La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/09/2022 | FRANCE | N°22PA01794

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 30 septembre 2022, 22PA01794


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 14 février 2022 par lequel le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités bulgares aux fins d'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2204874 du 1er avril 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du préfet de police du 14 février 2022, a enjoint au préfet de polic

e d'enregistrer la demande d'asile de M. B..., dans un délai de deux mois, et a mis à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de l'arrêté du 14 février 2022 par lequel le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités bulgares aux fins d'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2204874 du 1er avril 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du préfet de police du 14 février 2022, a enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de M. B..., dans un délai de deux mois, et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. B... d'une somme de 1 100 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 avril 2022, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2204874 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris du 1er avril 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a fait droit aux moyens tirés d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, et d'une violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- c'est également à tort qu'il lui a enjoint de délivrer à M. B... un dossier de demande d'asile en procédure normale, alors que M. B... ne pouvait en tout état de cause relever que de la procédure accélérée ;

- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 20 août 1986 à Laghman (Afghanistan), qui est entré en France le 18 décembre 2021 selon ses déclarations, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Après avoir été informé par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'il avait présenté une demande d'asile en Bulgarie, le 25 octobre 2021, en Roumanie, le 18 novembre 2021, puis en Autriche, le 8 décembre 2021, le préfet de police a saisi successivement les autorités autrichiennes et roumaines d'une demande de reprise en charge de M. B... sur le fondement de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités roumaines et autrichiennes ayant refusé de prendre en charge M. B..., le préfet a saisi les autorités bulgares, le 18 janvier 2022. Celle-ci ayant implicitement accepté de prendre en charge M. B..., le préfet de police a décidé le transfert de ce dernier par un arrêté du 14 février 2022, qui a été annulé par un jugement du 1er avril 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris. Le préfet de police fait appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Pour annuler l'arrêté en litige comme méconnaissant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que le transfert de M. B... en Bulgarie était susceptible d'entraîner un risque qu'il y subisse des traitements inhumains et dégradants, indépendamment même de la question de savoir s'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie.

4. Si M. B... fait valoir que les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie sont régulièrement dénoncées, comme en attestent selon lui notamment l'article de presse et le rapport 2019 d'Amnesty International sur la Bulgarie qu'il produit au dossier, et qu'il aurait lui-même été détenu dans des conditions déplorables en Bulgarie et y aurait subi des violences de la part des autorités bulgares, il n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui de ses allégations, la lettre du 25 janvier 2022 envoyée au préfet de police, eu égard notamment aux termes dans lesquels elle est rédigée, ne permettant ni de confirmer la réalité des mauvais traitements qui lui auraient été infligés lors de son séjour en Bulgarie, ni en tout état de cause d'établir qu'il serait de nouveau soumis à de tels traitements en cas de transfert en Bulgarie.

5. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 14 février 2022 portant transfert de M. B... aux autorités bulgares méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Toutefois, il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal :

7. En premier lieu, par un arrêté n° 2021-00991 du 27 septembre 2021 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial, le préfet de police a donné délégation à M. A... C..., attaché d'administration de l'Etat, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

9. L'arrêté litigieux, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait de la situation de M. B..., en rappelant notamment que le relevé de ses empreintes a révélé qu'il avait sollicité l'asile successivement auprès des autorités bulgares, roumaines et autrichiennes, et en indiquant que les autorités bulgares, saisies après le refus des autorités autrichiennes et roumaines, ont implicitement accepté de prendre en charge M. B..., en application de l'article 18 (1) (b) de ce règlement. Cette mention est suffisante pour permettre à M. B..., le cas échéant, de contester utilement la compétence de la Bulgarie au regard des critères fixés par le règlement. L'arrêté précise également que M. B... ne relève pas des clauses dérogatoires des articles 3-2 et 17 du règlement, qu'il ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale, et enfin qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités bulgares. Cet arrêté satisfait ainsi aux exigences de motivation résultant des dispositions citées ci-dessus.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Droit à l'information : 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent (...) b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre en temps utile, les 27 et 29 décembre 2021, la brochure " A ", intitulée " J'ai demandé l'asile dans un pays de l'Union européenne ", et la brochure " B ", intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ", ainsi que le guide du demandeur d'asile en France et la brochure Eurodac, en langue pachtou qu'il a déclaré comprendre, et que ces documents étaient complets. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté. Par ailleurs, aucune disposition n'obligeait le préfet de police à remettre spontanément à M. B..., avant de prendre sa décision, les fiches décadactylaires Eurodac.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

13. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel mené dans les locaux de la préfecture de police, le 29 décembre 2021. Le résumé de cet entretien, établi le jour même et versé au dossier par le préfet, sur lequel est apposé la signature de M. B... et le cachet de la préfecture, mentionne que l'entretien a été mené par un agent du 12ème bureau de la délégation à l'immigration de la préfecture de police, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national. En effet, aucun principe ni aucune disposition légale ou réglementaire n'impose la mention, sur le résumé de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien. En vertu des dispositions combinées des dispositions alors codifiées aux articles L. 741-1 et R. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et de l'arrêté du 10 mai 2019 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat, le préfet de police était compétent pour enregistrer la demande d'asile de M. B... et procéder à la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande. Dans ces conditions, les services du préfet de police, et en particulier les agents recevant les étrangers, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement du 26 juin 2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Par ailleurs, M. B... ne saurait se plaindre de ce que la durée de l'entretien n'est pas précisée dans le compte rendu. S'il fait valoir que ce compte rendu ne fait pas mention de la possibilité de le relire avant de le signer, il n'établit pas avoir été privé de cette possibilité. Il n'établit pas davantage que lui-même et son Conseil auraient été empêchés d'en avoir communication en temps utile.

14. D'autre part, il n'est pas contesté que M. B... a bénéficié lors de son entretien individuel, ainsi que le permettent les dispositions citées ci-dessus, des services d'un interprète en langue pachtou, qu'il a déclaré comprendre, provenant de l'organisme d'interprétariat ISM, agréé par l'administration. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles l'entretien s'est déroulé auraient privé M. B... de la possibilité de faire valoir toute observation utile ou n'auraient pas permis d'en assurer la confidentialité.

15. En cinquième lieu, l'ensemble des règles applicables aux décisions de transfert sont entièrement déterminées par l'article 5 du règlement n° 604/2013 ainsi que par les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ne peuvent donc être utilement invoquées à l'encontre d'une telle décision. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté comme inopérant. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit aux points 14 et 15 que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel et qu'il a pu faire valoir ses observations.

16. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a saisi les autorités bulgares, le 18 janvier 2022, et qu'il a obtenu leur accord implicite pour la reprise en charge de M. B... le 2 février 2022. Le moyen tiré d'une méconnaissance des articles 23 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.

17. En septième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. (...) / 2. La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'Etat membre responsable. (...) ".

18. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 26 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté comme inopérant dès lors qu'il ne concerne pas la légalité de l'arrêté en litige, les conditions de notification de l'arrêté préfectoral portant remise aux autorités bulgares étant en elles-mêmes sans influence sur sa légalité.

19. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, comme de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

20. Par ailleurs, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". L'article 17 du règlement prévoit que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

21. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

22. D'une part, ni la circonstance que la Commission européenne a adressé aux autorités bulgares, le 8 novembre 2018, une lettre de mise en demeure sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, puis, a transmis, le 29 juillet 2019, un avis motivé pour transposition incomplète de la directive n° 2013/32/UE de refonte sur les procédures d'asile, ni le rapport 2019 d'Amnesty International sur la Bulgarie, qui mentionne des " conditions d'accueil et d'hébergement (...) inadaptées ", ne permettent d'établir l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, alors qu'ainsi que le fait valoir le préfet de police, la Commission européenne n'a pas recommandé de suspendre les transferts des demandeurs d'asile vers cet Etat. Par ailleurs, il ressort de ce qui a été dit précédemment au point 4 que M. B... n'établit pas qu'il serait confronté en Bulgarie à des traitements inhumains et dégradants en cas d'exécution de l'arrêté contesté.

23. D'autre part, si M. B... soutient que sa demande d'asile sera nécessairement rejetée en cas de transfert dans cet Etat et qu'il sera renvoyé en Afghanistan, pays caractérisé par une violence généralisée, il ne fait en tout état de cause état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il serait personnellement exposé à des risques en cas de retour en Afghanistan.

24. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulation de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 2 de l'article 3 et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ne peuvent qu'être écartés.

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 14 février 2022, lui a enjoint de délivrer à M. B... un dossier de demande d'asile en procédure normale et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. B... d'une somme de 1 100 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et à demander en conséquence l'annulation de ce jugement.

Sur les frais liés à l'instance :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse au conseil de M. B... une somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2204874 du 1er avril 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, à M. E... B... et à Me Pafundi.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Vinot, présidente de chambre,

- Mme Cécile Vrignon Villalba, présidente assesseure,

- M. Aggiouri, premier conseiller.

Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 30 septembre 2022.

La rapporteure,

C. VRIGNON VILLALBALa présidente,

H. VINOT

La greffière,

F. DUBY-THIAM

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA01794 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01794
Date de la décision : 30/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VINOT
Rapporteur ?: Mme Cécile VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : ANGLADE et PAFUNDI A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-09-30;22pa01794 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award