Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société JL Polynésie a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande tendant, à titre principal, à la condamnation de la Polynésie française à lui verser la somme de 21 048 903 F CFP au titre des pénalités de retard indument retenues et des intérêts dus pour défaut de mandatement de la situation n° 5 dans les 30 jours, assortis de la capitalisation, en règlement du solde du marché ayant pour objet la réfection de la chaussée sur l'avenue Prince A... à Papeete, à titre subsidiaire, à la modulation du montant de ces pénalités au regard de leur caractère manifestement excessif et en outre, à la condamnation de la Polynésie française à lui verser une somme de 11 567 088 F CFP au titre des coûts supplémentaires liés aux ajournements de travaux.
Par un jugement n° 1900217 du 11 février 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 avril 2020 et le 13 septembre 2021, la société JL Polynésie, représentée par Me de Gérando, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la Polynésie Française au paiement de la somme de 21 048 903 F CFP au titre des pénalités de retard indument retenues, ainsi qu'aux intérêts dus pour défaut de mandatement de la situation n°5 dans les 30 jours, assortis de la capitalisation dès lors qu'ils sont dus pour une année entière ;
3°) à titre subsidiaire, de moduler le montant des pénalités au regard de leur caractère manifestement excessif ;
4°) de condamner la Polynésie Française au paiement de la somme de 11 567 088 F CFP au titre des coûts supplémentaires liés aux ajournements de travaux ;
5°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 900 000 F CFP sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la fin de non-recevoir tirée de ce que sa lettre du 29 novembre 2018 ne vaut pas réclamation au sens du 3. de l'article 2.3.3 du cahier des clauses administratives générales concernant les marchés publics passés au nom de la Polynésie française et de ses établissements publics (CCAG) doit être écartée ; en effet, en premier lieu, l'irrégularité du décompte général entraîne le renoncement tacite de la Polynésie française à l'application des stipulations contractuelles relatives à la procédure de contestation de ce décompte ; en second lieu, cette irrégularité fait obstacle au caractère définitif du décompte général ; en troisième lieu, la Polynésie française n'est pas fondée à soutenir qu'il s'agit d'un différend entre elle et le maître d'œuvre et qu'elle devait adresser un mémoire complémentaire à la personne responsable du marché ; enfin, son mémoire en réclamation comporte bien une contestation de l'intégralité des pénalités appliquées dès lors qu'elle doit être regardée comme entendant, par les termes de ce mémoire, opposer l'absence de retard de ses travaux ; au demeurant, la Polynésie française, par sa décision du 16 janvier 2019, ne lui oppose pas la prétendue irrégularité de son mémoire en réclamation ;
- le décompte général est irrégulier en ce qu'il lui a été notifié le 29 novembre 2018, soit le même jour que le procès-verbal de réception des travaux, dès lors qu'elle n'a pu notifier son projet de décompte final dans le délai de 45 jours à compter de la notification de la réception, en méconnaissance de l'article 2.3.2 du CCAG ;
- le décompte général est en outre irrégulier dès lors que ses trois éléments constitutifs ne sont pas réunis ;
- l'irrégularité du décompte général fait obstacle à son caractère définitif ;
- en ne respectant pas la procédure formelle du décompte général, la Polynésie française a renoncé à se prévaloir de l'application de toutes les formalités relatives à cette procédure ; en conséquence, la fin de non-recevoir opposée au titre des coûts supplémentaires liés aux ajournements de travaux doit être également écartée ;
- la réception des travaux a été prononcée tacitement à la date d'achèvement des travaux telle qu'elle a été visée par le maître d'œuvre, soit le 17 mars 2017 ; en conséquence, aucune pénalité ne peut lui être appliquée dès lors que les travaux ont été réalisés dans le délai d'exécution convenu ; à cet égard, si la circulation a été rouverte à la circulation dès février 2017, c'est parce que la voirie était utilisable sans risques pour les usagers et que le phénomène de ressuage pouvait être considéré comme devant faire l'objet de simples réserves ;
- à titre subsidiaire, le montant des pénalités doit en tout état de cause être modulé à la baisse, dès lors notamment qu'il doit être rapporté au montant de la tranche conditionnelle, soit 15,60 %, et non au montant global du marché, soit 8,5 % ;
- à titre infiniment subsidiaire, la responsabilité contractuelle de la Polynésie française est engagée à raison des fautes qu'elle a commises du fait de son attitude manifestement dilatoire, qui a contribué au retard des travaux de reprise du revêtement ;
- elle doit être indemnisée à hauteur de la somme de 11 567 088 F CFP au titre de l'ajournement des travaux, qui représente une durée de six mois et 27 jours et qui ne lui est pas imputable ; à cet égard, elle n'avait pas à émettre de réserves aux ordres de service d'ajournement concernant des retards qui ne lui étaient pas imputables et n'a jamais renoncé à percevoir une indemnisation au titre de l'article 6.6 du CCAG, alors en outre que ces ajournements étaient largement supérieurs aux délais prévus à l'article 4.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) pour la modification des réseaux.
