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05/12/2022 | FRANCE | N°22PA00178

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 05 décembre 2022, 22PA00178


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la délibération du 18 novembre 2020 par laquelle le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins a décidé de ne pas déférer le docteur D... F... devant la chambre disciplinaire de première instance de la région d'Île-de-France de l'ordre des médecins.

Par un jugement n° 2100767/6-3 du 19 décembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a annulé la délibération du 18 novembre 2020 du conseil départeme

ntal de la Ville de Paris de l'ordre des médecins.

Procédure devant la Cour :

Par une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la délibération du 18 novembre 2020 par laquelle le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins a décidé de ne pas déférer le docteur D... F... devant la chambre disciplinaire de première instance de la région d'Île-de-France de l'ordre des médecins.

Par un jugement n° 2100767/6-3 du 19 décembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a annulé la délibération du 18 novembre 2020 du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 13 janvier et 8 octobre 2022, le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins, représenté par Me Piralian, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100767/6-3 du 19 décembre 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de M. E... ;

3°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'appréciation qu'il lui incombe de porter sur l'opportunité des poursuites diligentées contre un médecin est souveraine ;

- il n'est pas établi que le docteur F... a été désigné pour réaliser l'évaluation requise par l'officier de police judiciaire ;

- subsidiairement, le document rédigé par l'interne constitue une évaluation médicale et non un certificat médical ;

- il s'ensuit que la décision en litige n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 mars 2022, M. E..., représenté par Me Roques, conclut au rejet de la requête à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande tendant à l'annulation de la décision du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins est recevable ;

- le docteur F... a été requis pour procéder à l'examen médical de l'épouse de M. E... ;

- l'acte signé par un interne en médecine constitue un certificat médico-légal ;

- le docteur F... a ainsi méconnu ses obligations déontologiques.

La clôture de l'instruction a été fixée au 26 octobre 2002 à 12h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Piralian, avocate du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins.

Considérant ce qui suit :

1. Le 7 août 2019, dans le cadre d'une affaire introduite à l'encontre de M. E... pour violences volontaires par conjoint, menaces de mort par conjoint et injures, la police judiciaire a requis le chef de service de l'unité médico-judiciaire (UMJ) de l'Hôtel-Dieu pour procéder le 27 septembre 2019 à l'examen de Mme G..., son épouse, et à un examen de retentissement psychologique comportant une évaluation d'une incapacité temporaire de travail (ITT). L'examen médico-légal a été pratiqué par M. B..., interne de médecine, lequel a, ainsi qu'il ressort de l'attestation de passage à l'UMJ délivrée à l'intéressée, déterminé une durée d'incapacité temporaire de travail de quarante jours. Le 2 mars 2020, M. E... a porté plainte devant le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins à l'encontre du docteur F..., chef du service de psychiatrie de l'Hôtel-Dieu, en lui reprochant d'avoir délégué l'examen en cause à un interne du service de l'UMJ de l'Hôtel-Dieu. Par une délibération du 18 novembre 2020, le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins a décidé de ne pas déférer le docteur F... devant la chambre disciplinaire de première instance d'Île-de-France de l'ordre des médecins. Saisi par M. E... d'une demande d'annulation de cette décision, le Tribunal administratif de Paris a, par jugement du 19 novembre 2021, dont relève appel le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins, annulé cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique : " Il est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d'au moins trois de ses membres. (...) / Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin (...) mis en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant le cas échéant. / (...) ".

3. Par dérogation à ces dispositions, l'article L. 4124-2 du code la santé publique prévoit, s'agissant des " médecins (...) chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ", qu'ils " ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit (...) ". Lorsqu'il est saisi d'une plainte d'une personne qui ne dispose pas du droit de traduire elle-même un médecin devant la chambre disciplinaire de première instance, il appartient ainsi au conseil départemental de l'ordre des médecins, après avoir procédé à l'instruction de cette plainte, de décider des suites à y donner. Il dispose, à cet effet, d'un large pouvoir d'appréciation et peut tenir compte notamment de la gravité des manquements allégués, du sérieux des éléments de preuve recueillis ainsi que de l'opportunité d'engager des poursuites compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Les personnes et autorités publiques mentionnées à cet article ayant seules le pouvoir de traduire un médecin chargé d'un service public devant la juridiction disciplinaire à raison d'actes commis dans l'exercice de cette fonction publique, en la matière un conseil départemental de l'ordre des médecins exerce une compétence propre et les décisions par lesquelles il décide de ne pas déférer un médecin devant la juridiction disciplinaire peuvent faire directement l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.

