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18/10/2022 | FRANCE | N°21PA06071

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 18 octobre 2022, 21PA06071


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Food House La Chapelle a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 5 novembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale pour un montant de 36 200 euros et, à titre subsidiaire, de diminuer le montant de la contribution spéciale mise à sa charge en application de l'article R. 8253-2 du code du travail.

Par jugement n° 2000203/3-2 du 28 octobre 2021, le Tr

ibunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Food House La Chapelle a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 5 novembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale pour un montant de 36 200 euros et, à titre subsidiaire, de diminuer le montant de la contribution spéciale mise à sa charge en application de l'article R. 8253-2 du code du travail.

Par jugement n° 2000203/3-2 du 28 octobre 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 novembre 2021, la société Food House La Chapelle, représentée par Me Belhedi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000203/3-2 du 28 octobre 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 5 novembre 2019 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la contribution spéciale pour un montant de 36 200 euros et, à titre subsidiaire, de la décharger du paiement de cette contribution ou de la réduire à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de l'OFII est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'inexactitude matérielle des faits et d'erreur de qualification juridique ;

- les activités bénévoles et d'entraide échappent à la qualification d'infractions relevant du travail illégal au regard de la circulaire du 9 novembre 1992 relative au renforcement de la lutte contre le travail clandestin et à l'application des dispositions de la loi n° 91-1383 du

31 décembre 1991 ;

- le montant de la contribution est disproportionné et aurait dû être réduit en application de l'article R. 8253-2 du code du travail.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 septembre 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Schegin, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la Société Food House la Chapelle la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle effectué le 27 juin 2019 au sein du restaurant exploité par la société Food House La Chapelle, situé 82 rue de la Chapelle dans le 18ème arrondissement de Paris, les services de police ont dressé un procès-verbal d'infraction pour l'emploi de deux salariés démunis d'un titre autorisant l'exercice d'une activité salariée. Par une décision du

5 novembre 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a infligé à cette société la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de

36 200 euros. Par jugement n° 2000203/3-2 du 28 octobre 2021, dont la société Food House La Chapelle relève appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision précitée du 5 novembre 2019.

Sur la contestation du bien-fondé de la sanction :

En ce qui concerne le principe de la contribution financière :

2. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Selon les dispositions de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. (...) ". Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail que la contribution spéciale a pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions lorsque tout à la fois, d'une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et que, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité.

3. Lorsque le juge administratif est saisi de conclusions dirigées contre une décision mettant à la charge d'un contrevenant la contribution spéciale sur le fondement des dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, il lui appartient, après avoir contrôlé les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, de décider, selon le résultat de ce contrôle, soit de maintenir le taux retenu, soit de lui substituer celui des deux autres taux qu'il estime légalement justifié, soit, s'il n'est pas établi que l'employeur se serait rendu coupable des faits visés au premier alinéa de l'article L. 8251-1 précité du code du travail, de le décharger de la contribution spéciale.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

