Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 16 avril 2021 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour.
Par un jugement n° 2114967/2-2 du 29 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 avril 2022, M. E..., représenté par Me Joory, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2114967/2-2 du 29 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 avril 2021 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 313-11-11° -désormais codifié à l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) à défaut, d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans le même délai et avec la même astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; à défaut d'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire, de condamner l'Etat à lui verser cette somme.
Il soutient que :
- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- il est entaché de vices de procédure dès lors que l'avis rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) l'a été irrégulièrement, en méconnaissance des dispositions des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles de l'article 6 de l'arrêté du
27 décembre 2016, sans signatures sécurisées ni mention des pièces (données) et éléments de procédure qui ont permis au collège de médecins d'émettre leur avis et de l'absence de son audition par le collège de médecins ;
- il méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées le 14 juin 2022, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de l'éventuelle tardiveté du recours de M. E....
Par un nouveau mémoire, enregistré le 16 juin 2022, M. E... conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens, et soutient en outre qu'une demande d'aide juridictionnelle a été enregistrée par le bureau d'aide juridictionnelle de Paris le 4 février 2022, soit dans le délai d'appel de deux mois à compter de la notification du jugement à l'intéressé, et qu'ainsi sa requête n'est pas tardive.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 17 juin 2022, le préfet de police conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire, et soutient en outre que la requête a été introduite après le délai de recours imparti et doit donc être rejetée.
Par une décision n° 2002/004593 du 18 mars 2022, la présidente de la section du bureau d'aide juridictionnelle compétente pour la Cour a rejeté la demande d'aide juridictionnelle de M. E... ; cette décision de rejet a été confirmée, sur recours de l'intéressé, par une décision du 13 avril 2022 de la présidente de la Cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
M. B... a présenté son rapport au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., né le 15 février 1962, de nationalité géorgienne, est entré en France le 30 août 2020 selon ses déclarations. Le 15 décembre 2020, M. E... a sollicité auprès du préfet de police la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 11° alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 29 novembre 2021, le préfet de police a rejeté sa demande. M. E... relève appel du jugement du 18 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. / (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, le jugement attaqué du 29 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris a été notifié à M. E... le 6 décembre 2021 par une lettre recommandée avec accusé de réception, qui porte un tampon de remise du pli à l'intéressé à cette date. D'autre part, M. E... a saisi le 4 février 2022, soit dans le délai de recours contentieux de deux mois, le bureau d'aide juridictionnelle d'une demande d'aide juridictionnelle, qui a été rejetée par une décision n° 2002/004593 du 18 mars 2022 de la présidente de la section du bureau d'aide juridictionnelle compétente pour la Cour, qui a fait courir à nouveau le délai de recours contentieux. Par suite, sa requête, enregistrée le 7 avril 2022 au greffe de la Cour, n'est pas tardive et est ainsi recevable.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins mentionné au point 2, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine.
6. Pour refuser à M. E... la délivrance de son titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées, le préfet de police s'est fondé sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 11 mars 2021 selon lequel, si l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, celui-ci peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Géorgie. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment des certificats médicaux établis par un néphrologue du centre de dyalise Diaverum en date des 22 juin 2021 et 15 octobre 2021, que M. E..., qui souffre d'une néphropathie arrivée au stade de l'insuffisance rénale chronique terminale et dont l'état de santé se dégrade, fait l'objet en France d'une prise en charge et d'un suivi clinique avec dialyse et prescription d'un lourd traitement médicamenteux, à base notamment de Mimpara, et qu'il est actuellement en cours d'inscription pour une greffe. Le premier certificat indique qu'en l'absence de celle-ci, ce traitement médicamenteux est vital pour M. E... et le deuxième certificat précise que l'absence de prise de Mimpara serait lourde de conséquences et provoquerait notamment de graves troubles osthéoarticulaires. Or, M. E... produit un courriel du laboratoire AMGEN du 25 octobre 2021 indiquant que ce médicament n'est pas commercialisé en Géorgie, ainsi que la liste des médicaments disponibles en Géorgie en date du 1er juin 2021 sur laquelle n'apparaissent ni ce médicament ni son principe actif, le Cinacalcet. Il produit également un rapport d'Asylos et deux certificats médicaux des docteurs Tomandze et Parkosadze, néphrologues à Tbilissi, en date de juin 2021, qui indiquent que la transplantation de reins prélevés sur des personnes décédées n'est pas praticables en Géorgie et que seul le don d'organe entre personnes vivantes ayant un lien de parenté ou un lien très proche et stable avec le receveur est réalisé en Géorgie, ce qui crée une pénurie d'organes. Ainsi, en refusant d'accorder à
l'intéressé le titre de séjour demandé, le préfet de police, auquel il incombe la charge d'établir que M. E... pourrait bénéficier effectivement en Géorgie, soit d'un traitement identique à celui qu'il suit en France, soit comprenant des molécules présentant le même bénéfice thérapeutique et qui se bornait en première instance à faire valoir que si le Mimpara n'est pas disponible en Géorgie, certains certificats médicaux récents du requérant montrent qu'il ne lui est pas toujours prescrit et qu'il n'est pas établi que les docteurs Tomandze et Parkosadze, auraient disposé d'informations aussi complètes que celles auxquelles a eu accès le collège des médecins de l'OFII concernant les possibilités de soigner la pathologie du requérant en Géorgie, a ainsi méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il résulte dès lors de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet de police portant refus de délivrance de titre de séjour.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à M. E... le titre de séjour sollicité. Par suite il y a lieu d'enjoindre au préfet de police de délivrer à ce dernier un titre de séjour dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2114967/2-2 du 29 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 16 avril 2021 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, de délivrer à M. E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 000 euros à M. E... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié sera notifié à M. C... E..., au préfet de police et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience publique du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juillet 2022.
Le président rapporteur,
I. B...L'assesseure la plus ancienne,
M. D...
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 22PA01574 2