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29/12/2022 | FRANCE | N°21PA06374

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 29 décembre 2022, 21PA06374


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Les Vignolles a demandé au tribunal administratif de Melun, de condamner, d'une part, la commune de Carnetin (Seine-et-Marne), d'autre part, la communauté d'agglomération Marne-et-Gondoire, à lui verser la somme de 145 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la mise en œuvre du droit de préemption urbain, somme assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1810629-1810631 du 15 octobre 2021, le t

ribunal administratif de Melun a joint les deux demandes et les a rejetées.

Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Les Vignolles a demandé au tribunal administratif de Melun, de condamner, d'une part, la commune de Carnetin (Seine-et-Marne), d'autre part, la communauté d'agglomération Marne-et-Gondoire, à lui verser la somme de 145 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la mise en œuvre du droit de préemption urbain, somme assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1810629-1810631 du 15 octobre 2021, le tribunal administratif de Melun a joint les deux demandes et les a rejetées.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et des mémoires, enregistrés le 15 décembre 2021, le 24 janvier 2022, le 1er avril 2022 et le 16 mai 2022, la société civile immobilière Les Vignolles, agissant par son liquidateur Me Alexandre Herbaut et représentée par Me Crusoé, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1810629-1810631 du 15 octobre 2021 du tribunal administratif de Melun ;

2°) de condamner la commune de Carnetin et la communauté d'agglomération Marne-et-Gondoire à lui verser la somme de 145 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la mise en œuvre du droit de préemption urbain sur les parcelles B 0043 et B 0044 ;

3°) de mettre à la charge de la commune et de la communauté d'agglomération la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement a omis de statuer sur l'illégalité de la décision de la commune en date du 13 décembre 2013 et celle en date du 16 décembre 2013 de la communauté d'agglomération ou est à tout le moins insuffisamment motivé ;

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il écarte le lien de causalité entre les fautes invoquées et le préjudice en ne tenant compte que de la seule illégalité fautive entachant la décision de préemption du 28 septembre 2016 ;

- les décisions des 13 et 16 décembre 2013 sont entachées d'illégalité dès lors qu'elles portent sur des parcelles situées en partie en zone N du plan local d'urbanisme, en méconnaissance de l'article L. 213-2-1 du code de l'urbanisme ; ces décisions, par l'annonce publique de l'intention exprimée par la collectivité publique de préempter, ont eu une incidence directe sur le prix de vente par adjudication et lui ont fait perdre une chance d'obtenir un prix équivalent à celui d'une précédente adjudication en 2011, 296 000 euros ; le prix de l'adjudication prononcée en 2016 est ainsi deux fois moins élevé que celui qu'il aurait pu être au regard du marché de l'immobilier et en l'absence de changement dans les règles affectant les parcelles ;

- la décision de préemption de la parcelle B 0043 est entachée de détournement de procédure dès lors que classée en partie en zone N, elle était insusceptible de participer à la réalisation du projet de construction de logements ;

- les conclusions incidentes des défendeurs dirigées contre le jugement en tant qu'il juge illégale la décision de préemption du 28 septembre 2016 sont irrecevables, soulevant un litige distinct de l'appel principal et n'ayant été présenté qu'après l'expiration du délai d'appel.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 mars 2022 et le 15 avril 2022, la commune de Carnetin et la communauté d'agglomération Marne-et-Gondoire, représentées par la SELARL Landot et associés, concluent :

1°) à titre principal, au rejet de la requête d'appel ;

2°) à titre subsidiaire, à l'annulation du jugement en tant qu'il retient un comportement fautif des collectivités publiques et au rejet de la demande de première instance ;

3°) à ce que soit mise à la charge de la société civile immobilière Les Vignolles la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la requête d'appel est insuffisamment motivée, le mémoire complémentaire annoncé par la requête sommaire n'ayant été enregistré qu'après l'expiration du délai d'appel ;

