Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... F..., utilisant le nom d'usage G... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler de la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le garde sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom de " F... " en " E... ".
Par une ordonnance n° 2013005 du 21 janvier 2021, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 mars 2021, M. A... G..., représenté par Me Carbonnier, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2013005 du 21 janvier 2021 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le garde sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande de changement de nom de " F... " en " E... " ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre un projet de décret autorisant le changement de nom sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est irrégulière, dès lors que, d'une part, telle qu'elle a été notifiée au requérant, elle ne comporte pas la signature de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris et celle du greffier, alors que celles-ci sont requises à peine de nullité, que, d'autre part, prise au visa " des autres pièces du dossier ", elle n'indique ni la personne qui aurait versé ces pièces, ni la teneur des pièces produites et jointes au dossier et alors qu'il n'a pas été estimé nécessaire d'offrir à l'exposant la possibilité de prendre connaissance de ces pièces et ce, en violation du principe du contradictoire et de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et qu'enfin elle a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, dès lors que les conditions de mise en œuvre de ce texte n'étaient pas réunies ;
- dès lors que des motifs d'ordre affectif pouvant, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi, l'abandon de l'enfant par son père dès son plus jeune âge, le désintérêt total de celui-ci qui n'a plus participé à son éducation ni exercé son droit de visite et d'hébergement, de même que l'absence de maintien de liens affectifs avec le père et la preuve de troubles psychologiques liés au port du nom de ce dernier sont constitutifs des circonstances exceptionnelles de nature à caractériser son intérêt légitime à ne plus porter le nom de son père et à se voir attribuer celui de sa mère ; tel est le cas en l'espèce ; en outre, l'intéressé ne fait jamais usage de son patronyme de naissance dans la vie quotidienne ;
- le prononcé d'une injonction sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative est justifié.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 avril 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au non-lieu à statuer sur la requête.
Il fait valoir que la requête est désormais dépourvue d'objet, et qu'il prépare un projet de décret autorisant le changement de nom sollicité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... F..., utilisant le nom d'usage " G... ", né en 2001, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le garde sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande de changement de nom de " F... " en " E... " au motif qu'il ne justifiait pas d'un intérêt légitime à cette fin au sens de l'article 61 du code civil. La présidente de la 4ème section de ce tribunal administratif a rejeté cette demande par une ordonnance n° 2013005 du 21 janvier 2021 dont M. G... relève appel devant la Cour.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / (...) / 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours [...], les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé [...].". La présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris s'est fondée sur ces dispositions pour rejeter la demande de M. G..., après avoir considéré que l'intéressé se borne à alléguer qu'il n'a jamais connu son père qui n'a pas participé à son éducation et qu'il est reconnu et identifié publiquement sous le nom de sa mère, " E... ", sans toutefois apporter d'éléments de nature à démontrer la nature exceptionnelle de ces circonstances caractérisant l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pas plus que l'usage constant et ininterrompu de ce nom, et en avoir déduit que sa requête ne comporte aucun moyen de nature à contester utilement la décision litigieuse.
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la demande de M. G... comportait l'exposé de faits et de moyens de droit, comme requis par les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, et soulevait notamment le moyen fondé sur l'existence de motifs affectifs susceptibles de relever des circonstances exceptionnelles constituant un motif légitime pour changer de nom au sens de l'article 61 du code civil. Il s'ensuit qu'en rejetant sa demande au motif de l'absence de moyens " de nature à contester utilement " la décision litigieuse, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a excédé sa compétence et méconnu les dispositions précitées de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.
4. M. G... est donc fondé à soutenir que cette ordonnance est irrégulière et doit être annulée. Il y a donc lieu pour la Cour, statuant par la voie de l'évocation, d'examiner les moyens articulés à l'encontre de la décision litigieuse.
