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14/12/2022 | FRANCE | N°22PA01249

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 14 décembre 2022, 22PA01249


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-et-Marne lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays à destination duquel il pourra être reconduit et lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2117812 du 21 février 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Mo

ntreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-et-Marne lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a désigné le pays à destination duquel il pourra être reconduit et lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2117812 du 21 février 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 17 mars 2022, M. A..., représenté par Me Akuesson, demande à la Cour :

1°) d'annuler jugement n° 2117812 du 21 février 2022 ensemble l'arrêté du 19 décembre 2021 ;

2°) d'enjoindre au préfet compétent de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

- cette décision a été adoptée en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- cette décision est illégale en conséquence de l'illégalité de la mesure d'éloignement ;

- elle est insuffisamment motivée au regard des exigences découlant de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-et-Marne qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a, sur sa proposition, dispensé M. Aggiouri, rapporteur public désigné en application de l'article R. 222-24 du code de justice administrative, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant turc né le 30 juin 1993, a été interpellé par les services de gendarmerie pour usurpation de l'identité d'un tiers et a fait l'objet d'un arrêté en date du 19 décembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-et-Marne l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, en fixant le pays de renvoi et en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par sa requête, M. A... demande à la Cour d'annuler le jugement n° 2117812 du 21 février 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la base légale de l'arrêté attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...) 6° L'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu les dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail (...) ".

3. Il résulte des dispositions du 6° de l'article L. 611-1 de ce code, éclairées par les travaux préparatoire des lois du 16 juin 2011 et du 7 mars 2016 dont elles sont issues, que le législateur a entendu, en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, permettre à l'autorité administrative de prendre, sur ce fondement, une obligation de quitter le territoire français à l'encontre des étrangers qui résident en France, régulièrement, depuis moins de trois mois, s'ils ne respectent pas la législation relative au travail.

4. Il ressort des termes de la décision attaquée portant obligation de quitter le territoire que le préfet de Seine-et-Marne, s'il vise les 1° et 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a fondé la mesure d'éloignement litigieuse, à titre principal, sur le fondement du 6° de ce même article, au motif que M. A... travaille de manière illégale et irrégulière sur le territoire national.

5. Il résulte toutefois de l'instruction que M. A... est entré en France au mois d'avril 2018 pour y solliciter l'asile, sa demande ayant été rejetée par une décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 16 novembre 2018, notifiée le 12 décembre suivant et confirmée par un jugement de la Cour nationale du droit d'asile en date du 10 avril 2019 notifiée le 19 avril suivant. Ainsi, eu égard à la date de son entrée et des conditions de son séjour en France, M. A... n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions du 6° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En revanche, il ressort des pièces du dossier que M. A... entrait dans les prévisions des dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, c'est à juste titre que le préfet de la Seine-et-Marne a fondé la décision portant obligation de quitter le territoire, notamment, sur ces dispositions, qui peuvent être substituées à celles du 6° de l'article L. 611-1 dès lors que cette substitution de base légale ne prive l'intéressé d'aucune garantie et que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.

Sur la légalité des décisions portées par l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'est que récemment entré en France, au mois d'avril 2018, pour y solliciter l'asile, cette demande ayant été rejetée par décision de l'Office français de la protection des réfugiés et des apatrides du 16 novembre 2018 confirmée par un jugement de la Cour nationale du droit d'asile du 10 avril 2019 notifié le 19 avril suivant. S'il est vrai que l'appelant établit s'être marié au mois de septembre 2018 avec une compatriote turque régulièrement installée en France, de laquelle il a eu une fille née au mois de mai 2019, la durée de la communauté de vie qui le lie en France à son épouse n'est pas telle qu'elle suffise à faire regarder le centre de sa vie privée et familiale comme étant constitué en France alors qu'il n'existe pas d'obstacle, au regard notamment du jeune âge de leur fille, à la reconstitution de la cellule familiale en Turquie, pays dont les intéressés ont la nationalité et que M. A..., qui y a ses parents et l'essentiel des membres de sa fratrie, n'a quitté que trois ans et demi avant l'intervention de la décision attaquée. Par suite, et dans la mesure où l'obligation de quitter le territoire français a été adoptée alors que M. A... entrait dans le champ des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement à l'exécution de laquelle il s'est soustrait et qu'il a été interpelé le 18 décembre 2021 pour usurpation de l'identité d'un tiers, la mesure d'éloignement ne peut être regardée comme ayant méconnu les dispositions de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il résulte des circonstances de fait qui viennent d'être exposées que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de M. A... doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

10. En premier lieu, les moyens dirigés contre l'obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, le moyen tiré du défaut de base légale de l'interdiction de retour sur le territoire français en raison de l'illégalité de cette première décision ne peut qu'être écarté.

11. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

12. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

13. Il ressort de l'examen de l'arrêté attaqué qu'il mentionne la date d'entrée en France de M. A..., décrit les liens familiaux qui sont les siens sur le territoire national, relève qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement du 28 mai 2020, notifiée le 15 juin suivant, à l'exécution de laquelle il s'est soustrait, et retient enfin que l'intéressé ne fait état d'aucune circonstance humanitaire de nature à faire obstacle au prononcé d'une interdiction de retour. Elle est ce faisant, ainsi que l'a retenu à juste titre le premier juge, suffisamment motivée.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-et-Marne en date du 19 décembre 2021. Par suite, ses conclusions à fins d'annulation doivent être rejetées de même que, par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,

- M. Perroy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 décembre 2022.

Le rapporteur,

G. C...

La présidente,

H. VINOT

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA0124902


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01249
Date de la décision : 14/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: M. Gilles PERROY
Rapporteur public ?: M. AGGIOURI
Avocat(s) : AKUESSON

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-14;22pa01249 ?
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