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29/09/2022 | FRANCE | N°20PA02366

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 29 septembre 2022, 20PA02366


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à leur verser la somme totale de 5 369 400, 93 euros, en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis en raison du dysfonctionnement du service public de la justice.

Par une ordonnance n° 2004413/4-1 du 25 mai 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par

une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 21 août 2020 et le 2 décembre 2020, la SCI...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à leur verser la somme totale de 5 369 400, 93 euros, en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis en raison du dysfonctionnement du service public de la justice.

Par une ordonnance n° 2004413/4-1 du 25 mai 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 21 août 2020 et le 2 décembre 2020, la SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal, représentées par Me Nicolas, demandent à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2004413/4-1 du 25 mai 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 5 369 400 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de la décision, en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à chacune des sociétés requérantes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elles soutiennent que :

- leur requête d'appel est recevable ;

- leur demande de première instance était recevable, l'autorité de la chose jugée ne pouvant leur être opposée dès lors qu'il n'y a pas identité de cause et d'objet entre leur présente demande et les affaires jugées par la Cour administrative d'appel de Bordeaux et le Conseil d'Etat critiquées, toutes les voies de recours étant épuisées ;

- des fautes lourdes ont été commises dans le fonctionnement de la justice administrative, tant devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux que devant le Conseil d'État, concernant les recours qu'elles ont exercés en lien avec la recherche de la responsabilité pour faute de l'Etat en raison de l'illégalité de la décision du 27 janvier 1995 du ministre de la santé et des deux arrêtés du 14 septembre 1999 du directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de la Guadeloupe ;

- la Cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une faute lourde en visant, pour l'affaire n° 16BX03309 jugée dans un arrêt du 31 octobre 2017, un mémoire en défense du ministre des affaires sociales et de la santé, non communiqué et produit uniquement dans une autre affaire, en méconnaissance du principe du contradictoire garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une faute lourde en relevant d'office un moyen, dans le cadre des instances nos 15BX02372, 15BX02500, 15BX02874 jugées par un arrêt du 12 juillet 2016, sans avoir mis en œuvre la procédure prévue à l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;

- la Cour administrative d'appel de Bordeaux a commis un déni de justice en constatant un non-lieu à statuer sur les requêtes nos 16BX03064, 16BX03309 en méconnaissance du droit à l'accès au juge et du droit à un procès équitable, garantis par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le Conseil d'Etat a commis une faute lourde en n'admettant pas le pourvoi dirigé contre l'arrêt du 31 octobre 2017 ;

- leur préjudice financier, qui correspond aux coûts des travaux inutilement exécutés, aux frais d'immobilisation financière liés au travaux et à la perte de chance de réaliser une marge nette, doit être évalué à la somme de 5 369 400 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés le 30 octobre 2020 et le 24 décembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un courrier du 1er septembre 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'irrégularité de l'ordonnance attaquée, en tant qu'elle rejette la demande de la SCI Les Thermes Marins et de la Société Hôtelière et de Bains de Montal sur le fondement des 4° et 5° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative alors qu'elle aurait dû être jugée en formation collégiale dès lors d'une part que l'exception de chose jugée est une règle de fond et ne relève donc pas du régime de recevabilité et, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'instruction que la requête ne présentait plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou la charge des dépens.

La SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal ont produit des observations en réponse le 5 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Frèrejacque substituant Me Nicolas représentant la SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal.

Considérant ce qui suit :

1. En 1986 et 1990, a été autorisée l'exploitation, sur le territoire de la commune du Moule, d'un établissement d'hospitalisation de quarante lits de moyen séjour dont douze de repos prénatal et la création de vingt-deux lits de rééducation fonctionnelle. Le 27 janvier 1995, le ministre chargé de la santé a constaté la caducité de l'autorisation en ce qui concerne les douze lits de repos prénatal et vingt des lits de rééducation fonctionnelle autorisés. Par deux arrêtés du 14 septembre 1999, le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de la Guadeloupe a constaté la caducité de l'autorisation en ce qui concerne les vingt-huit lits restants de moyen séjour et les deux lits restants de rééducation fonctionnelle. Sur demandes des deux sociétés qui portaient le projet, la SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal, ces décisions ont été annulées par un jugement du 6 mai 2003 du tribunal administratif de la Guadeloupe, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 4 mai 2006.

