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12/12/2022 | FRANCE | N°21PA00271

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 12 décembre 2022, 21PA00271


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Melun :

1°) de condamner solidairement le ministre de l'intérieur et le préfet du Val-de-Marne à lui verser la somme forfaitaire de 200 000 euros en réparation des préjudices qui seraient nés pour elle d'une part, des fautes commises dans le traitement de son dossier de relogement et, d'autre part, du comportement des forces de police lors de l'expulsion de son logement ;

2°) de mettre à la charge solidaire du ministre de l'intérieur et

du préfet du Val-de-Marne le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Melun :

1°) de condamner solidairement le ministre de l'intérieur et le préfet du Val-de-Marne à lui verser la somme forfaitaire de 200 000 euros en réparation des préjudices qui seraient nés pour elle d'une part, des fautes commises dans le traitement de son dossier de relogement et, d'autre part, du comportement des forces de police lors de l'expulsion de son logement ;

2°) de mettre à la charge solidaire du ministre de l'intérieur et du préfet du Val-de-Marne le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1600012 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande, a supprimé plusieurs passages figurant dans les écritures de la requérante eu égard à leur caractère injurieux, outrageant et diffamatoire, a condamné la requérante à une amende pour recours abusif d'un montant de 1 500 euros et a rejeté ses demandes tendant à ce que les frais exposés par elle et non compris dans les dépens soient mis à la charge de l'Etat.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 janvier et 30 juin 2021, Mme C... D..., représentée par Me Stéphanie Jouanin, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1600012 du 28 septembre 2018 du tribunal administratif de Melun,

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 200 000 euros en réparation du préjudice subi,

3°) de condamner l'Etat à verser à son avocate une somme de 2 000 au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la responsabilité de l'Etat doit être engagée, à hauteur de 200 000 euros, pour les fautes commises en n'exécutant pas son obligation de relogement et en procédant à son expulsion dans des conditions irrégulières.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête est tardive et, en tout état de cause, qu'aucun des moyens qu'elle soulève n'est fondé.

Vu :

- la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement,

- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986,

- la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine,

- le code de l'urbanisme,

- le code de la construction et de l'habitation,

- le code de justice administrative,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.

Par une décision n° 19PA03128 du 14 janvier 2020, notifiée le 17 novembre 2020, Mme C... D... s'est vue accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu, première conseillère,

- les conclusions de Mme Lispos, rapporteure publique,

- les observations de Me Jouanin, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... habitait avec son frère et sa sœur dans un appartement situé 8, square René Caillé à Orly (Val-de-Marne), dans lequel ils s'étaient maintenus à la suite du décès en 2005 de leur père, titulaire du bail. A partir de 2013, des propositions de relogement étaient faites aux habitants de l'immeuble qui devait être détruit dans le cadre d'un projet de rénovation urbaine. Mme D... s'étant maintenue dans les lieux avec son frère et sa sœur, le bailleur, Valophis Habitat, les a assignés devant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine aux fins d'expulsion et de paiement des arriérés de loyers. Par un jugement du 5 mai 2015, le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine leur a ordonné de quitter les lieux dès la notification du jugement et a autorisé, à défaut, Valophis Habitat à procéder à l'expulsion forcée avec le concours des services de police. Le 10 juin 2015, Mme D... a fait appel de ce jugement. Par une assignation du 10 juillet 2015, elle a saisi en référé le premier président de la cour d'appel aux fins de voir suspendre l'exécution provisoire dont le jugement était assorti. L'expulsion a eu lieu le 12 août 2015. Le 7 septembre 2015, Mme D... a adressé au ministre de l'Intérieur une demande de nature à lier le contentieux. Puis, elle a saisi le tribunal administratif de Melun aux fins de voir condamner l'Etat à l'indemniser à hauteur de 200 000 euros des préjudices qu'elle prétend avoir subis du fait des carences administratives constatées dans le traitement de son dossier de relogement et des violences policières commises le jour de l'expulsion. Par un jugement du 28 septembre 2018, dont Mme D... fait appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué

