Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. X... R..., Mme I... O..., Mme A... Q..., Mme K... C... et Mme J... L..., ayants droit de Mme B... R..., ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris
(AP-HP) à leur verser la somme de 300 000 euros chacun en réparation du préjudice que leur a causé le décès de leur mère le 24 décembre 2015 et au titre de l'indemnisation des souffrances endurées par cette dernière.
Par un jugement n° 1807170 du 4 juin 2021, le tribunal administratif de Melun a condamné l'AP-HP à verser à la succession de Mme B... R... la somme de 8 000 euros et à M. R..., Mmes O..., Q..., C... et L... la somme de 6 300 euros chacun et a rejeté le surplus des demandes ainsi que les conclusions présentées par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de son recours subrogatoire et de l'indemnité prévus à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 4 août et
29 octobre 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Welsch, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes ;
2°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 69 700 euros au titre des sommes versées aux ayants droit de Mme B... R... en application des protocoles d'indemnisation ;
3°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 1 400 euros en remboursement des frais d'expertise ;
4°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 10 455 euros en application de l'indemnité de 15 % prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
5°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il était forclos, alors que l'article L. 1142-7 du code de la santé publique a eu pour effet de suspendre le délai de recours jusqu'au versement de l'indemnité à laquelle il a procédé, compte tenu de la nécessité qu'il puisse assurer un recouvrement effectif des créances qu'il détient contre l'assureur et le responsable défaillants et qu'il soit effectivement subrogé dans les droits des victimes.
Par un mémoire en défense et en appel provoqué enregistré le 8 avril 2022, l'AP-HP, représentée par Me Tsouderos, conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet des conclusions de M. R..., Mmes O..., Q..., C... et L..., de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne et de l'ONIAM et, en tout état de cause, au rejet de la requête d'appel et, à titre subsidiaire, à ce que la Cour ramène le montant des demandes à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- sa responsabilité n'est pas engagée dans le décès de Mme R... ;
- les conclusions de l'ONIAM étaient tardives.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code de la sécurité sociale,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme S...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... R..., alors âgée de 72 ans, hospitalisée pour une dyspnée au centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges du 16 au 19 novembre 2015 puis opérée le
22 décembre suivant à l'hôpital Henri Mondor, dépendant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), pour le remplacement d'une valve aortique, a vu son état s'aggraver en réanimation jusqu'à son décès, le 24 décembre 2015 des suites d'une ischémie cardiaque, rénale et hépatique et d'une défaillance multi-viscérale. Ses ayants droit ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation d'Ile-de-France (CCI), qui a ordonné une expertise sur la base de laquelle elle a rendu, le 22 juin 2017, un avis imputant le décès de Mme R... à un défaut de sécurité et de vigilance des services de l'hôpital Henri Mondor lors de l'opération, avis complété par des avis supplétifs des 8 mars 2018, 25 octobre 2018, 15 novembre 2018 et 6 décembre 2018, invitant l'AP-HP à présenter des offres d'indemnisation aux ayants droit de Mme R.... Contestant les conclusions des experts, l'AP-HP a rejeté la demande d'indemnisation de ces ayants droit. Faisant droit à une demande de substitution, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a conclu entre le 11 décembre 2018 et le 20 février 2020 des protocoles d'indemnisation transactionnels avec dix des ayants droit de Mme R..., à savoir Mme M... R... épouse D..., Mme E... D...,
M. H... D..., M. T... R..., M. W... D..., M. P... R..., Mme N... F..., M. V... F..., Mme G... D... et M. U... R..., pour un montant total de 69 700 euros. Cinq autres ayants droit de Mme R..., à savoir M. X... R..., Mme I... O..., Mme A... Q..., Mme K... C... et Mme J... L..., ont saisi le 31 août 2018 le tribunal administratif de Melun d'une requête tendant à la condamnation de l'AP-HP à les indemniser du préjudice subi en raison du décès de leur mère. Par un mémoire enregistré le 1er juillet 2019, l'ONIAM a demandé au tribunal de condamner l'AP-HP à lui rembourser les sommes versées en application des dix protocoles transactionnels précités, ainsi que les frais d'expertise, et à lui verser la somme de 10 455 euros au titre de l'indemnité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. L'ONIAM relève appel du jugement du 4 juin 2021 par lequel le tribunal, après avoir condamné l'AP-HP à verser à la succession de Mme B... R... la somme de 8 000 euros et à M. R..., Mmes O..., Q..., C... et L... la somme de 6 300 euros chacun en réparation de leur préjudice, a rejeté ses demandes comme tardives. L'AP-HP présente devant la Cour des conclusions d'appel provoqué tendant à l'annulation du jugement attaqué, au rejet des conclusions présentées en première instance par les requérants, par l'ONIAM et par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne et, à titre subsidiaire, à ce que la Cour ramène le montant des demandes à de plus justes proportions.