5. Il ressort des termes de la décision prise le 5 novembre 2019 par le directeur général de l'OFII qu'elle mentionne les circonstances de fait et de droit qui en constituent le fondement, à savoir le procès-verbal d'infraction établi le 27 juin 2019 et la lettre de l'OFII du 11 septembre 2019 lui reprochant d'avoir employé deux étrangers, MM. B... et C..., démunis d'un titre les autorisant à travailler, et les articles L. 8251-1, L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail. Par suite, cette décision, qui n'avait pas à mentionner les conséquences qu'elle pouvait avoir sur la société Food House La Chapelle récemment créée, est suffisamment motivée.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que lors du contrôle effectué le 27 juin 2019, les services de police ont constaté que MM. B... et C... étaient en position de travail en train de nettoyer les tables de l'établissement sans être en possession d'un titre les autorisant à exercer une activité professionnelle en France. Le gérant soutient que son restaurant fait office de lieu de rencontre pour la communauté afghane, qu'il est " habituel (...) et d'une manière totalement spontanée de donner un coup de main en débarrassant des tables pour laisser la place à d'autres clients " et que " c'est exactement ce qui [s'est] passé le jour du contrôle " de sorte que " le fait que deux personnes se trouvaient au moment du contrôle dans le local en train de débarrasser les tables, ne fait pas d'eux nécessairement deux employés sans autorisation de travail " et " qu'ils étaient simplement de passage et ne faisaient qu'apporter de l'aide ". M. B... a indiqué lors de son audition qu'il vient tout le temps dans ce restaurant pour charger son téléphone portable, qu'il est sans domicile fixe, qu'il a perdu ses papiers, qu'il a demandé au gérant de garder son sac et qu'il se trouvait sur une table et a demandé, quand il a vu qu'elle était pleine de poussière, un torchon et une bouteille pour la nettoyer. Il a ajouté que dans tous les restaurants où il se rend, il nettoie sa table, qu'il ne travaille pas pour ce restaurant et qu'il " n'a jamais donné de coup de main ". Le gérant du restaurant a, quant à lui, indiqué que l'intéressé avait perdu ses papiers et qu'il était venu lui demander de l'aide. Concernant M. C..., le gérant a précisé qu'il était venu uniquement prendre son sac qui était déposé dans le restaurant et l'intéressé a indiqué lors de son audition avoir déposé son sac en consigne auprès du gérant et ne pas travailler là-bas. Toutefois, ces dénégations ne constituent pas des éléments pertinents de nature à remettre en cause les constatations faites par les services de police qui permettent de considérer que les intéressés étaient en action de travail au moment du contrôle. L'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail est constituée du fait de l'emploi de ces deux travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Ainsi, doivent être écartés les moyens tirés de ce que les faits de travail irrégulier ne seraient pas établis et ne sauraient justifier la contribution spéciale mise à sa charge et de ce que l'OFII aurait commis une erreur de droit en retenant l'infraction.

7. En troisième lieu, le moyen tiré de l'erreur de droit dont la décision attaquée serait entachée au regard des dispositions de la circulaire du 9 novembre 1992 relative au renforcement de la lutte contre le travail clandestin et de l'application des dispositions de la loi n° 91-1383 du

31 décembre 1991 renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l'organisation de l'entrée et du séjour irréguliers d'étrangers en France ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

En ce qui concerne le montant de la contribution financière :

8. Aux termes de l'article R. 8253-2 code du travail : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : (...) 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ".

9. Le juge administratif peut décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par l'article L. 8253-1 du code du travail, soit d'en décharger l'employeur.

10. Il résulte de l'instruction que MM. B... et C... n'étaient pas en possession d'un titre les autorisant à exercer une activité professionnelle en France et que la société Food House La Chapelle ne les a pas déclarés aux organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales en méconnaissance des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail. Par suite, compte tenu de ce cumul d'infractions, à savoir le travail non autorisé et le travail dissimulé, et alors qu'il n'est par ailleurs ni soutenu ni établi qu'il y aurait eu un paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus aux deux salariés étrangers non autorisés à travailler dans le délai mentionné à l'article R. 8252-6 du code du travail, la demande de minoration du montant de la contribution spéciale infligée à la société Food House La Chapelle, qui n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnée, doit être écartée. Enfin, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de sa situation économique difficile pour contester le montant de la contribution spéciale mise à sa charge.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Food House La Chapelle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'OFII, par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme que la société Food House La Chapelle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Food House La Chapelle la somme de 1 500 euros à verser à l'OFII au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Food House La Chapelle est rejetée.

Article 2 : La société Food House La Chapelle versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Food House La Chapelle et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.

La rapporteure,

A. A... Le président,

R. LE GOFF

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA06071


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06071
Date de la décision : 18/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : BELHEDI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-10-18;21pa06071 ?
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