Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 21 septembre 2020 par laquelle l'Association nationale de la recherche et de la technologie a rejeté la demande d'octroi d'une convention industrielle de formation par la recherche en vue de son recrutement, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 2102171/3-2 du 13 janvier 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 février et 9 mai 2022, Mme B..., représentée par Me Boulais, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2102171/3-2 du 13 janvier 2022 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 21 septembre 2020 de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge de l'ANRT la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige ;
- l'ANRT n'était pas en situation de compétence liée pour prendre la décision contestée dès lors qu'elle a dû porter une appréciation sur sa situation au regard des conditions générales d'octroi et d'éligibilité des conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), notamment au regard du critère consistant en " ne pas avoir démarré une autre thèse " prévu par l'article 1.1 ;
- sa demande de première instance est recevable dès lors que la décision du 14 janvier 2021 n'est qu'une décision confirmative de la décision du 21 septembre 2020 ;
- la décision contestée est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'un vice de procédure, qui l'a privée de la garantie de voir son dossier étudié par un collège de personnes qualifiées représentant l'ANRT et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ;
- elle n'est pas motivée en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle est entachée d'une erreur de droit ; il résulte des dispositions de l'article 1.1 des conditions générales d'octroi et d'éligibilité des Cifre interprétées au regard des objectifs assignés au dispositif des Cifre que les rédacteurs des conditions générales n'ont pas entendu écarter du dispositif les étudiants ayant abandonné une thèse à la date de leur candidature.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 avril 2022, l'Association nationale de la recherche et de la technologie, représentée par Me Hansen, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de Mme B... est irrecevable dès lors que le courriel du 21 septembre 2020 ne constitue pas une décision faisant grief ; la décision de refus, prise après instruction complète du dossier, a été notifiée par un courrier du 15 janvier 2021 ;
-les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorant ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Boulais, avocat de Mme B..., et de Me Thillaye du Boullay, avocat de l'Association nationale de la recherche et de la technologie.
Considérant ce qui suit :
1. Le 24 juin 2020, le pôle de recherche " francophonies interculturel communication sociolinguistique " de l'université Rennes 2 et l'Union régionale des professionnels de santé Médecins libéraux de Bretagne ont présenté une demande d'octroi d'une convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) auprès de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) en vue d'obtenir une subvention afin de recruter Mme B..., doctorante. Par un courriel du 21 septembre 2020, l'ANRT, qui gère le dispositif Cifre pour le compte du ministre en charge de la recherche, a rejeté cette demande. Par un courrier du 5 octobre 2020, Mme B... a exercé un recours gracieux contre ce rejet, lequel a été implicitement rejeté. Par un jugement du 13 janvier 2022, dont Mme B... relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions de l'ANRT mentionnées ci-dessus.
Sur la recevabilité de la demande :
2. Il ressort des termes du courriel du 21 septembre 2020 de l'ANRT adressé à l'Union régionale des professionnels de santé Médecins libéraux de Bretagne et au directeur du laboratoire de recherches PREFICS, directeur de thèse de Mme B..., qu'après avoir " pris connaissance des éléments apportés au dossier ", " en tant qu'opérateur du dispositif " et étant " tenue de faire respecter les conditions d'octroi établies " par le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, l'ANRT a décidé de ne pas " donner de suite favorable à votre demande malgré l'investissement apporté au dossier de candidature ". Ce courriel, qui a pour objet de rejeter la demande du pôle de recherche " francophonies interculturel communication sociolinguistique " de l'université Rennes 2 et de l'Union régionale des professionnels de santé Médecins libéraux de Bretagne en vue de l'octroi d'une Cifre a notamment eu pour effet de faire obstacle au recrutement de Mme B..., doctorante, par l'Union régionale des professionnels de santé Médecins libéraux de Bretagne dans le cadre du dispositif Cifre. Le courriel du 21 septembre 2020, qui comporte expressément le rejet de la demande de Cifre formée le 24 juin 2020, présente ainsi le caractère d'une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il ressort des termes de la décision du 14 janvier 2021 que le comité d'évaluation et de suivi des Cifre, réuni en sa séance du 22 décembre 2020, s'est borné " à confirmer l'irrecevabilité de la demande de Cifre 2020/0640 conformément aux conditions générales d'octroi des Cifre qui stipulent que le candidat ne doit pas être inscrit en thèse durant plus de neuf mois à la date du dépôt ou du re-dépôt du dossier en ligne ". Il suit de là que doit être écartée la fin de non-recevoir opposée par l'ANRT tirée de l'irrecevabilité de la demande concernant Mme B... au motif que le courriel du 21 septembre 2020 ne présenterait pas le caractère d'une décision faisant grief.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
3. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorant : " Lorsque le travail de recherche est réalisé par le doctorant pour une partie dans une unité ou une équipe de recherche rattachée à l'école doctorale dans laquelle il est inscrit et, pour la partie complémentaire, dans un organisme du monde socio-économique ou culturel, non partie prenante de l'école doctorale, les conditions de l'alternance des périodes de travail et de celles de recherche font l'objet d'une convention (...) ".
