Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a refusé de l'admettre sur le territoire français au titre de l'asile.
Par un jugement n° 2124986/8 du 25 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Djemaoun, demande à la cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler le jugement du 25 novembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de l'autoriser à entrer sur le territoire national, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de trois jours ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à son conseil, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que la minute du jugement n'est pas signée ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que l'arrêté est entaché d'illégalité pour avoir fixé le Niger comme pays de renvoi alors que M. B... est togolais ;
- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- l'arrêté est entaché d'incompétence de l'auteur de l'acte ;
- l'arrêté est entaché d'un manquement relatif aux conditions matérielles de l'entretien et à la procédure ;
- l'arrêté est entaché d'une méconnaissance du principe de confidentialité des éléments de sa demande d'asile ;
- l'arrêté du ministre de l'intérieur est entaché d'erreur de droit dès lors que ce dernier a procédé à un examen de sa demande d'asile dépassant le cadre de son caractère " manifestement infondé " ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; son état de vulnérabilité n'a pas été pris en compte ;
- la décision attaquée méconnaît le principe de non refoulement et l'article 33 de la convention de Genève ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les observations de Me Djemaoun, représentant M. B...,
- et les observations de Me Ben Hamouda, représentant le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant togolais né le 10 mars 1980, est arrivé en France à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle le 18 novembre 2021. Il a été placé en zone d'attente et a présenté une demande d'asile qui a été enregistrée le 19 novembre 2021. Par une décision du 22 novembre 2021, le ministre de l'intérieur, après avis de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), a refusé de l'admettre sur le territoire français et a ordonné son réacheminement vers tout pays dans lequel il sera légalement admissible. M. B... relève appel du jugement du 25 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. B... le 24 février 2002 dans le cadre de la présente instance a été rejetée par une décision du 13 avril 2022 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Par suite, sa demande d'admission provisoire est devenue sans objet.
Sur la régularité du jugement :
3. En premier lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, la minute du jugement attaqué, produite devant la cour, comporte la signature manuscrite du magistrat qui l'a rendu.
4. En deuxième lieu, si M. B... soutient que le tribunal a omis de répondre à plusieurs moyens opérants qu'il avait soulevés, il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par l'intéressé, se sont prononcés sur le moyen tiré de la violation de l'article 33 de la Convention de Genève de 1951 et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, en son point 7. Si M. B... soutient qu'il avait soulevé le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué était entaché d'une erreur de fait en ce qu'il prononce son réacheminement vers le Niger et non vers le Togo, cela ne ressort pas de ses écritures de première instance, qui mentionnent au demeurant, dans le mémoire complémentaire du 23 novembre 2021, la Havane comme pays de réacheminement ; en tout état de cause, l'erreur alléguée étant dépourvue d'incidence sur la légalité de l'acte, qui mentionne également " tout autre pays " où le demandeur serait " légalement admissible ", les premiers juges n'étaient pas tenus d'y répondre. Par suite, les moyens tirés de l'omission à statuer et du caractère insuffisant de la motivation du jugement doivent être écartés.
5. En troisième et dernier lieu, l'erreur de fait soulevée par l'appelant à l'encontre du jugement attaqué, relative au déroulement de l'entretien avec un agent de l'OFPRA, n'est pas susceptible d'affecter la régularité du jugement, mais, le cas échéant, son seul bien-fondé.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
6. En premier lieu, le directeur de l'asile, par une décision du 9 mars 2020 publié au Journal officiel de la République française le 11 mars 2020, a donné délégation à Mme F... D..., chef du département de l'accès à la procédure d'asile, à l'effet de signer tous actes, arrêtés, décisions et pièces comptables relevant des attributions du département de l'accès à la procédure d'asile. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d'asile, il est informé sans délai, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de la procédure de demande d'asile et de son déroulement, de ses droits et obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l'aider à présenter sa demande (...) ".
8. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ont assuré la transposition de l'article 12 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, que l'étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile doit être informé du déroulement de la procédure dont il fait l'objet et des moyens dont il dispose pour satisfaire à son obligation de justifier du bien-fondé de sa demande. Ces dispositions impliquent notamment que l'étranger soit informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, de la possibilité non seulement d'entrer en contact et de se faire assister d'un représentant d'une association ou de toute autre organisation qui fournit des conseils juridiques ou d'autres orientations aux demandeurs mais aussi de communiquer avec un représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
9. M. B... soutient que les conditions dans lesquelles se sont déroulées l'entretien dont il a bénéficié en vue de sa demande d'asile ne lui ont pas permis d'exposer au mieux sa situation afin qu'il en soit fait une juste appréciation et qu'il n'a pas bénéficié des garanties procédurales nécessaires. Il ressort cependant des pièces du dossier, notamment du procès-verbal du 19 novembre 2021 paraphé et signé par l'intéressé, qu'il a été avisé de la possibilité de se faire assister au cours de la procédure d'asile par un avocat ou une association humanitaire habilitée à assister juridiquement les étrangers en zone d'attente et de la possibilité de prendre contact avec un représentant du HCR. Il est par ailleurs constant que des affichages rédigés en plusieurs langues existent dans la zone d'attente, indiquant la liste des associations humanitaires habilitées et précisant leurs coordonnées. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. B... a été effectivement informé, dans une langue qu'il comprend, de la possibilité de se faire assister d'un représentant d'une association habilitée à fournir des conseils juridiques ou d'autres orientations aux demandeurs d'asile et qu'il a effectivement eu accès à la liste des associations en cause. Il ne ressort pas, en outre, de l'examen du compte-rendu de l'entretien avec l'agent de l'OFPRA que l'intéressé aurait présenté des difficultés de compréhension des questions qui lui ont été posées en langue française, langue que M. B... a déclaré comprendre, auxquelles celui-ci a apporté des réponses précises et substantielles. Ce compte-rendu révèle enfin que l'intéressé a été mis en mesure d'exposer sa situation de manière suffisamment précise et approfondie afin de permettre à l'administration de procéder à l'examen prévu à l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les conditions matérielles de l'entretien l'auraient privé de la possibilité de fournir des précisions utiles sur sa situation personnelle. Dès lors, ce moyen ne peut qu'être écarté.
