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18/07/2022 | FRANCE | N°21PA06352

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 18 juillet 2022, 21PA06352


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société KF Probat a demandé au tribunal administratif de Melun, à titre principal, d'annuler la décision du 28 juin 2019 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 19 974 euros au titre des contributions spéciale et forfaitaire et, à titre subsidiaire, de moduler le montant de la contribution spéciale.

Par un jugement n° 1910430 du 26 novembre 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cou

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Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2021 et un mémoire en réplique enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société KF Probat a demandé au tribunal administratif de Melun, à titre principal, d'annuler la décision du 28 juin 2019 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 19 974 euros au titre des contributions spéciale et forfaitaire et, à titre subsidiaire, de moduler le montant de la contribution spéciale.

Par un jugement n° 1910430 du 26 novembre 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 5 mai 2022, la société KF Probat, représentée par Me Devonec, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1910430 du 26 novembre 2021 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 28 juin 2019 de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif n'a pas suffisamment répondu au moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et commis une erreur de droit en jugeant qu'il était inopérant ;

- la décision attaquée méconnaît ces stipulations, faute de confrontation entre le témoin à charge et la personne mise en cause ;

- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie sur la seule foi des déclarations de M. B... qu'elle conteste avoir embauché et alors même que la procédure pénale a fait l'objet d'un classement sans suite par le Parquet, faute pour l'infraction d'être suffisamment caractérisée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Schegin, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la Société KF Probat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... ;

- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public

- et les observations de Me Devonec pour la société KF Probat.

Considérant ce qui suit :

1. Le 14 septembre 2018 à 7 heures 55, lors d'un contrôle routier sur le territoire de la commune de Barbizon (Seine-et-Marne), les services de gendarmerie ont constaté la présence au volant d'un véhicule utilitaire appartenant au gérant de la société KF Probat, d'un ressortissant tunisien dépourvu de titre de séjour et d'autorisation de travail et qui n'avait pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche. Par une décision du 28 juin 2019, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la société KF Probat la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-3 du code du travail, d'un montant de 17 850 euros, ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'un montant de 2 124 euros. Le recours gracieux formé par la société KF Probat à l'encontre de cette décision a été rejeté par une décision de l'OFII du 23 septembre 2019. La société KF Probat relève appel du jugement du

26 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 28 juin 2019 de l'OFII.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Melun a répondu en son point 6 au moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'appréciation du caractère opérant de ce moyen relevant du bien-fondé de ce jugement et non de sa régularité, le moyen tiré du défaut de motivation du jugement attaqué doit, par suite, être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de la décision du directeur général de l'OFII du 28 juin 2019 :

3. En premier lieu, la société KF Probat soutient que le Parquet d'Evry n'a pas engagé de poursuites à son encontre. Toutefois, si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux décisions de classement sans suites prononcées par le ministère public au motif que les faits reprochés ne sont pas suffisamment établis ou qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative sous le contrôle du juge, d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Par suite, la circonstance selon laquelle le procureur de la République aurait décidé de ne pas engager de poursuites devant le juge pénal pour des faits de travail dissimulé est sans incidence sur le litige.

4. En deuxième lieu, les poursuites engagées par le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en vue d'infliger des sanctions financières sur le fondement des articles L. 8253-1 du code du travail et L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont des accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois il n'en résulte pas que la procédure de sanction menée par l'administration doive respecter les stipulations de cet article, dès lors, d'une part, que le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, compétent pour prendre les mesures de sanction, ne peut être regardé comme un tribunal, au sens des stipulations de cet article, et, d'autre part, que la décision de sanction peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, devant laquelle la procédure est en tous points conforme aux exigences de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " (...) l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine (...) ".

6. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal établi le 14 septembre 2018 dont les mentions font foi jusqu'à preuve du contraire, qu'à l'occasion du contrôle routier opéré le 14 septembre 2018, les services de gendarmerie ont constaté la présence à bord d'un véhicule utilitaire de la société KF Probat d'un ressortissant tunisien exerçant la profession de menuisier. Ce ressortissant tunisien, dépourvu de titre de séjour et d'autorisation de travail et qui n'avait pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche a déclaré lors de son audition avoir été embauché six jours auparavant, le jeudi 6 septembre, à raison de 35 heures par semaine par le gérant de la société KF Probat qu'il connaissait depuis un précédent chantier, et travailler pour cette société à la date du contrôle, le gérant étant informé de sa situation administrative depuis le deuxième jour de travail. Par ailleurs, si ce dernier, lors de son audition du 17 septembre 2018, a indiqué que cette personne n'était dans le véhicule utilitaire de la société le jour du contrôle que pour l'aider à faire le déménagement de son voisin et qu'il n'existait pas de relation de travail entre eux, en l'absence de tout élément de preuve produit par la société sur la réalité de ce déménagement, cette simple allégation est insuffisante pour contester l'existence d'une relation de travail découlant des constatations effectuées par les services de gendarmerie le 14 septembre 2018 et qui font foi jusqu'à preuve du contraire. Dans ces circonstances, M. B... doit être regardé que comme ayant été en situation de travail salarié au moment du contrôle, sous la direction et l'autorité de la société KF Probat. Par suite, l'OFII a pu considérer à bon droit que la société KF Probat était l'employeur de cette personne et qu'elle était redevable de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-l du code du travail ainsi que de la contribution forfaitaire prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société KF Probat n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes d'annulation de la décision du 28 juin 2019 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de décharge et de minoration de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement mises à sa charge.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'OFII, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande la société KF Probat au titre des frais liés à l'instance. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société KF Probat la somme que demande l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société KF Probat est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société KF Probat et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Julliard, présidente,

Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2022.

La rapporteure,

M-D. A...La présidente,

M. C...

La greffière,

A. DUCHERLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 08PA04258

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N° 21PA06352


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06352
Date de la décision : 18/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : DEVONEC

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-07-18;21pa06352 ?
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