4. L'article 1.1 des conditions générales d'octroi et de suivi des Cifre prévoit que " Les Cifre sont destinées à donner au candidat une expérience professionnelle de recherche dans la structure qui en sollicite le bénéfice. (...). Le dispositif Cifre constitue une modalité pleine et entière de formation doctorale (...) Le candidat ne peut pas être inscrit en thèse depuis plus de 9 mois à la date de réception par l'ANRT du dossier de demande de Cifre. Le candidat ne peut pas être docteur, ni avoir démarré une autre thèse. (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... avait commencé en 2018 une thèse non éligible au dispositif Cifre qu'elle a abandonnée sans l'achever et que son " compte doctorant " a été désactivé en octobre 2019. L'ANRT fait valoir qu'elle était tenue de rejeter la demande de Cifre présentée le 24 juin 2020 concernant le nouveau projet de thèse de Mme B... au motif que celle-ci avait par le passé " démarré une autre thèse ". Cependant, pour retenir ce motif, l'ANRT a nécessairement porté une appréciation sur les faits de l'espèce au regard de l'interprétation qu'elle retient de la condition " ne pas avoir démarré une autre thèse ". Dès lors elle ne se trouvait pas en situation de compétence liée pour rejeter cette demande. Il en résulte que les moyens soulevés par Mme B... à l'encontre de la décision du 21 septembre 2021 tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte, du défaut de motivation, du vice de procédure et de l'erreur de droit ne sont pas inopérants.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a, pour rejeter sa demande, jugé que l'ANRT était en situation de compétence liée pour rejeter la demande d'octroi d'une Cifre et écarté comme inopérants les moyens soulevés à l'encontre de cette décision de rejet.
7. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le Tribunal administratif de Paris et la Cour.
8. Aux termes de l'article 2.2 des conditions générales d'octroi et de suivi des Cifre : " L'ANRT instruit chaque demande dans un délai de deux mois, après complétude du dossier, sauf lorsque les conditions d'expertise justifient un délai plus long. La demande de Cifre fait l'objet d'une évaluation de la valeur scientifique du projet de thèse et de l'adéquation du profil du candidat par un expert scientifique mandaté par l'ANRT. (...) Le comité d'évaluation et de suivi (CES) sélectionne les dossiers en se référant, d'une part, aux recommandations générales du Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI)et aux critères définis par le comité d'orientation stratégique (COS), et, d'autre part, aux avis recueillis auprès des experts scientifiques spécialement commis et des délégués régionaux de recherche et de technologie (DRRT). (...) Sur proposition du CES, le délégué général de l'ANRT arrête la liste des Cifre attribuées. (...) ".
9. Il ressort des termes de la décision du 21 septembre 2020 de l'ANRT que celle-ci a rejeté la demande de Cifre présentée le 24 juin 2020 concernant le projet de thèse de Mme B... sans que cette demande ne soit soumise au comité d'évaluation et de suivi en méconnaissance de l'article 2.2 des conditions générales d'octroi et de suivi des Cifre. Ce vice de procédure est de nature à avoir privé Mme B... d'une garantie. Par suite, l'irrégularité entachant la décision du 21 septembre 2020 justifie son annulation ainsi que celle de la décision implicite rejetant le recours gracieux formé à son encontre.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la requérante, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'ANRT demande au titre des frais liés à l'instance. En revanche, il y a lieu dans, les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ANRT la somme de 2 000 euros à verser à Mme B... sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2102171/3-2 du 13 janvier 2022 du Tribunal administratif de Paris, la décision du 21 septembre 2020 de l'Association nationale de la recherche et de la technologie et la décision implicite rejetant le recours gracieux de Mme B... sont annulés.
Article 2 : L'Association nationale de la recherche et de la technologie versera à Mme B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de l'Association nationale de la recherche et de la technologie présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à l'Association nationale de la recherche et de la technologie.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président de chambre,
- Mme Jayer, première conseillère,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2022.
La rapporteure,
V. C... Le président,
R. LE GOFF
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA00831 2