seul constat de la compatibilité de ces cicatrices avec le récit du patient dont il se contente de retranscrire les dires. Dans ces conditions, ces seuls constats ne sauraient suffire à établir que les cicatrices en cause sont effectivement dues aux violences dont M. D... prétend avoir été l'objet en Bulgarie, ni de leur origine géographique, eu égard notamment au parcours migratoire allégué par l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

24. En dernier lieu, M. D... soutient que sa demande d'asile sera nécessairement rejetée en cas de transfert dans cet Etat et qu'il sera renvoyé en Afghanistan, pays caractérisé par une violence généralisée. Toutefois, M. D... n'établit pas qu'il serait soumis à des menaces personnelles en cas de retour en Afghanistan. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 paragraphe 1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu'être écartés.

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 16 juin 2022 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D.... Les conclusions de la demande présentée par ce dernier devant le tribunal administratif de Paris, de même que ses conclusions présentées devant la Cour.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire présentée par M. D....

Article 2 : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2214130 du 5 août 2022 du magistrat désigné par le tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. D... devant la Cour sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mohammad Arif D... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Perroy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 janvier 2023.

Le rapporteur,

G. A...

La présidente,

H. VINOT

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22PA04014


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04014
Date de la décision : 27/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Gilles PERROY
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : ANGLADE et PAFUNDI A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-01-27;22pa04014 ?
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