Par des mémoires en défense enregistrés le 22 juin 2021 et le 28 septembre 2021, la Polynésie française, représentée par Me Quinquis, conclut au rejet de la requête ;
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors que les courriers des 29 novembre 2018 et du 11 février 2019 de la société JL Polynésie ne répondent pas aux caractéristiques d'un mémoire de réclamation tendant à la contestation d'un décompte général telles que prévues au 3. de l'article 2.3.3 du CCAG ; notamment, ce mémoire doit exposer précisément les motifs du différend et indiquer, pour chaque chef de contestation, le montant des sommes réclamées et leur justification ; or, ces courriers ne précisent pas le montant de la somme réclamée au soutien de la contestation des pénalités ni, a fortiori, les éléments permettant de justifier ce montant ; l'article 7.2.3 du CCAG conditionnant la saisine du juge administratif n'a dès lors pas été respecté ;
- les chefs de réclamation portant sur l'irrégularité de la procédure d'établissement du décompte général, l'absence d'indemnisation pour ajournement de travaux, l'existence d'une réception tacite des ouvrages du marché, le défaut de mandatement de la situation n° 5 dans les délais contractuels et sur la responsabilité contractuelle pour faute de la collectivité sont irrecevables au regard de l'article 7.2.3 du CCAG dès lors qu'ils n'ont en tout état de cause pas été invoqués dans les courriers précités des 29 novembre 2018 et du 11 février 2019 ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, et la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;
- la délibération n° 84-20 du 1er mars 1984 portant code des marchés publics de toute nature passés au nom de la Polynésie française ;
- l'arrêté n° 835 CG en date du 3 mai 1984 portant établissement du cahier des clauses administratives générales concernant les marchés publics passés au nom de la
Polynésie française et de ses établissements publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,
- les observations de Me De Gerando pour la société JL Polynésie.