2. Estimant avoir subi un préjudice du fait, notamment, qu'aucune autorisation n'était désormais susceptible de leur être attribuée, d'autres établissements ayant, entretemps, été autorisés à créer les lits ouverts par le schéma régional d'organisation sanitaire, les deux sociétés ont recherché la responsabilité de l'Etat. Le tribunal administratif de la Guadeloupe, par un jugement avant-dire droit du 4 juillet 2013, a admis la responsabilité de l'Etat à raison de l'illégalité fautive résultant des décisions des 27 janvier 1995 et 14 septembre 1999 et, après expertise, a, par un jugement du 18 juin 2015, condamné l'Etat à verser aux deux sociétés prises solidairement, la somme de 5 369 400,59 euros en réparation de leur préjudice. Par un arrêt nos 15BX02372, 15BX02500, 15BX02874 du 12 juillet 2016, la Cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé les jugements des 4 juillet 2013 et 18 juin 2015 et a rejeté les conclusions indemnitaires présentées devant le tribunal administratif de la Guadeloupe par les deux sociétés. Par deux décisions du 15 mars 2017, le Conseil d'Etat a décidé de ne pas admettre les pourvois en cassation de la SCI Les Thermes Marins et de la Société Hôtelière et de Bains de Montal dirigés contre cet arrêt.

3. Par un arrêt nos 16BX03064, 16BX03309 du 31 octobre 2017, la Cour administrative d'appel de Bordeaux a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par la SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal tendant à la rectification d'erreurs matérielles entachant l'arrêt du 12 juillet 2016. Par une décision du 20 juin 2018, le Conseil d'Etat a décidé de ne pas admettre le pourvoi en cassation des deux sociétés dirigé contre cet arrêt.

4. Estimant avoir subi un préjudice résultant de dysfonctionnements du service public de la juridiction administrative lors des instances évoquées aux points précédents et introduites par elles devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux puis devant le Conseil d'État statuant au contentieux, la SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal ont, par un courrier du 30 octobre 2019, demandé à la garde des sceaux, ministre de la justice, de leur verser une indemnité de 5 369 400 euros en réparation du préjudice allégué. La ministre ayant rejeté leur demande d'indemnisation le 3 janvier 2020, les deux sociétés ont demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à leur verser l'indemnité qu'elles réclament. Le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande par une ordonnance du 25 mai 2020 dont les sociétés requérantes relèvent appel.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

5. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; / 5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 ou la charge des dépens ; (...) ".

6. En vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité. Toutefois, l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive. La responsabilité de l'État peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

7. Pour considérer que la demande des sociétés requérantes était manifestement irrecevable, l'ordonnance a relevé, en se fondant sur les dispositions du 4° et du 5° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, que l'autorité de la chose jugée s'opposait à la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat à raison des décisions juridictionnelles de la Cour administrative d'appel de Bordeaux et du Conseil d'Etat critiquées.

8. Toutefois, l'exception de chose jugée qui fait obstacle, en dehors de l'hypothèse d'une violation manifeste du droit communautaire, à la mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique est une règle de fond et ne relève donc pas du régime de recevabilité des requêtes défini par les articles R. 411-1 et suivants du code de justice administrative. Il ne résulte pas de l'instruction que la demande de première instance était entachée d'une irrecevabilité manifeste ni que la requête ne présentait plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 ou la charge des dépens.

9. Dans ces conditions, l'ordonnance contestée ne pouvait se fonder sur les dispositions précitées du 4° et du 5° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative pour rejeter la demande de la SCI Les Thermes Marins et de la Société Hôtelière et de Bains de Montal. Elle est entachée d'irrégularité et doit dès lors être annulée.

10. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal devant le tribunal administratif de Paris.

Sur la responsabilité de l'Etat :

11. D'une part, les différentes fautes invoquées par les sociétés requérantes, et rappelées dans les visa du présent arrêt, résultent du contenu même des arrêts de la Cour administrative d'appel de Bordeaux et des décisions du Conseil d'Etat qui sont devenues définitives.

12. D'autre part, si les sociétés requérantes invoquent une méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ces dernières ne relèvent pas du droit de l'Union européenne, la circonstance invoquée qu'un seul et même juge de la Cour européenne des droits de l'homme, et non deux juges distincts et indépendants, a rendu deux décisions d'irrecevabilité, étant à cet égard inopérante dans l'appréciation portée par le juge administratif français.

13. Enfin, si les sociétés requérantes soutiennent qu'a été méconnu l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui garantit le droit à un recours effectif, ces dispositions ne trouvent, en tout état de cause, à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors que le litige en cause, consistant en la recherche de la responsabilité de l'Etat du fait de l'illégalité fautive de décisions prises en application de l'article L. 712-17 du code de la santé publique, était entièrement et uniquement régi par le droit national interne.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal ne sont pas fondées à demander la condamnation de l'État à leur verser la somme qu'elles réclament.

Sur les dépens :

15. La présente instance ne comportant aucun dépens, les conclusions des sociétés appelantes relatives aux dépens ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que demandent la SCI Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal au titre des frais qu'elles ont exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2004413/4-1 du 25 mai 2020 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société civile immobilière Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société civile immobilière Les Thermes Marins et la Société Hôtelière et de Bains de Montal en appel est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Les Thermes Marins, à la Société Hôtelière et de Bains de Montal et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 septembre 2022.

Le rapporteur,

J-F. A...Le président,

J. LAPOUZADELa greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 20PA02366 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02366
Date de la décision : 29/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : NICOLAS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-09-29;20pa02366 ?
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