Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes, l'association Ecole spéciale d'architecture a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite et la décision du
13 décembre 2019 de la ministre du travail refusant d'autoriser le licenciement de M. A..., d'autre part, d'enjoindre à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ou, à défaut, à l'inspecteur du travail, respectivement saisis d'une nouvelle demande d'autorisation de licenciement de M. A..., d'y faire droit, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Par un jugement n° 1923144-2003627 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris après avoir joint les deux requêtes, a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 14 septembre 2021 et deux mémoires récapitulatifs enregistrés les 31 mars 2022 et 29 avril 2022, l'association Ecole spéciale d'architecture représentée par Me de Tonquédec, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 juillet 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 13 décembre 2019 de la ministre du travail refusant d'autoriser le licenciement de M. A... ;
3°) d'enjoindre à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ou, à défaut, à l'inspecteur du travail, respectivement saisis d'une nouvelle demande d'autorisation de licenciement de M. A..., d'y faire droit dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce que soutient M. A..., sa requête d'appel est suffisamment motivée et recevable ;
- la décision expresse du 13 décembre 2019 est entachée d'illégalité dès lors qu'à la date à laquelle la ministre a statué, M. A... ne disposait plus d'aucun mandat et que la ministre aurait dû se déclarer incompétente ;
- la décision litigieuse ne vise pas la protection dont disposait M. A..., à savoir son ancien mandat ;
- la ministre du travail ne pouvait se borner à indiquer que la demande de licenciement n'était pas sans rapport avec le mandat mais devait préciser les faits permettant de retenir l'existence d'un tel lien ;
- la décision litigieuse est entachée d'une erreur d'appréciation, le licenciement étant dépourvu de lien avec le mandat de représentant de section syndicale de M. A... ; ce dernier n'a jamais contesté sa dispense d'activité rémunérée qui n'était pas liée à l'action intentée par la CNT au titre du renouvellement du comité d'entreprise et n'avait pas le caractère d'une sanction ; M. A... n'a jamais saisi la moindre juridiction pour délit d'entrave et le seul fait d'adresser quatre lettres de revendications en douze ans, citées par le ministre, ne suffit pas à établir une activité syndicale soutenue ; l'administration et le tribunal ne pouvaient se fonder sur des décisions du juge judiciaire dépourvues de caractère définitif ;
- la réalité du motif économique du licenciement de M. A... est établie et a été reconnue tant par la ministre du travail que par la Cour administrative d'appel de Paris dans son arrêt du 3 novembre 2020, ainsi qu'à propos d'autres salariés de l'association, également délégués du personnel ; l'Ecole spéciale d'architecture n'a aucunement tenu compte de l'affiliation syndicale des salariés pour décider du licenciement collectif pour motif économique et la procédure de licenciement est antérieure à la procédure engagée devant le tribunal d'instance du 14ème arrondissement relative au renouvellement du comité d'entreprise, et en outre parfaitement régulière.
Par des mémoires enregistrés le 8 avril 2022 et le 27 décembre 2022, M. C... A..., représenté par Me Spire, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Ecole spéciale d'architecture le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle n'est pas motivée ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et s'en rapporte à son mémoire de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,
- les observations de Me de Tonquédec, représentant l'association Ecole spéciale d'architecture,
- et les observations de Me Durand-Boulay, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. L'association Ecole spéciale d'architecture, établissement d'enseignement supérieur privé, confrontée à des difficultés économiques nécessitant une réorganisation et la suppression de neuf postes, a demandé, le 2 juillet 2015, l'autorisation de licencier pour motif économique M. A..., alors employé en contrat de travail à durée indéterminée en tant que chargé de l'atelier maquette, représentant de la section syndicale de la CGT et candidat au mandat de délégué du personnel aux élections professionnelles de janvier 2016. Par une décision du 11 septembre 2015, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder cette autorisation, au motif qu'il existait un faisceau d'indices à même de caractériser un lien entre la demande de licenciement pour motif économique de M. A... et le mandat de représentant de la section syndicale. Saisie d'un recours hiérarchique, la ministre du travail, a, par une décision du 14 avril 2016, annulé la décision de l'inspecteur du travail puis refusé de délivrer l'autorisation sollicitée après avoir estimé que la réalité des difficultés économiques de l'association Ecole spéciale d'architecture n'était pas établie. Saisi de trois requêtes de l'Ecole spéciale d'architecture dirigées contre trois décisions du 14 avril 2016 de refus de licenciement économique de trois de ses salariés protégés, dont M. A..., le tribunal administratif de Paris a, par un jugement avant dire droit du 27 mars 2018, désigné un expert, avec pour mission d'analyser les éléments techniques permettant d'établir ou d'infirmer la réalité des difficultés économiques auxquelles l'Ecole spéciale d'architecture se disait confrontée à la date du 14 avril 2016. Sur la base du rapport d'expertise qui lui a été remis, le tribunal a, par un jugement n° 1607939 du 25 juin 2019, annulé la décision du 14 avril 2016 rejetant la demande de licenciement de M. A..., au motif que la réalité du motif économique était établie. Par un arrêt n° 19PA02683 du 3 novembre 2020, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté le recours de M. A... contre le jugement du tribunal administratif. A nouveau saisie de la demande de l'employeur du fait de l'annulation contentieuse, la ministre du travail, a par une décision du 13 décembre 2019, refusé d'autoriser le licenciement de M. A... au motif que la demande d'autorisation de licenciement n'était pas sans rapport avec le mandat de représentant de section syndicale du salarié. L'association Ecole spéciale d'architecture relève appel du jugement du 15 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 13 décembre 2019 de la ministre du travail.
