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06/12/2022 | FRANCE | N°21PA01782

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 06 décembre 2022, 21PA01782


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner le centre hospitalier national ophtalmologique (CHNO) des Quinze-Vingts à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 19 650 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait d'un retard de diagnostic d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge.

Par un jugement n° 1814686/6-2 du 9 février 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné le CHNO des Quinze-Vingts à verser la somme de 7 600 euros à Mme C....r>
Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 avril 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner le centre hospitalier national ophtalmologique (CHNO) des Quinze-Vingts à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 19 650 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait d'un retard de diagnostic d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge.

Par un jugement n° 1814686/6-2 du 9 février 2021, le tribunal administratif de Paris a condamné le CHNO des Quinze-Vingts à verser la somme de 7 600 euros à Mme C....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 avril 2021 et 9 décembre 2021, Mme C..., représentée par Me Lautredou, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 février 2021 ;

2°) d'ordonner une mesure d'expertise avant dire droit ;

3°) de condamner le CHNO des Quinze-Vingts à lui verser, à titre provisionnel, la somme de 89 602,99 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des conditions de sa prise en charge au sein de cet établissement ;

4°) de mettre à la charge du CHNO des Quinze-Vingts la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité du CHNO des Quinze-Vingts est engagée pour faute en raison d'une déficience dans sa prise en charge dès la fin de l'année 2011, ayant entraîné un retard de diagnostic de sa pathologie ;

- ces manquements lui ont fait perdre 50 % de chances d'échapper aux dommages qu'elle subit du fait du retard de traitement ;

- il y a lieu d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise avant dire droit, en vue d'éclairer la cour sur la déficience de sa prise en charge, de fixer la date de consolidation de son état de santé, et de permettre l'évaluation de l'intégralité de ses préjudices, qui se sont aggravés depuis la réalisation de l'expertise ordonnée par le tribunal ;

- elle est d'ores et déjà fondée à réclamer, à titre provisionnel, le versement de la somme de 2 372,99 euros au titre des dépenses de santé restées à sa charge, de 12 330 euros au titre des frais d'assistance par une tierce personne, de 10 000 euros au titre des souffrances endurées, de 9 900 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 45 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et de 10 000 euros au titre du préjudice esthétique.

Par un mémoire enregistré le 20 juillet 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir qu'aucune demande n'est formulée à son encontre et que les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies.

Par deux mémoires enregistrés les 29 novembre 2021 et 14 décembre 2021, le CHNO des Quinze-Vingts, représenté par Me Le Prado, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 février 2021 en tant qu'il a jugé que l'état de santé de Mme C... n'était pas consolidé.

Il soutient que :

- Mme C... n'est pas recevable à rechercher pour la première fois en appel sa responsabilité au titre d'un défaut de prise en charge à compter de l'année 2011 ;

- elle n'est pas davantage recevable à solliciter, en appel, une somme supérieure à celle sollicitée en première instance, dès lors que son préjudice ne s'est ni aggravé ni révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué ;

