Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Média Bonheur a demandé à la cour administrative d'appel de Paris de condamner l'État à lui verser la somme globale de 1 632 867 euros ou la somme de 1 716 euros par jour en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait des décisions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) des 5 avril 2011 et 16 octobre 2013 refusant de lui attribuer une fréquence dans la zone de Laval.
Par un arrêt n° 15PA03418 du 24 mai 2018, la cour administrative d'appel de Paris a condamné l'État à lui verser la somme de 25 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Par une décision n° 422535 du 16 juin 2021, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 24 mai 2018 en tant qu'il fixe le montant du préjudice indemnisable et a renvoyé l'affaire devant la cour dans la mesure de l'annulation prononcée.
Procédure devant la cour :
Par une requête et sept mémoires enregistrés les 4 mars 2014, 4 juin 2014, 3 juillet 2015, 27 janvier 2016 régularisé par un mémoire du 23 mars 2016, 15 juin 2017, 3 août 2021, 18 novembre 2021 et 7 mars 2022, la société Média Bonheur, représenté par la SCP Didier-Pinet, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner l'État ou à défaut l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) à lui verser la somme de 1 632 867 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2013 et de la capitalisation des intérêts ;
2°) de mettre à la charge de l'État ou à défaut de l'ARCOM la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le préjudice qu'elle a subi du fait de l'illégalité fautive commise par le CSA correspond à son manque à gagner au titre de l'exploitation d'une fréquence sur la zone de Laval du 10 juillet 2011 au 10 juillet 2016 ;
- le montant de ce préjudice doit être déterminé au regard des bénéfices normalement attendus de l'exploitation d'une fréquence sur Laval et calculé sur la marge nette que cette exploitation aurait engendrée, et non au regard du résultat fiscal net réalisé par la société au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 ; le montant des rémunérations de son dirigeant ne doit pas être intégré dans les charges directement exposées pour l'exploitation d'une fréquence, dès lors qu'il ne s'agit que d'un mode de distribution des bénéfices ;
- eu égard aux recettes, notamment publicitaires, associatives et liées à la vente de divers produits, dont elle aurait pu bénéficier par l'exploitation d'une fréquence sur la zone de Laval, appréciées notamment au regard des résultats d'audience enregistrés au titre de l'exploitation d'une fréquence sur la zone comparable de Saint-Brieuc entre 2004 et 2007, et à la faiblesse des charges supplémentaires, qui ne sauraient inclure les frais de location d'un local et le coût de l'embauche d'un salarié, son préjudice doit être évalué à la somme de 1 632 867 euros pour la période allant du 10 juillet 2011 au 10 juillet 2016.
Par six mémoires enregistrés les 2 février 2015, 18 décembre 2015, 1er juin 2016, 28 juillet 2017, 20 octobre 2021 et 17 février 2022, l'ARCOM, venue aux droits et obligations du CSA, représentée par Me Gury, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- les observations de Me Pinet, représentant la société Média Bonheur,
- et les observations de Me Gury, représentant l'ARCOM.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 23 septembre 2013, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé la décision du 5 avril 2011 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) avait rejeté la candidature de la société Média Bonheur en vue de l'exploitation du service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne " Radio Bonheur " dans la zone de Laval et a enjoint au CSA de réexaminer cette candidature. Par une décision du 16 octobre 2013, le CSA a, après l'avoir réexaminée, à nouveau rejeté la candidature de la société Média Bonheur au motif qu'il n'y avait pas de fréquence disponible dans la zone de Laval et a estimé qu'il n'y avait pas lieu de lancer un nouvel appel à candidatures pour un service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne dans cette zone de Laval. Par une décision du 27 juillet 2015, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cette décision en tant qu'elle refusait de lancer un appel à candidatures. Dès le 15 octobre 2014, le CSA avait toutefois lancé un appel à candidatures auquel la société Média Bonheur a été admise comme candidate de plein droit.