4. Dès lors que le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins ne soulève pas de fin de non-recevoir à l'encontre de la demande présentée par M. E... devant le juge administratif, il ne peut utilement soutenir que le pouvoir d'engager des poursuites reconnu au conseil de l'ordre aurait pour effet par lui-même de faire obstacle à la demande du plaignant, laquelle est recevable.

5. Aux termes de l'article R. 4127-69 du code de la santé publique : " L'exercice de la médecine est personnel ; chaque médecin est responsable de ses décisions et de ses actes ". Aux termes de l'article R. 4127-76 du même code : " L'exercice de la médecine comporte normalement l'établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu'il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires. " et en vertu de l'article R. 6153-3 du même code : " L'interne en médecine exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève (...) ". Il en résulte que l'établissement des certificats médicaux, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires ne peut être réalisé que par un médecin, en l'absence de disposition autorisant un interne en médecine à réaliser et signer de tels actes.

6. Le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris expose que la réquisition judiciaire s'adressait au chef de service de l'UMJ de l'Hôtel-Dieu de Paris et non au chef de service de psychiatrie, à savoir le docteur F..., que ce dernier n'a pas été nommément désigné et n'était pas présent le 27 septembre 2019 et qu'aucun document ne prouve qu'il a été choisi par le chef de service pour réaliser l'évaluation requise et qu'il aurait subdélégué la mission à un interne du service. Par ailleurs, selon le conseil de l'ordre, l'interne n'a pas rédigé un " certificat " mais une " évaluation médicale " dans le but d'établir un constat médico-légal de blessures physiques et de se prononcer sur l'existence et la durée d'une ITT, l'établissement d'un tel document susceptible d'un débat contradictoire devant toute juridiction éventuellement saisie relevant de sa compétence.

7. D'une part, si en cause d'appel le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris produit pour la première fois un courriel daté du 5 mars 2022 émanant du docteur F..., chef de service de psychiatrie, faisant état de ce qu'il était absent le 27 septembre 2019 ainsi qu'un planning pour le mois de septembre 2019 ne mentionnant pas son nom, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle absence aurait été précédemment invoquée, notamment à l'occasion de la tentative de conciliation. D'autre part, s'il est soutenu que le document à l'origine de la plainte n'est pas celui remis à l'officier de police judiciaire alors même que la réponse à la réquisition n'a pas été versée aux débats, il résulte des déclarations de M. E..., qui a eu connaissance de ce document, qu'il s'agit nécessairement de celui produit devant le juge judiciaire dans le cadre de l'ordonnance de protection. Il s'en infère que ce document, établi selon les déclarations mêmes de l'appelant par l'interne après que celui eut procédé à un examen complet de la patiente en vue d'apprécier la durée de l'ITT d'une personne se disant victime de maltraitances conjugales et qui a été utilisé dans le cadre d'une procédure pénale alors que son établissement échappait à la compétence et à la responsabilité d'un médecin " non thésé ", engage la responsabilité du docteur F... en sa qualité de chef de service de psychiatrie, chargé de l'organisation du service, sans que soit opposable le " Guide des internes ", dépourvu de valeur juridique.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé sa délibération du 18 novembre 2020.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. E..., qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, par application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins la somme de 2 000 euros à verser à M. E....

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins est rejetée.

Article 2 : La somme de 2 000 euros est mise à la charge du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins et à M. C... E....

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Jayer, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2022.

La rapporteure,

M-D A...Le président,

R. LE GOFF

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 22PA00178


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00178
Date de la décision : 05/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : PIRALIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-12-05;22pa00178 ?
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