Considérant ce qui suit :
1. La Polynésie française a conclu, le 4 septembre 2015, un marché public de travaux relatif à la réfection de la chaussée de l'avenue Prince A... à Papeete avec un groupement solidaire dont le mandataire était la société JL Polynésie. Par décision du 12 novembre 2018, notifiée par ordre de service du 29 novembre 2018, le ministre chargé de l'équipement de la Polynésie française a prononcé la réception des travaux avec effet à la date du 5 juillet 2018. Par un autre ordre du service du 29 novembre 2018, le ministre a notifié à la société JL Polynésie le décompte général, faisant état notamment d'un montant de 21 048 903 F CFP au titre de pénalités correspondant à 469 jours de retard d'exécution des travaux. Par courrier du même jour, la société JL Polynésie a adressé à la Polynésie française une " lettre de réserve " portant contestation de ce décompte. Par un courrier du 16 janvier 2019, le ministre chargé de l'équipement a rejeté cette contestation. Par un courrier du 11 février 2019, la société JL Polynésie a adressé un " recours gracieux " à l'autorité précitée, compte tenu du " constat de désaccord entre notre entreprise et (le) maître d'œuvre ". Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par la Polynésie française sur ce recours. La société JL Polynésie relève appel du jugement du 11 février 2020 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Polynésie française à lui verser, d'une part, la somme de 21 048 903 F CFP au titre des pénalités de retard qu'elle estime indument retenues ou à titre subsidiaire à la modulation du montant de ces pénalités et, d'autre part, la somme de 11 567 088 F CFP au titre des coûts supplémentaires liés aux ajournements de travaux.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la Polynésie française à la demande de première instance :
2. Selon le point 2 de l'article 2.3.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) concernant les marchés publics passés au nom du territoire de la Polynésie française et de ses établissements publics : " Le projet de décompte final est remis à la personne responsable du marché dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la date de notification de la décision de réception des prestations telle qu'elle est prévue au 3 de l'article 5. 1 ". Aux termes de l'article 2.3.3 du même CCAG : " 1 - La personne responsable du marché établit le décompte général (...) ; 2 - Le décompte général, signé par la personne responsable du marché, doit être notifié au titulaire par ordre de service avant la plus tardive des deux dates ci-après : - Quarante-cinq jours après la date de remise du projet de décompte final (...) ; / 3 - Le titulaire doit, dans un délai de trente jours compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer à la personne responsable du marché, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. (...) / Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par le titulaire dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis à la personne responsable du marché dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 7.2 ". Aux termes de l'article 7.2.2 du CCAG : " 2 - Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et le titulaire, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission à la personne publique. / 3 - La décision à prendre sur les différends prévus aux 1 et 2 de l'article 7.2.2 appartient à la personne publique. (...) ". Et aux termes de l'article 7.2.3 du CCAG : " 2 - Si, dans le délai de six mois à partir de la notification au titulaire de la décision prise conformément au 3 de l'article 7.2.2 sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, le titulaire n'a pas porté ses réclamations devant le tribunal administratif compétent, il est considéré comme ayant accepté ladite décision et toute réclamation est irrecevable. / Toutefois, le délai de six mois est suspendu en cas de saisie du comité consultatif de règlement amiable dans les conditions du 1 de l'article 7.2.4 ".
3. En premier lieu, lorsque la personne responsable du marché s'abstient de faire notifier, dans les conditions prévues par le 2. de l'article 2.3.3 du CCAG, le décompte général à l'entrepreneur, celui-ci ne peut être regardé comme étant devenu définitif. Toutefois, lorsque l'entrepreneur adresse au maître d'ouvrage une réclamation pour contester ledit décompte, il ne peut plus ensuite se prévaloir utilement des irrégularités affectant la notification du décompte et doit, lorsque sa réclamation fait l'objet d'une décision expresse de rejet, saisir le tribunal administratif compétent dans le délai de six mois suivant notification de cette décision, sauf à avoir saisi le comité consultatif de règlement amiable.
4. En second lieu, il résulte des stipulations susvisées du 2. de l'article 7.2.2 du CCAG que le différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, préalablement à toute instance contentieuse, d'un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché. Un mémoire du titulaire d'un marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens de ces stipulations que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose de façon précise et détaillée les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées.