2. Par un arrêt du 24 mai 2018, la cour administrative d'appel de Paris, saisie par la société Média Bonheur, a retenu, comme il ressort des termes de la décision du Conseil d'État du 16 juin 2021, la responsabilité du CSA, doté de la personnalité morale et ayant succédé aux droits et obligations de l'État depuis le 1er janvier 2014, en application des dispositions de l'article 33 de la loi du 15 novembre 2013, du fait de l'illégalité de sa décision du 5 avril 2011, et l'a condamné à lui verser une indemnité de 25 000 euros en réparation du préjudice subi.
3. Par une décision du 16 juin 2021, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 24 mai 2018 en tant qu'il fixe le montant du préjudice indemnisable et a renvoyé l'affaire devant la cour dans la mesure de l'annulation prononcée. Il résulte de cette décision qu'il n'y a lieu d'examiner que le montant du préjudice indemnisable du fait du manque à gagner subi par la société Média Bonheur en raison de la perte d'une chance sérieuse d'obtenir une autorisation d'émettre dans la zone de Laval entre le 10 juillet 2011 et le 10 juillet 2016.
4. L'indemnité due, au titre du manque à gagner, à une entreprise irrégulièrement évincée d'un appel à candidatures qu'elle avait des chances sérieuses d'emporter ne constitue pas la contrepartie de la perte d'un élément d'actif mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales. Elle doit être regardée comme un profit de l'exercice au cours duquel elle a été allouée et soumise, à ce titre, à l'impôt sur les sociétés. Par suite, le manque à gagner du candidat évincé doit, lorsqu'il est calculé par référence au résultat d'exploitation de la société dans les zones pour lesquelles elle a été autorisée à émettre, être évalué avant déduction de l'impôt sur les sociétés.
5. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il n'y a lieu ni de calculer le montant du préjudice subi au regard des audiences de la radio Média Bonheur et des recettes réalisées dans la zone de Saint-Brieuc entre 2004 et 2007, qui ne sauraient être comparées à la zone de Laval à partir de 2011, ni d'intégrer dans le calcul de l'indemnité due le montant de la rémunération de son dirigeant, dès lors qu'elle est mentionnée, dans les comptes qu'elle produit, comme une charge.
6. Il résulte de l'instruction, notamment des documents comptables produits par la société Média Bonheur, que le résultat d'exploitation annuel moyen de cette dernière, avant déduction de l'impôt sur les sociétés, pour les années 2011, 2012 et 2013, seules années pertinentes, s'élève à 50 233,56 euros, somme qu'il convient de diviser par trois, qui est le nombre des fréquences exploitées par la société Média Bonheur au cours de ces années, soit une somme de 27 907,53 euros pour la période d'engagement de responsabilité de cinq ans. Compte tenu des gains d'échelle sur la programmation qui est identique dans toutes les zones, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner pour la société requérante de l'exploitation d'une fréquence sur la zone de Laval entre le 10 juillet 2011 et le 10 juillet 2016 en lui allouant de ce chef la somme de 30 000 euros.
7. Il résulte de l'instruction que la société Média Bonheur a formé auprès du CSA une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation de son préjudice par courrier du 31 octobre 2013, reçu le 4 novembre 2013. Il y a lieu par suite d'assortir la somme mentionnée au point précédent des intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2013, lesquels seront capitalisés à compter du 4 novembre 2014, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, et à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette dernière date.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Média Bonheur, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par l'ARCOM, venue aux droits et obligations du CSA, et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de l'ARCOM le versement de la somme de 1 500 euros au requérant sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique est condamnée à verser à la société Média Bonheur la somme de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2013 et de la capitalisation des intérêts à compter du 4 novembre 2014 et à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette dernière date.
Article 2 : L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique versera la somme de 1 500 euros à la société Média Bonheur en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Média Bonheur et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.
La rapporteure,
G. A...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne à la ministre de la culture, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA03461