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27/01/2023 | FRANCE | N°21PA06325

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 27 janvier 2023, 21PA06325


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le préfet de police lui a ordonné de se dessaisir de toutes les armes, éléments d'armes et munitions en sa possession, dans un délai de deux mois, lui a interdit d'acquérir ou de détenir des armes, éléments d'armes et munitions quelle que soit leur catégorie et a procédé à l'inscription de cette interdiction au fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes.

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n jugement n° 2106845/3-2 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a rej...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le préfet de police lui a ordonné de se dessaisir de toutes les armes, éléments d'armes et munitions en sa possession, dans un délai de deux mois, lui a interdit d'acquérir ou de détenir des armes, éléments d'armes et munitions quelle que soit leur catégorie et a procédé à l'inscription de cette interdiction au fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes.

Par un jugement n° 2106845/3-2 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 décembre 2021, M. F..., représenté par Me Sidobre, demande à la cour administrative d'appel de Paris :

1°) d'annuler le jugement n° 2106845/3-2 du 14 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 février 2021 par lequel le préfet de police lui a ordonné de se dessaisir de toutes les armes, éléments d'armes et munitions en sa possession, dans un délai de deux mois, lui a interdit d'acquérir ou de détenir des armes, éléments d'armes et munitions quelle que soit leur catégorie et a procédé à l'inscription de cette interdiction au fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté attaqué est signé par une autorité incompétente ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'un vice de procédure ;

- la procédure contradictoire préalable a été irrégulièrement menée ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit au regard de l'article L. 312-3 du code de la sécurité intérieure ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation des faits.

La requête a été communiquée le 15 décembre 2021 au préfet de police qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 25 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 12 septembre 2022 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sidobre, représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... F..., détenteur d'une arme de catégorie C de type fusil de chasse, a déposé le 19 août 2020 auprès des services de la préfecture de police une demande de renouvellement de sa carte européenne d'armes à feu. Par un arrêté du 24 février 2021, notifié par voie administrative le 26 février suivant, le préfet de police a d'une part, ordonné à M. F... de se dessaisir de l'ensemble de ses armes, éléments d'armes et munitions dans un délai de deux mois, d'autre part, lui a interdit d'acquérir ou de détenir des armes, éléments d'armes et munitions quelle que soit leur catégorie et enfin, l'a informé de l'inscription de cette interdiction dans le fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes. Par un jugement du 14 octobre 2021, dont M. F... fait appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 312-11 du code de la sécurité intérieure : " Sans préjudice des dispositions de la sous-section 1, le représentant de l'Etat dans le département peut, pour des raisons d'ordre public ou de sécurité des personnes, ordonner à tout détenteur d'une arme, de munitions et de leurs éléments de toute catégorie de s'en dessaisir. Le dessaisissement consiste soit à vendre l'arme, les munitions et leurs éléments à une personne titulaire de l'autorisation, mentionnée à l'article L. 2332-1 du code de la défense, ou à un tiers remplissant les conditions légales d'acquisition et de détention, soit à la remettre à l'Etat. Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités du dessaisissement. Sauf urgence, la procédure est contradictoire. Le représentant de l'Etat dans le département fixe le délai au terme duquel le détenteur doit s'être dessaisi de son arme, de ses munitions et de leurs éléments. ". Aux termes de l'article R. 312-67 du même code : " Le préfet ordonne la remise ou le dessaisissement de l'arme ou de ses éléments dans les conditions prévues aux articles L. 312-7 ou L. 312-11 lorsque : (...) 3° Il résulte de l'enquête diligentée par le préfet que le comportement du demandeur ou du déclarant est incompatible avec la détention d'une arme ; cette enquête peut donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ; (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 312-13 du code de la sécurité intérieure : " Il est interdit aux personnes ayant fait l'objet de la procédure prévue à la présente sous-section d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments de toute catégorie. Le représentant de l'Etat dans le département peut cependant décider de limiter cette interdiction à certaines catégories ou à certains types d'armes, de munitions et de leurs éléments. Cette interdiction est levée par le représentant de l'Etat dans le département s'il apparaît que l'acquisition ou la détention d'armes, de munitions et de leurs éléments par la personne concernée n'est plus de nature à porter atteinte à l'ordre public ou à la sécurité des personnes. ". L'article L. 312-3-1 de ce même code autorise par ailleurs l'autorité administrative à interdire l'acquisition et la détention des armes, munitions et de leurs éléments des catégories A, B et C aux personnes dont le comportement laisse craindre une utilisation dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui. L'article L. 312-16 du même code ajoute que : " Un fichier national automatisé nominatif recense : 1° Les personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes, de munitions et de leurs éléments en application des articles L. 312-10 et L. 312-13 ; (...) 3° Les personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes, de munitions et de leurs éléments des catégories A, B et C en application de l'article L. 312-3-1. (...) ".

