Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision de sursis à renouvellement de son passeport prise à son encontre par la consule générale de France à Sydney le 8 octobre 2020 et d'enjoindre à cette dernière de lui renouveler son passeport, dans un délai de cinq jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2019975 du 21 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 avril 2022, Mme A... C..., représentée par Me Madre, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2019975 du 21 octobre 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision de sursis à renouvellement de son passeport prise à son encontre par la consule générale de France à Sydney le 8 octobre 2020 ;
3°) d'enjoindre à l'autorité consulaire, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui renouveler son passeport dans un délai de cinq jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai, en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a commis une erreur d'appréciation sur le caractère suffisant du doute portant sur sa nationalité française ;
- elle a également commis une erreur de droit dans l'application de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005 dès lors qu'elle établit sa possession d'état de Française ;
- la décision porte atteinte à sa liberté d'aller et de venir et au droit de mener sa vie privée et familiale, garanties par les articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, par l'article 9 du code civil et par l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 mai 2022, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une décision du 23 décembre 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris, a refusé d'admettre Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- le Traité sur l'Union européenne, ensemble la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,
- et les observations de Me Madre, avocat de Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... C..., née le 28 août 1986 au Mexique, s'est présentée le 12 août 2020 aux services consulaires français à Sidney pour déposer une demande de renouvellement de son passeport. Par un courriel électronique du 8 octobre 2020, les services consulaires ont indiqué à Mme C... que, sa nationalité française n'ayant pu être établie sur le fondement des documents fournis, il était par suite sursis à sa demande de renouvellement de passeport le temps pour l'intéressée de produire un certificat de nationalité française. Mme C... ayant demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision du 8 octobre 2020, qui doit être regardée comme ayant fait naitre une décision implicite de rejet de sa demande de renouvellement de passeport, cette juridiction a rejeté sa demande par un jugement du 21 octobre 2021 dont l'intéressée relève appel devant la Cour.
Sur le cadre juridique applicable au litige :
2. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 4 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. (...) ". Aux termes de l'article 5-1 du même décret : " I. - En cas de demande de renouvellement, le passeport est délivré sur production par le demandeur : / 1° De son passeport, (...) valide ou périmé depuis moins de cinq ans à la date de la demande du renouvellement ; en pareil cas, sans préjudice, le cas échéant, de la vérification des informations produites à l'appui de la demande de cet ancien titre, le demandeur est dispensé d'avoir à justifier de son état civil et de sa nationalité française ; / (...) / IV. - En cas de demande de renouvellement d'un passeport en application des dispositions des I, II et III, lorsque le demandeur ne peut produire aucun des titres qui y sont mentionnés, la demande est examinée selon les modalités définies à l'article 5. ". Aux termes de l'article 5 des mêmes dispositions : " II. - La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance (...). Lorsque l'extrait d'acte de naissance mentionné au précédent alinéa ne suffit pas à établir la nationalité française du demandeur, le passeport est délivré sur production de l'une des pièces justificatives mentionnées aux articles 34 ou 52 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 modifié relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. / Lorsque les documents mentionnés aux alinéas précédents ne suffisent pas à établir sa nationalité française, le demandeur peut justifier d'une possession d'état de Français de plus de dix ans. / Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française. ".
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 30 du code civil : " La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants ". Aux termes de l'article 28 du même code : " Mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. / (...). ". Aux termes de l'article 28-1 du code civil : " Les mentions relatives à la nationalité prévues à l'article précédent sont portées d'office sur les copies et les extraits avec indication de la filiation des actes de naissance ou des actes dressés pour en tenir lieu. / (...). ".
4. En troisième lieu, en application des dispositions du décret susvisé du 30 décembre 2005 relatives aux conditions de délivrance des passeports, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement du passeport. Les dispositions précitées de l'article 5-1 du décret du 30 décembre 2005 fondent en outre le pouvoir de l'autorité administrative pour, à l'occasion de l'examen d'une demande de renouvellement d'un passeport et lorsqu'un doute suffisamment justifié subsiste quant à la nationalité du demandeur, vérifier les informations produites à l'appui de la demande de cet ancien titre.
