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27/01/2023 | FRANCE | N°22PA04009

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 27 janvier 2023, 22PA04009


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 21 juin 2022 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités bulgares.

Par un jugement n° 2214248 du 5 août 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du préfet de police du 21 juin 2022, a enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M.

B... dans un délai de trois mois et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... ou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 21 juin 2022 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités bulgares.

Par un jugement n° 2214248 du 5 août 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du préfet de police du 21 juin 2022, a enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de trois mois et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... ou à son conseil d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 août 2022, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris du 5 août 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a fait droit au moyen tiré de la méconnaissance des articles 23 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 au motif que l'administration n'établit pas avoir saisi les autorités bulgares dans le délai imparti ;

- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er décembre 2022, M. B..., représenté par Me Pafundi, demande à la Cour de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, à titre principal, de prononcer un non-lieu à statuer et, à titre subsidiaire, de rejeter la requête et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'y a plus lieu de statuer sur la requête dès lors que sa demande est en cours d'examen devant l'OFPRA ;

- il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités bulgares compétentes auraient été régulièrement saisies ;

- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013, l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et procède d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 17 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 6 mai 1999 au Nangarhar (Afghanistan), a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Après avoir été informé par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé que M. B... avait été enregistré comme demandeur d'asile en Bulgarie, le 14 avril 2022, puis en Autriche, le 8 mai 2022, le préfet de police a saisi les autorités autrichiennes et bulgares d'une demande de reprise en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités bulgares ayant implicitement accepté, le 14 juin 2022, de reprendre en charge M. B..., le préfet de police a décidé le transfert de celui-ci par un arrêté du 21 juin 2022. Le préfet de police relève régulièrement appel du jugement du 5 août 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, en ses articles 2, 3 et 4, a annulé son arrêté du 21 juin 2022, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de trois mois et à mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions tendant à l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. M. B... ayant été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 17 novembre 2022, ses conclusions tendant à son admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire, présentées dans son mémoire en défense enregistré le 1er décembre 2022, sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense :

3. Contrairement à ce que soutient M. B..., l'enregistrement de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la circonstance que le préfet de police lui a, en exécution de l'injonction prononcée à l'article 3 du jugement attaqué, délivré une attestation de demande d'asile, ne privent pas d'objet l'appel du préfet de police contre ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :

4. D'une part, aux termes de l'article 23 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un Etat membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre Etat membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013 [...] 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'Etat membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale [...] ". Aux termes de l'article 25 du même règlement : " 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

5. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " Dublinet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Aux termes de l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement [...]. / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ".

6. Il résulte des dispositions du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " Dublinet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux mois au terme duquel la demande de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier " Eurodac " et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.

7. En l'espèce, le préfet de police verse au dossier, pour la première fois en appel, la copie de la réponse automatique d'accusé de réception du point d'accès bulgare Dublinet depuis l'adresse " bgdub@nap01.bg.dub.testa.eu ", émise le 30 mai 2022, et portant la référence 9930582523, correspondant au dossier de M. B.... Cet accusé de réception, bien qu'émis automatiquement par l'adresse électronique du point d'accès bulgare, permet de regarder les autorités françaises comme ayant saisi dès le 30 mai 2022, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac, daté du 19 mai 2022, les autorités bulgares de la requête aux fins de reprise en charge de M. B.... Les autorités bulgares ont donc implicitement donné leur accord à cette reprise en charge le 14 juin 2022. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a accueilli le moyen tiré de ce que les autorités bulgares n'auraient pas valablement été saisies par les autorités françaises.

8. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. B... :

9. En premier lieu, par un arrêté n° 2022-00263 en date du 18 mars 2022, régulièrement publié le 25 mars 2022 au Bulletin officiel de la Ville de Paris, le préfet de police a donné délégation à M. A... D..., attaché d'administration de l'Etat, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

11. L'arrêté litigieux, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait de la situation de M. B..., en rappelant notamment que le relevé de ses empreintes a révélé qu'il avait sollicité l'asile auprès des autorités bulgares et des autorités autrichiennes et que les autorités bulgares, saisies d'une demande de reprise en charge sur en application de l'article 18 (1) (b) de ce règlement, ont implicitement donné leur accord le 14 juin 2022. Cette mention est suffisante pour permettre à M. B..., le cas échéant, de contester utilement la compétence de la Bulgarie au regard des critères fixés par le règlement. L'arrêté précise également que M. B... ne relève pas des clauses dérogatoires des articles 3-2 et 17 du règlement, qu'il ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale, et enfin qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de sa demande d'asile. Cet arrêté satisfait ainsi aux exigences de motivation résultant des dispositions citées ci-dessus.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tous cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

13. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre en temps utile, les 19 et 20 mai 2022, la brochure " A ", intitulée " J'ai demandé l'asile dans un pays de l'Union européenne ", et la brochure " B ", intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ", en langue pachtou qu'il a déclaré comprendre, et que ces documents étaient complets. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté. Par ailleurs, aucune disposition n'obligeait le préfet de police à remettre spontanément à M. B..., avant de prendre sa décision, les fiches décadactylaires Eurodac.