4. En outre, aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-1 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ". Ces dispositions impliquent que l'intéressé ait été averti de la mesure que l'administration envisage de prendre et des motifs sur lesquels elle se fonde, et qu'il bénéficie d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Enfin, l'article L. 122-2 du même code dispose : " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ".

5. Le préfet de police a fondé sa décision sur les motifs tirés de ce que

M. F... s'était " signalé auprès des services de police pour plusieurs faits de violence conjugale, la dernière ayant nécessité une intervention à son domicile le 26 juillet 2018 (...) que ce comportement [est] de nature à laisser craindre une utilisation dangereuse de cette arme pour lui-même ou pour autrui, et s'avère donc incompatible avec la détention de celle-ci ".

6. En premier lieu, par un arrêté du 30 septembre 2020 NOR INTA2025523A, régulièrement publié au JORF n° 0240 du 2 octobre 2020, M. C... D..., sous-préfet hors classe, " a été reconduit dans les fonctions de sous-directeur de la citoyenneté et des libertés publiques à la direction de la police générale à la préfecture de police, pour une durée de deux ans, à compter du 8 octobre 2020 ". Par un arrêté n° 2020-00799 du 1er octobre 2020, publié au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2020-00799 de la préfecture de Paris du même jour, le

préfet de police a donné délégation à M. C... D... pour signer tous actes, arrêtés, décisions et pièces comptables, dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des armes. Par conséquent, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte contesté manque en fait. Il doit, par suite, être écarté.

7. En deuxième lieu, il convient d'écarter le moyen tiré l'insuffisante motivation de l'acte contesté par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Paris dans le jugement dont il est fait appel.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par une lettre du 11 décembre 2020, reçue le lendemain par M. F..., celui-ci a été informé de l'intention du préfet d'engager une procédure d'interdiction d'acquisition et de détention d'armes de toutes catégories à son encontre au motif que son comportement laissait objectivement craindre une utilisation dangereuse pour lui-même ou pour autrui des armes et munitions qu'il pourrait acquérir et détenir et s'avérait donc incompatible avec la détention de celles-ci au sens de l'article L. 312-3-1 précité du code de la sécurité intérieure. Cette lettre précisait en outre à l'intéressé qu'il s'était signalé auprès des services de police pour plusieurs faits de violences conjugales, de violences sur mineur et de menaces de morts circonstanciées, faits ayant conduit à l'intervention de ces mêmes services à son domicile le 26 juillet 2018 et à la saisie de son fusil Falcor sur décision du magistrat en charge de la procédure. Ce courrier l'invitait à présenter ses observations écrites ou orales, assisté, le cas échéant, de la personne de son choix, dans un délai de quinze jours. Par une lettre du 17 décembre 2020, M. F... a présenté des observations écrites et sollicité un délai supplémentaire pour transmettre les pièces de la procédure pénale mentionnée par l'administration. Le requérant a été reçu à la préfecture de police le 22 janvier 2021 pour déposer lesdites pièces et présenter des observations orales avec l'assistance d'un avocat.