Sur le moyen tiré de l'erreur d'appréciation quant au doute suffisant pesant sur la nationalité de la requérante :
5. Mme C... soutient que l'administration a commis une erreur d'appréciation sur le caractère suffisant du doute portant sur sa nationalité française, alors qu'elle possède, comme d'ailleurs son père, un titre d'identité français, et que son acte de naissance, celui de son père et de la mère de ce dernier ainsi que l'acte de mariage de ses parents ont été transcrits dans les registres de l'état civil des Français établis hors de France, et qu'elle justifie ainsi de la possession d'état de Française en application de l'article 21-13 du code civil et que l'administration n'était donc pas fondée à remettre en cause la réalité de sa possession de la nationalité française.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de faire droit à la demande de renouvellement du passeport de Mme C..., les services du consulat général de France à Sydney ont relevé, d'une part, que l'acte de naissance de l'intéressée indiquait que ses deux parents et ses quatre grands-parents possédaient la nationalité mexicaine et qu'aucun élément transmis par Mme C... ne mentionnait la possession d'une deuxième nationalité française, par attribution ou acquisition. D'autre part, la consultation des pièces annexes au dossier de demande de transcription des actes de naissance de la requérante et de son père n'ont pas permis de s'assurer de la possession et la conservation de la nationalité française par la requérante. À la suite de l'examen de ces pièces justificatives, les services consulaires ont sollicité en vain auprès de Mme C... la production d'un certificat de nationalité française. En l'espèce, les pièces présentées par Mme C... ne permettaient pas, à elles seules, de s'assurer de sa nationalité française, notamment en l'absence sur les actes de naissance présentés de mentions marginales prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. En outre, la possession d'état de Française invoquée sur le fondement de l'article 321-13 du code civil ne dispense pas l'intéressée de réclamer la nationalité dans les conditions prévues par ce code, la juridiction civile de droit commun étant seule compétente, en vertu de l'article 29 pour connaître des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques, alors en outre que les dispositions, citées au point 2, du II de l'article 5 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports n'imposent pas, par elles-mêmes, à l'administration de reconnaître la possession d'état revendiquée devant elle. Il s'ensuit qu'en demandant des pièces justificatives complémentaires de nature à établir la nationalité de Mme C..., le ministre, conformément aux dispositions précitées de l'article 5-1 du décret du 30 décembre 2005, n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation. Le moyen doit donc être écarté.
Sur le moyen tiré de l'erreur de droit dans l'application de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005 :
7. Mme C... soutient que la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article 5 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005, qui prévoit que la production d'un certificat de nationalité française ne peut être demandée à une personne disposant d'une possession d'état de Français de plus de dix ans.
8. D'une part, les dispositions du IV de l'article 5-1 du décret du 30 décembre 2005, qui sont propres aux demandes de renouvellement de passeport ne rendent applicables les dispositions de l'article 5 du même décret, propres aux premières demandes de titre, que dans l'hypothèse où le demandeur n'a pu produire son passeport précédent. D'autre part, la requérante a, en l'espèce, effectivement produit devant l'autorité consulaire son précédent passeport. Les dispositions de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005 sont donc inapplicables à sa situation et le moyen tiré de leur méconnaissance doit être écarté comme inopérant.
Sur la méconnaissance de la liberté d'aller et de venir et du droit à la vie privée et familiale :
9. Mme C... soutient que, sans possibilité de renouveler son passeport français auquel était lié son droit de résidence en Australie, elle n'a pas pu continuer à vivre dans ce pays où elle travaillait et a dû rentrer au Mexique, pays dont elle a également la nationalité, et que la décision litigieuse a ainsi porté atteinte à sa liberté d'aller et de venir et à son droit à la vie privée et familiale, en méconnaissance des articles 6, 8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de l'article 9 du code civil et de l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
10. La requérante ne présentant devant la Cour, relativement à ce moyen, aucun argument ou élément nouveau de nature à remettre en cause, sur ce point, l'appréciation sur lui portée par les premiers juges, il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs du jugement attaqué.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de sursis à renouvellement de son passeport prise à son encontre par la consule générale de France à Sydney le 8 octobre 2020. Ses conclusions d'appel qui tendent à l'annulation dudit jugement et de cette décision doivent donc être rejetées, en ce comprises, par voie de conséquence, celles à fin d'injonction et d'astreinte et celles fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, lesquelles font obstacle à ce que Mme A... C..., qui est la partie perdante dans la présente instance, en puisse invoquer le bénéfice.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 octobre 2022.
Le rapporteur,
S. B...Le président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA01783