5. Il résulte de l'instruction que la Polynésie française a notifié le décompte général du marché à la société JL Polynésie à la même date à laquelle elle lui a notifié la décision de réception des travaux, soit le 29 novembre 2018. Ce faisant, le maître d'ouvrage n'a pas permis au titulaire de lui remettre un projet de décompte final dans le délai de quarante-cinq jours à compter de cette date de notification, en méconnaissance du 2. de l'article 2.3.2 du CCAG. Toutefois, l'irrégularité des conditions de notification de ce décompte, si elle est de nature à faire obstacle à ce qu'il acquière un caractère définitif, ainsi qu'il a été dit au point 3, reste sans incidence sur le fait qu'il s'agit d'un véritable décompte. Par suite, dès lors que la société JL Polynésie a contesté, par sa " lettre de réserve " du 29 novembre 2018, ce décompte général, elle ne pouvait plus se prévaloir utilement de l'irrégularité de ce décompte et devait en outre se conformer aux stipulations du CCAG mentionnées au point 2. Or, si les lettres de la société JL Polynésie des 29 novembre 2018 et 11 février 2019 comportent l'énoncé d'un différend, qui est relatif aux pénalités de retard qui lui ont été infligées, elles n'indiquent pas le montant des sommes dont le paiement est demandé dès lors que le seul argument développé par la société requérante, dans sa lettre du 29 novembre 2018, tiré de ce que le montant de ces pénalités serait " totalement disproportionné " par rapport au préjudice subi par le maître d'ouvrage, ne correspond à aucune demande pécuniaire précisément formulée. Par suite, ces lettres ne peuvent être regardées comme des mémoires en réclamation, tant au sens du 3ème alinéa du 3. de l'article 2.3.3 qu'au sens du 2. de l'article 7.2.2 du CCAG. En outre, si la société JL Polynésie, par cette même " lettre de réserve ", invoque la circonstance que les travaux de reprise lui ont " coûté 15 000 000 F CFP ", cette allégation ne constitue pas non plus une demande de paiement se rattachant au différend invoqué. Enfin, à supposer que la société JL Polynésie doive être regardée comme invoquant également une demande de paiement de sa situation n° 5 d'un montant de 57 536 472 F CFP duquel la Polynésie française n'aurait dû, selon elle, soustraire que la somme de 6 018 346 F CFP, une telle demande, qui n'est pas en rapport avec le différend ci-dessus mentionné relatif aux pénalités, ne peut davantage être regardée comme constitutive d'un mémoire en réclamation au sens des dispositions précitées.
6. La société JL Polynésie soutient toutefois que la Polynésie française, lorsqu'elle a statué, le 16 janvier 2019, sur sa contestation du décompte général, n'a pas invoqué les manquements dont serait entachée sa " lettre de réserve " et qu'elle doit ainsi être regardée comme ayant entendu renoncer à l'application des stipulations précitées du CCAG concernant le mémoire en réclamation. La société fait dès lors valoir que, compte tenu du principe de loyauté des relations contractuelles, la Polynésie française ne pouvait plus invoquer la méconnaissance de ces stipulations dans le cadre de la présente instance. Toutefois, il ne résulte pas des termes de la lettre du 16 janvier 2019 par laquelle la Polynésie française a rejeté la contestation de la société JL Polynésie que celle-ci devrait être regardée comme ayant renoncé à l'application des stipulations du CCAG relatives à la présentation et au contenu du mémoire en réclamation. Par suite, la société JL Polynésie ne peut utilement invoquer le principe de loyauté des relations contractuelles. Il résulte de ce qui précède que la Polynésie française est fondée à soutenir qu'en l'absence d'un mémoire en réclamation présentant les caractéristiques mentionnées au point 4, la demande indemnitaire présentée par la société JL Polynésie devant le tribunal au titre des pénalités infligées, ainsi que sa demande de modulation à la baisse de ces dernières, étaient irrecevables.
7. Enfin, la Polynésie française est également fondée à soutenir que la demande indemnitaire présentée par la société requérante devant le tribunal au titre des coûts supplémentaires liés aux ajournements de travaux, qui n'a été précédée d'aucune réclamation préalable, était également irrecevable.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société JL Polynésie n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société JL Polynésie est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société JL Polynésie et à la Polynésie française.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Briançon, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2022.
Le rapporteur,
P. B...
La présidente,
C. BRIANÇON
La greffière,
V. BREME
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
N° 20PA01176 2