Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 8 octobre 2019 par laquelle le préfet du Val-de-Marne lui a refusé le bénéfice du regroupement familial au bénéfice de son fils aîné, D... A....
Par un jugement n° 1909773 du 22 octobre 2020, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2021, Mme E..., représentée par Me Gafsia, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1909773 du 22 octobre 2020 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui accorder le regroupement familial au profit de son fils demeuré au Cameroun ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du
10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de l'atteinte à l'intérêt supérieur de son enfant ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
- il n'a pas été procédé à un examen des incidences du refus attaqué sur sa situation ;
- l'arrêté attaqué a été adopté en méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été communiquée à la préfète du Val-de-Marne qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une décision du 14 janvier 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé à Mme E... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 15 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 octobre 2022 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... E..., ressortissante camerounaise née le 15 mars 1978, est titulaire d'une carte de résident valable dix ans du 20 septembre 2016 au 19 septembre 2026. Mère de deux enfants nés en France en 2010 et 2013, elle a déposé le 27 novembre 2017, une demande de regroupement familial en faveur de son fils aîné, D... A..., né le
6 décembre 2002 au Cameroun et y demeurant toujours à la date de cette demande. Par une décision du 8 octobre 2019, le préfet du Val-de-Marne a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au motif qu'elle ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de son enfant. Mme E... relève appel du jugement
n° 1909773 du 22 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme E... soutient que le jugement est irrégulier en ce que le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de l'atteinte à l'intérêt supérieur de son enfant. Il ressort toutefois de la lecture de ce jugement que les premiers juges, après avoir cité au point 8 les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, ont au point 9 expressément écarté, après examen des arguments de la requérante et analyse des pièces versées aux débats, le moyen tiré de leur méconnaissance. Le moyen ne peut dès lors qu'être écarté comme manquant en fait.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Aux termes de l'article L. 411-2 de ce code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ". Aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième (...) " et l'article R. 411-4 du même code dispose : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : (...) / cette moyenne majorée d'un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes ; / (...) ".
4. Le caractère suffisant du niveau de ressources du demandeur est apprécié sur la période de douze mois précédant le dépôt de la demande de regroupement familial, par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance, majorée d'un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes, au cours de cette même période, même si, lorsque ce seuil n'est pas atteint au cours de la période considérée, il est toujours possible, pour le préfet, de prendre une décision favorable en tenant compte de l'évolution des ressources du demandeur, y compris après le dépôt de la demande.
5. Pour rejeter la demande de regroupement formulée par l'appelante, le préfet du Val-de-Marne s'est fondé sur la circonstance qu'elle ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de son enfant. Il ressort en l'espèce des bulletins de salaire versés aux débats que Mme E... a perçu des revenus mensuels nets de 1 135, 32 euros en moyenne pour la période de référence allant du 1er novembre 2017 au 31 octobre 2018, soit un montant inférieur au plancher de 1 289,03 euros mensuels nets calculé selon les principes rappelés au point précédent. Quand bien même le préfet aurait tenu compte de l'évolution de sa situation en tenant compte des revenus déclarés au titre de l'année 2018, Mme E... n'aurait pas davantage satisfait la condition de ressource prévue au 1° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si l'intéressée ne conteste plus en appel ne pas satisfaire cette condition, elle fait toutefois grief au préfet de s'être fondé sur cet unique motif sans avoir par ailleurs tenu compte des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle. Un tel moyen ne peut toutefois qu'être écarté dès lors que le préfet ne s'est pas cru en situation de compétence liée et a procédé à un examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce comme en atteste la mention, portée sur l'arrêté attaqué, " après examen de l'ensemble des éléments [du] dossier ".
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet dispose d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu de rejeter la demande même dans le cas où l'étranger demandeur du regroupement ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions requises tenant aux ressources ou au logement, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale.
7. Si Mme E... soutient que les droits qu'elle tient des stipulations précitées ont été méconnus, elle n'apporte toutefois aucun justificatif établissant l'intensité de sa relation avec son fils, âgé de seize ans à la date de la demande, qui réside depuis sa naissance au Cameroun, et dont elle vit séparée depuis de nombreuses années. Il n'est pas non plus établi que son fils serait isolé ou en danger au Cameroun, où il réside chez sa grand-mère, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ne l'accueillerait pas dans des conditions satisfaisantes. Le moyen ne peut, dans ces circonstances, qu'être écarté.
8. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Si l'appelante soutient que son fils vit actuellement chez sa grand-mère au Cameroun, où il est isolé et livré à lui-même dès lors que sa grand-mère âgée ne peut s'occuper de lui et que son père réside au Gabon, elle ne justifie nullement de cette situation alors que son fils vit depuis seize ans au Cameroun et qu'elle ne dispose pas, comme dit au point 5, de ressources de nature à lui garantir un accueil convenable en France. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut, par suite, qu'être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande de regroupement familial. Par suite, ses conclusions à fins d'annulation doivent être rejetées de même que, par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Perroy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 décembre 2022.
Le rapporteur,
G. B...
La présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA04405