10. En troisième lieu, si la confidentialité des éléments d'information détenus par l'OFPRA relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d'asile, ce principe ne fait pas obstacle à ce que les agents habilités mettant en œuvre le droit d'asile aient accès à ces informations. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la procédure suivie a porté atteinte au principe de confidentialité des éléments d'information ressortant de la demande d'asile, dès lors que ces éléments n'ont été connus, transmis et étudiés que par les agents des autorités habilitées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à traiter leurs demandes, à savoir les agents de police, de l'OFPRA et du ministère de l'intérieur, tous astreints au secret professionnel. Par suite, ce moyen doit être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 221-1 du même code : " L'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui, soit n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans une zone d'attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international figurant sur une liste définie par voie réglementaire, dans un port ou à proximité du lieu de débarquement, ou dans un aéroport, pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s'il est demandeur d'asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée (...) ". En application des articles R. 213-2 et R. 213-3 du même code, la décision visée à l'article L. 213-9 est prise par le ministre chargé de l'immigration après consultation de l'OFPRA.
12. D'une part, il résulte des dispositions précitées que le ministre chargé de l'immigration peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations et les documents qu'il produit à leur appui, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées par l'intéressé au titre de l'article 1er A. (2) de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés.
13. D'autre part, contrairement à ce que soutient M. B..., l'examen de sa demande d'asile par le ministre n'a pas dépassé le cadre du caractère " manifestement infondé " de la demande au sens des dispositions précitées de l'article L. 221-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais codifié à l'article L. 352-1 : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise par le ministre chargé de l'immigration que si : (...) / 3° (...) la demande d'asile est manifestement infondée. / Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves ".
15. Le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. Ce droit implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Toutefois, le ministre chargé de l'immigration peut, sur le fondement des dispositions de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, rejeter la demande d'asile d'un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque celle-ci présente un caractère manifestement infondé.
16. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des déclarations du requérant, telles qu'elles ont été consignées dans le compte-rendu d'entretien avec le représentant de l'OFPRA du 19 novembre 2021, que ce dernier soutient qu'il craint pour sa sécurité au Togo, qu'il a fui ce pays car il craignait d'être arrêté, qu'il était agent de sécurité et militant du parti OBUT, qu'il devait faire passer la frontière à M. E... A... et l'emmener au Ghana le 4 novembre 2021, et que l'autre personne qui devait mener cette mission avec lui a été portée disparue. Toutefois, si M. B... se prévaut ainsi de son engagement politique, il ressort de l'entretien précité que ses propos sont peu circonstanciés, qu'il ne connaît ni la signification du nom du parti, ni l'idéologie, ni les revendications du parti politique qu'il prétend soutenir. Enfin, s'il produit une attestation de la ligue togolaise des droits de l'homme indiquant qu'il est accusé, avec sept autres personnes, d'avoir semé un trouble à l'ordre public dans les cinq régions économiques du pays et qu'il fait l'objet de menaces, intimidations et poursuites, ainsi qu'une convocation de la direction générale de la police nationale du 5 novembre 2021, ces pièces ne présentent aucune garantie d'authenticité. Ainsi, ces éléments ne permettent pas d'établir que M. B... serait personnellement exposé dans son pays d'origine en raison de son engagement politique. Il suit de là que le ministre de l'intérieur n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne ressort pas plus de ce qui précède que le ministre de l'intérieur aurait méconnu l'article 33 de la convention de Genève, qui contient le principe de non refoulement, et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en considérant que la demande de M. B... d'entrer sur le territoire français était manifestement infondée et en décidant qu'il serait réacheminé vers le territoire de son pays d'origine ou de tout pays dans lequel il serait légalement admissible.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 novembre 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé son admission sur le territoire français au titre de l'asile. Par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions du requérant à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2022.
La rapporteure,
G. C...Le président,
I. LUBENLa greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA06577