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18/07/2022 | FRANCE | N°22PA01097

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 18 juillet 2022, 22PA01097


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 février 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé l'entrée sur le territoire français au titre de l'asile.

Par un jugement n° 2202694/8 du 11 février 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mars 2022, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Can

o, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2202694/8 du 11 février 2022 du magistrat dés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 février 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé l'entrée sur le territoire français au titre de l'asile.

Par un jugement n° 2202694/8 du 11 février 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mars 2022, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Cano, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2202694/8 du 11 février 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné a annulé sa décision en considérant qu'il avait commis une erreur de droit et que la demande de M. D... était manifestement infondée, au sens de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- aucun des moyens invoqués par M. D... devant le premier juge n'est fondé.

La requête n'a pu être transmise à M. D..., faute d'adresse connue.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention de Genève ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant colombien né le 18 août 1990, est arrivé à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle par un vol en provenance de Bogota le 28 janvier 2022 et a demandé le bénéfice de l'asile le 2 février 2022. Par une décision du 3 février 2022, prise après avis de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) du même jour, le ministre de l'intérieur a estimé que la demande de M. D... était manifestement infondée et a décidé, en conséquence, de lui refuser l'entrée au titre de l'asile sur le territoire français, en prescrivant son réacheminement vers la Colombie ou vers tout autre pays où il serait légalement admissible. Le ministre de l'intérieur fait appel du jugement du 11 février 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 3 février 2022.

Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris :

2. Aux termes de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise que dans les cas suivants : (...) 3° La demande d'asile est manifestement infondée./ une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves ". Aux termes de l'article L. 352-2 du même code : " Sauf dans le cas où l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, la décision de refus d'entrée ne peut être prise qu'après consultation de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui rend son avis dans un délai fixé par voie réglementaire et dans le respect des garanties procédurales prévues au titre III du livre V. L'office tient compte de la vulnérabilité du demandeur d'asile. L'avocat ou le représentant d'une des associations mentionnées au huitième alinéa de l'article L. 531-15, désigné par l'étranger, est autorisé à pénétrer dans la zone d'attente pour l'accompagner à son entretien dans les conditions prévues au même article (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 351-1 du même code : " Lorsque l'étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d'asile, il est informé sans délai, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de la procédure de demande d'asile et de son déroulement, de ses droits et obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l'aider à présenter sa demande. (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que le ministre de l'intérieur peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations et les documents qu'il produit à leur appui, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées par l'intéressé au titre de l'article 1er A (2) de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés.

4. Pour annuler la décision du ministre de l'intérieur refusant l'entrée sur le territoire français de M. D..., le premier juge s'est fondé sur les déclarations de ce dernier lors de l'entretien avec le représentant de l'OFPRA, dont il ressort qu'il a affirmé craindre pour sa vie en cas de retour dans son pays d'origine en raison de son orientation sexuelle, à l'origine d'une discrimination de la part de sa famille, de menaces de la part de son entourage et de violences physiques. Il a ainsi exposé avoir été blessé d'un coup de couteau à la jambe par trois hommes. Le premier juge a également relevé que l'intéressé et son compagnon avaient été rackettés par les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) et que la police ne voulait pas le protéger ainsi que son compagnon, en dépit des plaintes déposées pour les agressions subies. Le premier juge a estimé qu'au regard de ces éléments, en refusant l'admission de M. D... sur le territoire national et en estimant que sa demande d'asile devait être regardée comme manifestement infondée, le ministre de l'intérieur avait méconnu les dispositions précitées.

5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. D... n'a apporté devant l'officier de protection de l'OFPRA, le magistrat désigné ou la cour, aucun élément précis et circonstancié ou document de nature à établir la réalité des discriminations, menaces et violences dont il soutient faire l'objet, notamment de la part des FARC, dans son pays d'origine ni des plaintes déposées du fait des agressions qu'il aurait subies. Par ailleurs, ses déclarations sont peu précises quant aux conditions dans lesquelles il vivait depuis huit ans avec son compagnon et aux circonstances dans lesquelles son homosexualité a été découverte par lui-même et annoncée à sa famille, ainsi qu'aux agissements imputés aux FARC. Par suite, en estimant que la demande formée par M. D... apparaissait comme dénuée de toute crédibilité et devait être considérée comme manifestement infondée au sens des articles L. 351-1 et l'article L. 352-1 précités, le ministre de l'intérieur n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation. Par ailleurs, et contrairement à ce qu'a soutenu l'intéressé, l'examen de sa demande d'asile par le ministre n'a pas dépassé le cadre du caractère " manifestement infondé " de la demande au sens des dispositions précitées de l'article L. 351-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a estimé qu'il avait entaché sa décision d'une erreur de droit.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. D... devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. D...:

En ce qui concerne la décision refusant l'entrée en France au titre de l'asile :

8. En premier lieu, si la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d'asile, ce principe ne fait pas obstacle à ce que les agents habilités à mettre en œuvre le droit d'asile aient accès à ces informations. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la procédure suivie aurait porté atteinte au principe de confidentialité des éléments d'information résultant de la demande d'asile, dès lors que ces éléments n'ont été connus, transmis et étudiés que par les agents des autorités habilitées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à traiter les demandes, à savoir les agents de police ainsi que les agents de l'OFPRA et du ministère de l'intérieur, tous astreints au secret professionnel. Enfin, la circonstance que la décision serait transmise par télécopie ou courrier électronique n'est pas davantage de nature à méconnaître ce principe, ni à porter atteinte au droit d'asile. En conséquence, le moyen doit être écarté.

9. En deuxième lieu, M. D... soutient que la décision est entachée d'un vice de procédure au regard des conditions matérielles de l'entretien et, notamment, du caractère directif de l'interrogatoire et des erreurs d'interprétariat commises. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il a été informé le 2 février 2022 à 17 heures 44 de la procédure et notamment de son droit à être accompagné lors de l'entretien qu'il a eu le 3 février 2022 avec le représentant de l'office. Il ressort en outre de l'examen du compte-rendu de l'entretien que celui-ci ne révèle aucune difficulté de compréhension des questions posées à l'intimé, avec l'aide d'un interprète en langue espagnole. Ce compte-rendu révèle, enfin, que l'intéressé a été mis en mesure d'exposer sa situation de manière suffisamment précise et approfondie afin de permettre à l'administration de procéder à l'examen prévu à l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas bénéficié de conditions matérielles d'accueil régulières.

10. En troisième lieu, la demande d'asile de M. D... présentait un caractère manifestement infondé, pour les motifs exposés ci-dessus. Par suite, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que la décision du ministre de l'intérieur du 3 février 2022 serait entachée d'une erreur de droit ou d'une erreur d'appréciation.

11. En quatrième lieu, si M. D... soutient qu'il n'a pu exercer son droit à être assisté par une association habilitée par le directeur général de l'OFPRA, faute de disposer d'une connexion Internet au sein de la zone d'attente, d'une part, il est constant que la liste des associations intervenantes est affichée dans l'aéroport et que le droit à être assisté par une association a été rappelé à l'intéressé sur la convocation à l'entretien qui lui a été remise. D'autre part, il ne ressort pas du dossier que M. D... aurait, avant le début de son audition, avisé l'officier de protection de son souhait d'être assisté par un représentant de l'une de ces associations et qu'il en aurait été matériellement empêché. Par suite, le moyen doit en tout état de cause être écarté.

12. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de vulnérabilité, au sens du 6ème alinéa de l'article L. 352-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, allégué par M. D..., n'aurait pas été pris en considération lors de l'entretien qu'il a eu le 3 décembre 2022 avec le représentant de l'OFPRA, puis par le ministre de l'intérieur.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de réacheminement :

13. En premier lieu, si aux termes de l'article 33 de la Convention de Genève : " 1. Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. / 2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ", de telles stipulations ne peuvent être utilement invoquées par M. D... auquel la qualité de réfugié n'a pas été reconnue.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il est susceptible d'être exposé à des traitements contraires à ces stipulations en cas de réacheminement vers la Colombie, son pays d'origine.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du 3 février 2022 par lesquelles il a refusé à M. D... l'entrée sur le territoire au titre de l'asile et a prescrit son réacheminement vers la Colombie ou vers tout autre pays où il serait légalement admissible. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2202694/8 du 11 février 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... D....

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Julliard, présidente,

Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2022.

La rapporteure,

M-D. A...La présidente,

M. B...

La greffière,

A. DUCHERLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

N° 08PA04258

2

N° 22PA01097


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA01097
Date de la décision : 18/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SELARL CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-07-18;22pa01097 ?
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