14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

15. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel mené dans les locaux de la préfecture de police, le 20 mai 2022. Le résumé de cet entretien, établi le jour même et versé au dossier par le préfet, sur lequel est apposé la signature de M. B... et le cachet de la préfecture, mentionne que l'entretien a été mené par un agent du 12ème bureau de la délégation à l'immigration de la préfecture de police, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national. En effet, aucun principe ni aucune disposition légale ou réglementaire n'impose la mention, sur le résumé de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. En vertu des dispositions de l'article R. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police était compétent pour enregistrer la demande d'asile de M. B... et procéder à la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande. Dans ces conditions, les services du préfet de police, et en particulier les agents recevant les étrangers, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement du 26 juin 2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Par ailleurs, M. B... ne saurait se plaindre de ce que la durée de l'entretien n'est pas précisée dans le compte rendu. S'il fait valoir que ce compte rendu ne fait pas mention de la possibilité de le relire avant de le signer, il n'établit pas avoir été privé de cette possibilité. Il n'établit pas davantage que lui-même et son conseil auraient été empêchés d'en avoir communication en temps utile.

16. D'autre part, il n'est pas contesté que M. B... a bénéficié lors de son entretien individuel, ainsi que le permettent les dispositions citées ci-dessus, des services d'un interprète en langue pachtou, qu'il a déclaré comprendre, provenant de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles l'entretien s'est déroulé auraient privé M. B... de la possibilité de faire valoir toute observation utile ou n'auraient pas permis d'en assurer la confidentialité.

17. En cinquième lieu, les dispositions de l'article 24 du règlement n° 604/2013 régissent la procédure applicable aux requêtes aux fins de reprise en charge lorsque aucune nouvelle demande d'asile n'a été introduite dans l'Etat membre procédant au transfert de l'intéressé. La situation de M. B... ne relevant pas de ces dispositions dès lors qu'il a présenté une demande d'asile aux autorités françaises, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 du règlement n° 604/2013 comme inopérant.

18. En sixième lieu, l'ensemble des règles applicables aux décisions de transfert sont entièrement déterminées par l'article 5 du règlement n° 604/2013 ainsi que par les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ne peuvent donc être utilement invoquées à l'encontre d'une telle décision. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté comme inopérant. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit aux points 14 et 15 que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel et qu'il a pu faire valoir ses observations.

19. En septième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. (...) / 2. La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'Etat membre responsable. (...) ".

20. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 26 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté comme inopérant dès lors qu'il ne concerne pas la légalité de l'arrêté en litige, les conditions de notification de l'arrêté préfectoral portant remise aux autorités bulgares étant en elles-mêmes sans influence sur sa légalité.

21. En huitième lieu, aux termes de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, comme de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

22. Par ailleurs, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". L'article 17 du règlement prévoit que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

23. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

24. En se bornant à se prévaloir, d'une part, des circonstances que la Commission européenne a adressé aux autorités bulgares, le 8 novembre 2018, une lettre de mise en demeure sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et d'autre part, d'articles de presse et de rapports émanant d'organisations non gouvernementales internationales sur la situation des réfugiés en Bulgarie, M. B... n'établit pas qu'il existait, à la date de l'arrêté attaqué, un non-respect des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, alors que, ainsi que le fait valoir le préfet de police, la Commission européenne n'a pas recommandé de suspendre les transferts des demandeurs d'asile vers cet Etat. Par ailleurs, M. B... n'établit pas qu'il serait confronté en Bulgarie à des traitements inhumains et dégradants en cas d'exécution de l'arrêté contesté.

Enfin, s'il soutient que sa demande d'asile sera nécessairement rejetée en cas de transfert dans cet Etat et qu'il sera renvoyé en Afghanistan, pays caractérisé par une violence généralisée, il ne fait en tout état de cause état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il serait personnellement exposé à des risques en cas de retour en Afghanistan. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 2 de l'article 3 et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ne peuvent qu'être écartés.

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 21 juin 2022, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de trois mois et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... ou à son conseil d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés à l'instance, et à demander en conséquence l'annulation des articles 2, 3 et 4 de ce jugement.

Sur les frais liés à l'instance :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. B..., au bénéfice de son conseil, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du 5 août 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et de l'Outre-mer et à M. C... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 27 janvier 2023.

La rapporteure,

C. E...La présidente,

H. VINOT

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA04009 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04009
Date de la décision : 27/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : ANGLADE et PAFUNDI A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-01-27;22pa04009 ?
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