Sur l'appel de l'ONIAM :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l'article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance. (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / Dans ce cas, les dispositions de l'article L. 1142-14, relatives notamment à l'offre d'indemnisation et au paiement des indemnités, s'appliquent à l'office, selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'Etat. / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué au même article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à la procédure de première instance : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".
4. D'une part, si l'article L. 1142-7 du code de la santé publique prévoit que la saisine de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales par toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou par les ayants droit d'une personne décédée à la suite d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, " suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure ", ces dispositions sont sans application lorsqu'à la date de notification de la décision de l'établissement public de santé rejetant une demande d'indemnité, la commission a déjà notifié un avis à l'intéressé à sa demande. Conformément aux dispositions précitées de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, il appartient à l'établissement public de santé qui notifie une décision rejetant une demande d'indemnité d'informer l'intéressé des voies et délai de recours. L'absence d'une telle information entraîne l'inopposabilité du délai.
5. D'autre part, dans le cas où la saisine de la commission débouche sur un avis selon lequel le dommage engage la responsabilité de l'établissement et où ce dernier refuse de verser toute indemnisation à la victime du dommage par une décision, devenue définitive faute d'avoir été contestée par l'intéressé dans le délai de recours contentieux énoncé à l'article R. 421-1 précité du code de justice administrative, l'office est fondé à refuser de verser l'indemnité en lieu et place de l'établissement responsable. Il ne peut toutefois le faire qu'au vu de cette décision, des justificatifs de sa notification régulière et de l'absence de recours contentieux exercé dans le délai. Il appartient à l'établissement de communiquer ces éléments à l'ONIAM. Faute d'avoir procédé à cette communication avant que l'office n'ait fait une offre d'indemnité à la victime, l'établissement perd la possibilité d'opposer le caractère définitif de la décision pour faire échec à un recours subrogatoire.
6. Enfin, dans le cas où l'ONIAM indemnise la victime en lieu et place de l'établissement responsable ou de l'assureur de celui-ci, puis exerce devant le tribunal administratif le recours subrogatoire prévu à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, le caractère définitif de la décision rejetant la demande d'indemnité de la victime peut être utilement opposé par l'établissement. En effet, en prévoyant cette subrogation, le législateur n'a pas dérogé au principe selon lequel le subrogé, qui ne saurait avoir plus de droits que le subrogeant, ne peut engager l'action que pour autant que la victime le pourrait encore.
7. Pour contester la tardiveté opposée à son recours subrogatoire par le tribunal administratif de Melun, l'ONIAM se borne à soutenir que, par l'effet des dispositions de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique, le délai de deux mois avait été suspendu, pour chaque ayant droit, jusqu'à la date du versement de l'indemnité prévue par le protocole transactionnel conclu avec lui. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 4, ces dispositions sont sans application lorsque, comme en l'espèce, à la date de notification de la décision de l'établissement public de santé rejetant une demande d'indemnité, la commission a déjà notifié un avis à l'intéressé à sa demande.
8. Par suite, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions comme irrecevables.
Sur les conclusions d'appel provoqué de l'AP-HP :
9. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de l'ONIAM, n'entraînant aucune aggravation de la situation de l'AP-HP, il y a lieu en conséquence de rejeter les conclusions d'appel provoqué présentées par cette dernière après l'expiration du délai d'appel.
Sur les frais de l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'AP-HP, qui n'est pas à titre principal la partie perdante dans la présente instance, verse à l'ONIAM la somme qu'il demande sur ce fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'AP-HP sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
Copie en sera adressée à la Caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne et, pour l'ensemble des demandeurs de première instance, à M. X... R....
Délibéré après l'audience du 27 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- M. Luben, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2022.
La rapporteure,
M. S...La présidente,
P. FOMBEUR
Le greffier,
É. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
21PA04516 2