- la maladie de la requérante évoluant dorénavant pour son propre compte, l'état de santé de l'intéressée du fait du seul retard de diagnostic doit être regardé comme consolidé ; l'aggravation de ses préjudices est due à la maladie elle-même et non au retard de diagnostic ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 21 janvier 2022.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Dominicé, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née le 15 septembre 1940, a été régulièrement suivie entre 1998 et 2015 par le CHNO des Quinze-Vingts en raison d'une pathologie oculaire. Le 27 octobre 2015, une dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) est diagnostiquée lors d'une consultation à l'hôpital Cochin. Estimant que sa prise en charge par le CHNO des Quinze-Vingts a été défaillante et a entraîné un retard dans le diagnostic de sa pathologie, elle a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France qui, le 19 juillet 2017, a rejeté sa demande pour incompétence ; elle a également sollicité l'assureur de l'établissement, qui a fait réaliser une expertise et a rejeté sa demande indemnitaire. Saisi par Mme C..., le tribunal administratif de Paris a ordonné la réalisation d'une expertise par un jugement avant dire droit du 9 avril 2019. Un rapport a été déposé le 8 juillet 2020. La requérante relève appel du jugement du 9 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné le CHNO des Quinze-Vingts à lui verser la somme de 7 600 euros. Cet établissement demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal en tant qu'il a jugé que l'état de santé de Mme C... n'était pas consolidé.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. Mme C... soutient que son suivi par le CHNO des Quinze-Vingts a été déficient dès la fin de l'année 2011, faute de réalisation d'examens complémentaires à partir de cette date, et que ce manquement est à l'origine d'un retard de diagnostic de sa pathologie de près de quatre ans et non seulement de cinq mois comme l'a jugé le tribunal. Il résulte cependant de l'instruction, notamment des documents médicaux produits et examinés par l'expert désigné en première instance, que si l'intéressée présentait, dès la fin de l'année 2011, des " précurseurs " de la DMLA, il n'a été mesuré une baisse unilatérale de son acuité visuelle, affectant l'œil droit, qu'à l'occasion de la consultation au CHNO des Quinze-Vingts le 20 mai 2015. Or, il résulte du rapport d'expertise que des examens complémentaires sont impératifs en présence des deux éléments cumulatifs que sont la présence de " précurseurs " de la DMLA et une baisse unilatérale d'acuité visuelle. Comme l'ont à bon droit relevé les premiers juges, le déroulement de la consultation du 20 mai 2015, au cours de laquelle une nette dégradation d'acuité visuelle de l'œil droit a été mesurée, a été déficient dans la mesure où aucun examen complémentaire n'a été prescrit malgré la concomitance des deux éléments susmentionnés, et cette négligence a conduit à un retard de diagnostic de la DMLA de Mme C..., diagnostiquée cinq mois plus par les services de l'hôpital Cochin. Dans ces conditions, alors qu'avant la consultation du 20 mai 2015 il n'avait pas été constaté de baisse unilatérale d'acuité visuelle, la responsabilité du CHNO des Quinze-Vingts ne saurait être engagée dès la fin de l'année 2011, rien n'imposant dès cette date la réalisation d'examens complémentaires. Pour les mêmes motifs, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le taux de perte de chance d'éviter les dommages liés au retard de diagnostic, qui a retardé les traitements nécessaires, fixé à 30 % par le tribunal, devrait être réévalué.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin ni d'examiner la fin de non-recevoir opposé par le CHNO des Quinze-Vingts, ni d'ordonner un complément d'expertise portant sur la date à laquelle la pathologie de Mme C... pouvait être diagnostiquée, que la responsabilité de l'établissement hospitalier est engagée du fait des conséquences dommageables d'un retard fautif de cinq mois dans le diagnostic de la DMLA de l'œil droit de la requérante, lequel a entraîné une perte de chance de 30% d'échapper aux dommages résultant de l'absence de traitement de la maladie durant cinq mois.

Sur les préjudices :

5. Il résulte de l'instruction qu'à la date à laquelle a été réalisée l'expertise ordonnée en première instance, l'état de santé de Mme C... n'était pas consolidé. Contrairement à ce que soutient le CHNO des Quinze-Vingts, la consolidation ne saurait d'ores et déjà être déterminée par la cour du seul fait que la DMLA est une pathologie évolutive. Mme C... demande par ailleurs l'indemnisation de préjudices qui n'ont pas été évalués par le tribunal. Dans ces conditions, il y a lieu d'ordonner, avant dire droit, une nouvelle expertise en vue de permettre à la cour de déterminer la date de consolidation des dommages résultant du retard de diagnostic de cinq mois et d'évaluer de manière définitive les préjudices subis par l'intéressée de ce fait, comme précisé à l'article 1er du présent arrêt.

6. Les autres moyens et conclusions des parties, sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt, doivent être réservés jusqu'en fin d'instance.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme C..., procédé à une expertise médicale.

Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la cour ; il aura pour mission :

- de prendre connaissance de l'ensemble des pièces du dossier, du dossier médical de Mme C... ainsi que du rapport d'expertise déjà réalisé ; de convoquer et entendre les parties et tous sachants ;

- d'examiner Mme C... et de décrire son état oculaire ;

- de préciser la date de consolidation de l'état de santé de Mme C... s'agissant des seuls dommages imputables au retard de traitement de cinq mois entre mai 2015 et octobre 2015 ;

- de donner à la cour tous les éléments lui permettant d'évaluer l'ensemble des préjudices patrimoniaux et personnels subis par Mme C..., avant et après consolidation, strictement imputables au retard de traitement de cinq mois entre mai 2015 et octobre 2015.

Article 3 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre Mme C..., le CHNO des Quinze-Vingts et la caisse primaire d'assurance maladie de Paris. L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit et déposera son rapport dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant.

Article 4 : Les conclusions et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance, y compris la charge définitive des dépens résultant des frais et honoraires d'expertise.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., au centre hospitalier national ophtalmologique des Quinze-Vingts, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA01782


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01782
Date de la décision : 06/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : AARPI JASPER ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-06;21pa01782 ?
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