- leurs conclusions d'appel incident sont recevables ;

- les moyens soulevés par la société civile immobilière Les Vignolles ne sont pas fondés ;

- à supposer que la Cour accueille l'un des moyens de la requête d'appel, elle ne pourrait que rejeter la demande indemnitaire en l'absence de faute.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Crusoé, avocat de la société civile immobilière Les Vignolles et de son liquidateur judiciaire, de Me Lefebvre, avocat de la communauté d'agglomération Marne et Gondoire, et de la commune de Carnetin.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière Les Vignolles était propriétaire de deux parcelles cadastrées B 0043 et B 0044, situées dans la commune de Carnetin, qui ont fait l'objet d'un premier jugement d'adjudication du 3 février 2011, au prix de 296 000 euros. Après un second jugement d'adjudication en date du 15 septembre 2016 au prix de 151 000 euros, le président de la communauté d'agglomération de Marne-et-Gondoire a décidé de préempter les biens par décision du 28 septembre 2016 et s'est substitué à l'adjudicataire. Par la présente requête, la société civile immobilière Les Vignolles demande l'annulation du jugement du 15 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes tendant à la condamnation, d'une part, de la commune, d'autre part de la communauté d'agglomération à lui verser la somme de 145 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la mise en œuvre du droit de préemption.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces des dossiers de première instance que la société civile immobilière Les Vignolles soutenait que la responsabilité pour faute de la commune et celle de la communauté d'agglomération étaient engagées à son égard à raison de leurs actes avant l'organisation de la seconde vente par adjudication et à raison de l'illégalité fautive dont serait entachée la décision de préemption prise à l'issue de cette seconde vente et que les fautes ainsi commises étaient à l'origine d'un préjudice financier correspondant à la différence entre le montant de la première adjudication en 2011 et celui auquel le bien a été vendu lors de la seconde adjudication en 2016. Les premiers juges, au point 4 de leur jugement, ont considéré que la délibération du 13 décembre 2013 par laquelle la commune a délégué le droit de préemption urbain sur les parcelles concernées à la communauté d'agglomération et la délibération du 16 décembre 2013 par laquelle cette dernière a accepté la délégation constituaient une intervention susceptible de fausser le jeu normal des enchères, qu'ils ont regardée comme une faute. Ils ont toutefois relevé au point 5 de leur jugement que la différence entre le montant de la première vente par adjudication et le montant de la seconde par adjudication ne trouvait pas sa cause directe et certaine dans cette faute, compte tenu du délai écoulé depuis l'adoption des délibérations de décembre 2013 et compte du montant de la mise à prix du bien.