2. En premier lieu, il ressort des termes de l'article L. 442-6 II du code de la construction et de l'habitation que : " II.- En cas d'autorisation de démolir visée à l'article L. 443-15-1, d'autorisation de vente ou de changement d'usage prévue au VI de l'article L. 353-15 ou de démolition prévue par une convention mentionnée aux articles 10 ou 10-3 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, le locataire ayant refusé trois offres de relogement respectant les conditions prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée ne bénéficie plus du droit au maintien dans les lieux. Toutefois, cette condition n'est pas exigée du bailleur qui démontre qu'un logement, répondant aux conditions du même article 13 bis, a été spécialement conçu pour le relogement du locataire. A l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de la troisième offre de relogement, le locataire est déchu de tout titre d'occupation des locaux loués ". L'article 13 bis de la loi susvisée du 1er septembre 1948 dispose : " Le local mis à la disposition des personnes évincées, en application des articles 11 et 12, doit satisfaire aux caractéristiques définies en application des premier et deuxième alinéas de l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 et correspondre à leurs besoins personnels ou familiaux et, le cas échéant, professionnels, et à leurs possibilités. Il doit en outre être situé : Dans le même arrondissement ou les arrondissements limitrophes ou les communes limitrophes de l'arrondissement où se trouve le local, objet de la reprise, si celui-ci est situé dans une commune divisée en arrondissements ; Dans le même canton ou dans les canton limitrophes inclus dans la même commune ou dans les communes limitrophes de ce canton si la commune est divisée en cantons ; dans les autres cas sur le territoire de la même commune ou d'une commune limitrophe, sans pouvoir être éloigné de plus de 5 km ". Aux termes de l'article 6 de la loi susvisée du 6 juillet 1989 : " " Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation. Un décret en Conseil d'Etat définit le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en œuvre échelonnée (...) Le bailleur est obligé : a) De délivrer au locataire le logement en bon état d'usage et de réparation ainsi que les équipements mentionnés au contrat de location en bon état de fonctionnement ; toutefois, les parties peuvent convenir par une clause expresse des travaux que le locataire exécutera ou fera exécuter et des modalités de leur imputation sur le loyer ; cette clause prévoit la durée de cette imputation et, en cas de départ anticipé du locataire, les modalités de son dédommagement sur justification des dépenses effectuées ; une telle clause ne peut concerner que des logements répondant aux caractéristiques définies en application des premier et deuxième alinéas ;b) D'assurer au locataire la jouissance paisible du logement et, sans préjudice des dispositions de l'article 1721 du code civil, de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle hormis ceux qui, consignés dans l'état des lieux, auraient fait l'objet de la clause expresse mentionnée au a ci-dessus ; c) D'entretenir les locaux en état de servir à l'usage prévu par le contrat et d'y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l'entretien normal des locaux loués ; d) De ne pas s'opposer aux aménagements réalisés par le locataire, dès lors que ceux-ci ne constituent pas une transformation de la chose louée. "

3. En l'espèce, l'opération de rénovation urbaine justifiant la démolition de l'immeuble occupé par Mme D... a été menée sur le fondement de l'article L. 442-6 II précité du code de la construction et de l'habitation. Dans le cadre de cette opération, une convention partenariale pour la mise en œuvre du projet de renouvellement urbain du grand ensemble d'Orly-Choisy a été signée le 23 février 2005 entre le préfet du Val-de-Marne, l'agence nationale pour la rénovation urbaine, la ville d'Orly, l'OPAC du Val-de-Marne, la caisse des dépôts et consignations, l'association Foncière Logement, la SA HLM Logis Transports et La Poste. Or, il ressort des stipulations de cette convention de partenariat, et notamment de son point 9.1, que les opérations de relogement incombaient au bailleur, Valophis Habitat, venu aux droits de l'OPAC du Val-de-Marne. Par suite, en recherchant la responsabilité de l'Etat, et non celle du bailleur, pour n'avoir pas respecté l'obligation de relogement fixée par l'article L. 442-6 II précité du code de la construction et de l'habitation, la requérante a mal dirigé son action. Celle-ci sera, par suite, rejetée.

4. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient Mme C... D..., le préfet était en droit, sans porter atteinte à son droit à un recours effectif, de ne pas attendre que l'exécution provisoire du jugement du 5 mai 2015 soit suspendue par le premier président de la cour d'appel pour mettre en œuvre l'expulsion.

5. En troisième et dernier lieu, Mme C... D... soutient que les conditions dans lesquelles les opérations d'expulsion ont été conduites sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, ces allégations sont contredites par les pièces du dossier, et notamment par le procès-verbal d'expulsion établi par huissier le 12 août 2015. En effet, les mentions contenues dans ce procès-verbal établissent que les policiers ont trouvé des barricades dans les escaliers pour empêcher leur passage, que l'huissier a été insulté par la requérante en arrivant dans l'appartement et que le frère de Mme D..., handicapé, s'est allongé en travers de l'entrée de l'immeuble et a volontairement débranché sa pompe à insuline pour tenter de faire échec à l'expulsion. Un rapport daté du 17 août 2015 rédigé par le commandant de police, adjoint au chef de la circonscription de sécurité de proximité de Choisy le Roi conclut en outre que : " rien n'indique un mauvais comportement des polices, assistant l'officier ministériel, les moyens mis en œuvre afin de sécuriser l'intervention ne semble pas avoir été disproportionnés, compte tenu des éléments recueillis à l'occasion de la constitution de ce dossier, les barricades mises en place le jour de l'intervention, et du comportement constaté visant à entraver l'exécution de cette décision de justice ". Du reste, la requérante et son frère ont été examinés par la Croix-Rouge venue sur les lieux de l'expulsion qui atteste n'avoir constaté aucun signe de santé inquiétant, ni difficulté particulière. Enfin, l'intéressée soutient qu'elle était convoquée par les services sociaux le 18 août 2015 et que, de ce fait, l'expulsion n'aurait pas dû avoir lieu avant cette date. Il résulte toutefois de l'instruction que cette convocation avait pour objet de mettre en place un accompagnement social de Mme D... postérieurement à l'expulsion, et non de trouver une alternative à celle-ci. Mme D... n'est donc pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une faute dans la façon dont il a conduit les opérations d'expulsion.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que Mme C... D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au préfet du Val-de-Marne.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2022.

La rapporteure,

L. D'ARGENLIEU

La présidente,

M. A...

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA00271


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00271
Date de la décision : 12/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Lorraine D'ARGENLIEU
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : JOUANIN

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-12;21pa00271 ?
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