Sur le non-lieu à statuer :
5. Si le garde des sceaux, ministre de la justice fait valoir qu'il a finalement décidé de faire droit à la demande de changement de nom présentée par M. G... et qu'un projet de décret à cette fin est en cours de préparation, cette seule circonstance n'est pas, à la date à laquelle la Cour se prononce, de nature à faire perdre son objet à la requête. L'exception de non-lieu à statuer doit donc être écartée.
Sur la légalité de la décision litigieuse :
6. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / [...] / Le changement de nom est autorisé par décret ". Des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
7. Il résulte des pièces du dossier que, depuis le 10 novembre 2002, M. C... F..., père du requérant, a quitté le domicile conjugal et n'a jamais plus revu son enfant. Alors que, par ordonnance de non-conciliation du 14 novembre 2003, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bobigny a notamment décidé que l'autorité parentale sur l'enfant serait exercée par les deux parents, fixé la résidence habituelle de celui-ci chez la mère avec droit de visite dans les conditions habituelles, et fixé à 230 euros la contribution mensuelle à l'éducation et l'entretien de son fils, le père ne s'est jamais manifesté, n'a jamais exercé son droit de visite ni versé la contribution à laquelle il était condamné et s'est totalement désintéressé du jeune A.... Par jugement du 8 juin 2004, le tribunal de grande instance de Bobigny a prononcé le divorce aux torts exclusifs du mari, en constatant expressément que " M. C... F... n'a pas exercé le droit de visite qui lui a été accordé par l'ordonnance de non-conciliation et qui devait lui permettre de rétablir progressivement des relations avec son fils, que M. C... F... a par ailleurs reconnu devant le magistrat conciliateur qu'il n'avait pas vu A... depuis plusieurs mois à la date de l'audience, qu'il ne se manifeste pas dans le cadre de la présente instance pour indiquer de quelle manière il entend exercer ses droits et ses devoirs envers son fils ", et a donc décidé que
" compte tenu de cette attitude démontrant son désintérêt pour son fils, l'autorité parentale sera exercée exclusivement par Mme B... E... " avec un simple droit de visite accordé au père et a maintenu à 230 euros la contribution mensuelle à l'éducation et l'entretien de son fils. En dépit des termes de ce jugement, M. C... F... a persisté dans son désintérêt le plus absolu à l'égard de son fils. Il se ne s'est jamais manifesté, n'a jamais exercé son droit de visite ni versé la contribution mensuelle à l'éducation et l'entretien de A.... Il résulte également de divers comptes-rendus d'expertise pédo-psychiatrique que l'absence du père du requérant a été à l'origine de divers troubles d'ordre psychologique durant son enfance. Enfin, l'intéressé ne fait jamais usage, dans la vue quotidienne, du nom de " F... ", mais utilise le plus souvent celui de " E... " ou, dans ses rapports avec l'administration, celui de " G... ". L'ensemble de ces circonstances est de nature à révéler des circonstances exceptionnelles caractérisant un motif légitime au sens et pour l'application du premier alinéa de l'article 61 du code civil. Le garde des sceaux, ministre de la justice, a ainsi commis une erreur d'appréciation en refusant de faire droit à la demande de changement de nom qui lui était présentée.
8. Il résulte de ce qui précède que M. G... est fondé à soutenir que décision litigieuse du garde des sceaux, ministre de la justice, est illégale et doit être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / [...]. ".
10. En l'espèce, l'exécution complète du présent arrêt suppose, eu égard aux motifs mentionnés aux points 2 à 4 qui fondent l'annulation de la décision litigieuse, qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant M. G... à changer son patronyme de " F... " en " E... ".
Sur les frais du litige :
11. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à M. A... G... d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2013005 du 21 janvier 2021 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La décision du 6 juillet 2020 par laquelle le garde sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de changement de nom de M. A... G..., de " F... " en " E... ", est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant M. A... G... à changer son nom de " F... " en " E... ".
Article 4 : L'État (ministère de la justice) versera à M. A... G... une somme de
2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... G... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juillet 2022.
Le rapporteur,
S. D...Le président,
J. LAPOUZADE Le greffier,
C. POVSE
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA01538