3. Les premiers juges se sont ainsi effectivement prononcés sur l'existence ou non d'un lien de causalité entre les délibérations des 13 et 16 décembre 2013 et le préjudice dont la société demandait réparation. Dès lors qu'ils ont estimé que ce préjudice ne trouvait pas sa cause directe et certaine dans ces délibérations et alors que le juge n'est pas tenu de répondre à tous les arguments des parties, ce seul motif justifie le rejet des conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute des personnes publiques à raison leurs actes avant l'organisation de la seconde vente par adjudication. Il suit de là que, quoiqu'il ne se prononce pas sur la légalité des délibérations des 13 et 16 décembre 2013, le jugement est suffisamment motivé et n'est pas entaché d'omission à statuer.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, la société requérante peut être regardée comme soutenant que les délibérations des 13 et 16 décembre 2013 portant délégation du droit de préemption urbain sur les parcelles concernées et acceptation de cette délégation, en tant qu'elles sont illégales et en tant qu'elles ont annoncé la volonté d'exercer ce droit, l'ont privée de la possibilité de percevoir un prix équivalent à celui auquel le bien a été attribué à l'issue de la première vente par adjudication, en dissuadant les acquéreurs potentiels de participer à la seconde vente du 15 septembre 2016. Il résulte toutefois de l'instruction que la première vente a été résolue, faute que le premier adjudicateur ait payé le prix de 296 000 euros, tandis que les parcelles avaient été mises à prix en 2011 pour un montant de 160 000 euros, puis en 2016 pour un montant de 150 000 euros. Si la société requérante soutient que les biens ont été revendus par la commune en décembre 2019 pour un montant de 160 808 euros, ce montant est très proche des mises à prix comme du montant auquel ils ont été préemptés, alors même qu'un permis de construire avait été alors été délivré, renchérissant leur valeur. Enfin, la parcelle B0044 et une partie de la parcelle B0043 étaient soumises depuis 2010 au droit de préemption et la société requérante soutient que l'autre partie de cette dernière parcelle était incluse au moins depuis février 2013 dans le périmètre de protection des espaces agricoles et périurbains soumis au droit de préemption du département prévu par le 9° de l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les délibérations relatives à la délégation du droit de préemption urbain sur les parcelles en cause, qui n'ont pas fait l'objet d'une particulière publicité et qui ont été prises plus de deux ans avant la seconde vente par adjudication du 15 septembre 2016, aient pu avoir pour effet de dissuader des acquéreurs potentiels. Le préjudice dont la société civile immobilière Les Vignolles ne trouve ainsi pas sa cause directe et certaine dans les fautes qu'elle considère avoir été commises avant la seconde vente par adjudication.

5. En second lieu, aux termes de l'article R. 213-15 du code de l'urbanisme, relatif au cas des ventes par adjudication d'un bien soumis au droit de préemption lorsque cette procédure est rendue obligatoire par une disposition législative ou réglementaire : " Les ventes soumises aux dispositions de la présente sous-section doivent être précédées d'une déclaration du greffier de la juridiction ou du notaire chargé de procéder à la vente faisant connaître la date et les modalités de la vente. Cette déclaration est établie dans les formes prescrites par l'arrêté prévu par l'article R. 213-5. / Elle est adressée au maire trente jours au moins avant la date fixée pour la vente par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par voie électronique dans les conditions prévues aux articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l'administration. La déclaration fait l'objet des communications et transmissions mentionnées à l'article R. 213-6. / Le titulaire dispose d'un délai de trente jours à compter de l'adjudication pour informer le greffier ou le notaire de sa décision de se substituer à l'adjudicataire. / La substitution ne peut intervenir qu'au prix de la dernière enchère ou de la surenchère. / La décision de se substituer à l'adjudicataire est notifiée au greffier ou au notaire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par voie électronique dans les conditions prévues aux articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l'administration ".

6. Conformément à ces dispositions, la décision de préemption en date du 28 septembre 2016 est intervenue à l'issue de la vente par adjudication, au prix de la dernière enchère. Il suit de là que les illégalités dont serait entaché la décision de préemption sont par elles-mêmes dépourvues de lien avec le préjudice dont la SCI Les Vignolles demande réparation.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Les Vignolles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 15 octobre 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes. Ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement doivent par suite être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense ni sur les conclusions présentées à titre subsidiaire par les défendeurs.

Sur les frais du litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Carnetin et de la communauté d'agglomération Marne-et-Gondoire qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société civile immobilière Les Vignolles demande au titre des frais de l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas davantage lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune et la communauté d'agglomération au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société civile immobilière Les Vignolles et Me Herbaut est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Carnetin et de la communauté d'agglomération Marne-et-Gondoire présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me Alexandre Herbaut, à la société civile immobilière Les Vignolles, à la commune de Carnetin et à la communauté d'agglomération de Marne-et-Gondoire.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,

- M. Gobeill, premier conseiller,

- Mme Guilloteau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2022.

La rapporteure,

L. A...Le président,

S. DIÉMERT

La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

2

N° 21PA06374


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06374
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DIEMERT
Rapporteur ?: Mme Laëtitia GUILLOTEAU
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : AARPI ANDOTTE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-29;21pa06374 ?
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