9. M. F... soutient que la procédure contradictoire n'a pas été régulièrement menée puisque le compte-rendu de l'enquête administrative diligentée par le préfet de police en application des dispositions précitées de l'article R. 312-67 du code de la sécurité intérieure a été établi le 25 janvier 2021, soit postérieurement à son entretien en préfecture et qu'au surplus, celui-ci lui a pas été communiqué. Toutefois, la mesure en litige n'étant pas une sanction mais une mesure de police administrative, M. F... ne disposait d'aucun droit, en application de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, à communication du dossier le concernant et notamment du compte-rendu d'enquête. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que les faits retenus par le préfet de police pour fonder sa décision sont ceux sur lesquels M. F... avait été invité à formuler des observations. Dès lors que ce compte-rendu, soumis au contradictoire dans le cadre de la présente instance, ne comportait aucune conclusion ni préconisation mais se bornait à préciser les différents signalements de

M. F... dans le fichier des antécédents judiciaires, la circonstance que ce compte rendu ait été établi entre l'entretien en préfecture et l'édiction de la décision contestée est sans incidence sur la régularité de cette procédure. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la procédure contradictoire a été irrégulièrement menée doit être écarté.

10. En quatrième lieu, M. F... soutient qu'en visant dans sa décision l'article L. 312-3 du code de la sécurité intérieure, lequel impose à l'administration d'interdire l'acquisition et la détention d'armes, d'éléments d'armes et de munitions à toute personne dont le bulletin n° 2 de son casier judiciaire comporte une condamnation pour l'une des infractions qu'il énumère, dont les " violences volontaires prévues aux articles 222-7 et suivants du code (...) ", le préfet s'est senti en situation de compétence liée. Toutefois, il n'est à aucun moment fait mention de cette condamnation dans le bulletin n° 2 du casier judiciaire de l'intéressé, produit au dossier, qui porte au demeurant la mention " néant ", le tribunal correctionnel de Paris ayant fait " droit à la demande de non inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de la condamnation prononcée (...) ". Surtout, la motivation retenue par le préfet de police dans sa décision fait apparaitre, sans ambiguïté, que celui-ci a entendu faire application des articles L. 312-11 et L. 312-3-1 du code de la sécurité intérieure, lesquelles confèrent à l'administration un pouvoir d'appréciation sur la décision à prendre. En effet, le premier article conditionne le dessaisissement d'armes, éléments d'armes et munitions à l'existence de risques d'atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, et le second vise les personnes dont le comportement fait craindre une utilisation dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui. Par suite, contrairement à ce que soutient M. F..., le simple fait que l'article L. 312-3 du code de la sécurité intérieure soit visé dans la décision contestée ne signifie pas que le préfet de police se serait senti en situation de compétence liée pour prendre la décision contestée. Le moyen doit, par conséquent, être écarté.

11. En cinquième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. F... a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris le 6 juin 2019 à un emprisonnement délictuel de deux mois avec sursis et une mise à l'épreuve pendant deux ans impliquant des soins psychologiques en lien avec l'alcool, pour violences commises sur son épouse entre le 6 juillet 2018 et le 26 juillet 2018. Il ressort plus précisément des termes de ce jugement que lors de l'altercation survenue le 26 juillet 2018, M. F..., qui était sous l'emprise de l'alcool, est allé chercher des cartouches dans la cave de l'immeuble, puis a proféré des menaces de mort à l'égard de son épouse tout lui en faisant du chantage au suicide. Certes, le tribunal a fait droit à la demande de non inscription de cette condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire de l'intéressé. Toutefois, celle-ci était motivée par le fait que l'intéressé pourrait être amené à travailler dans l'administration. Il ressort, par ailleurs, des termes du rapport d'expertise psychiatrique réalisé lors de l'enquête de police que M. F... souffre " (d') un déficit de contrôle pulsionnel (...) (d') une intolérance à la frustration, (d') une instabilité psychique (...) ". Si M. F... conteste toute dépendance à l'alcool, les résultats ponctuels d'analyses de sang et les attestations en ce sens de proches, produites en appel, ne sont toutefois pas déterminantes. Ces faits, par leur nature et leur gravité, sont à eux seuls de nature à regarder le comportement de M. F... comme n'étant pas compatible avec la détention d'une arme. Par suite, le préfet de police n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation. Le moyen doit donc être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris, a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 13 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Heers, présidente de chambre,

Mme Briançon, présidente-assesseure,

Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2023.

La rapporteure, La présidente,

L. D'ARGENLIEU M. A...

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA06325


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06325
Date de la décision : 27/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : SIDOBRE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-01-27;21pa06325 ?
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