Sur la légalité de la décision du 13 décembre 2019 de la ministre du travail :
Sur la compétence de l'auteur de l'acte :
2. D'une part, lorsqu'il est saisi, sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail ayant statué sur une demande d'autorisation de licenciement, le ministre chargé du travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision.
3. D'autre part, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est requise si le salarié bénéficie de la protection attachée à son mandat à la date de l'envoi par l'employeur de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement.
4. Enfin, en vertu de l'article L. 2142-1-2 du code du travail, les dispositions de ce code relatives à la protection des délégués syndicaux sont applicables au représentant de la section syndicale.
5. Si l'association Ecole spéciale d'architecture soutient que la décision litigieuse du 13 décembre 2019 est entachée d'incompétence dès lors qu'à la date à laquelle la ministre a statué sur la demande de licenciement, M. A... ne disposait plus d'aucun mandat, il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A... a exercé le mandat de représentant de la section syndicale CNT du 14 mai 2012 au 17 décembre 2018. Ainsi, en vertu du principe rappelé au point 3, il bénéficiait le 8 avril 2015, date de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement, de la protection attachée à ce mandat rappelé dans le visa de la décision litigieuse, contrairement à ce que soutient l'association appelante, et la ministre du travail, à la date à laquelle elle a statué sur la demande de licenciement en exécution du jugement du 25 juin 2019 du tribunal administratif cité au point 1 du présent arrêt, était compétente pour se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement de M. A.... Ce moyen ne peut qu'être écarté.
Sur le lien avec le mandat :
6. Aux termes de l'article R. 2421-7 du code du travail : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé. ".
7. L'association Ecole spéciale d'architecture soutient que la décision litigieuse est entachée d'une erreur d'appréciation, le licenciement étant dépourvu de lien avec le mandat de représentant de section syndicale de M. A.... Pour regarder comme établi le lien entre la demande de licenciement et le mandat détenu par le salarié, la ministre du travail s'est fondée sur un faisceau d'indices, en particulier les circonstances que huit des neuf salariés concernés par la procédure de licenciement collectif pour motif économique engagée par l'association étaient adhérents des syndicats CGT et CNT, que l'ensemble de ces salariés ont été dispensés d'activité dès leur convocation à l'entretien préalable traduisant la volonté de l'employeur de les priver de contacts avec le reste du personnel et d'évincer leur potentielle candidature aux élections qu'ils avaient sollicitées, que les demandes d'organisation d'élections professionnelles émanant des sections syndicales de la CGT et de la CNT et l'engagement de la procédure de licenciement collectif étaient concomitantes, et que l'activité syndicale de
M. A... a été très soutenue entre 2012 et 2015, en particulier son association à cette demande d'élections, l'ensemble de ces éléments retenus par la ministre du travail ressortant des pièces du dossier. Si l'association Ecole spéciale d'architecture fait valoir que M. A... n'a jamais contesté sa dispense d'activité rémunérée, le salarié conteste son consentement à cette mesure. Enfin, si l'association soutient que ni l'administration ni le tribunal ne pouvaient se fonder sur des décisions du juge judiciaire dépourvues de caractère définitif, en particulier le jugement du 18 avril 2018 du tribunal d'instance du 14ième arrondissement de Paris condamnant l'association pour son refus d'organisation des élections professionnelles et le jugement du 31 mars 2021 du tribunal correctionnel condamnant le représentant légal de l'association pour discrimination à raison des activités syndicales et au paiement d'une amende, le ministre et les premiers juges étaient fondés à prendre en compte ces décisions, même non revêtues de l'autorité de la chose jugée, dès lors qu'elles étaient invoquées par
M. A... et qu'elles étaient révélatrices de difficultés de fonctionnement des institutions représentatives du personnel, lesquelles font partie des indices d'une possible discrimination à l'égard des salariés investis de fonctions représentatives. Si l'Ecole spéciale d'architecture se prévaut elle-même de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 10 mars 2022 infirmant le jugement du 29 mai 2019 du Conseil des prud'hommes déclarant nul le licenciement d'un autre salarié, cette décision n'est pas de nature à établir l'absence de discrimination syndicale au sein de l'association. Il en résulte qu'en présence d'un faisceau d'indices concluant, la ministre a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, considérer que la demande de licenciement n'était pas sans rapport avec le mandat détenu par le salarié.
8. Ainsi, pour ce seul motif, et nonobstant l'existence de difficultés économiques de l'association Ecole spéciale d'architecture également retenue par la décision litigieuse, la ministre du travail était tenue de rejeter la demande de licenciement de M. A.... Par suite, les autres moyens de la requête sont inopérants.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à la requête, que l'association Ecole spéciale d'architecture n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la ministre du travail du 13 décembre 2019.
Sur les frais de l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse à l'association Ecole spéciale d'architecture la somme qu'elle demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de cette dernière le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros au titre de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'association Ecole spéciale d'architecture est rejetée.
Article 2 : L'association Ecole spéciale d'architecture versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Ecole spéciale d'architecture, à la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à M. C... A....
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
I. LUBEN
La greffière,
A. DUCHERLa République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA05114 2