Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision du 30 avril 2020, par laquelle le chef du secrétariat général pour l'administration de la police nationale en Nouvelle-Calédonie a rejeté la demande d'indemnité d'éloignement qu'elle avait présentée à l'occasion de son affectation sur le territoire calédonien à compter du 1er mars 2020.
Par un jugement n° 2000209 du 4 février 2021, le tribunal administratif de
Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 10 mai 2021 et le 16 mai 2022, Mme A..., représentée par la société d'avocats JurisCal, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000209 du 4 février 2021 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) d'annuler la décision du 30 avril 2020 du chef du secrétariat général pour l'administration de la police nationale en Nouvelle-Calédonie ;
3°) d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation et de lui allouer l'indemnité d'éloignement ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 300 000 F CFP au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la secrétaire générale pour l'administration de la police nationale en Nouvelle-Calédonie était incompétente pour retirer la décision, créatrice de droit, de lui attribuer l'indemnité d'éloignement, prise par le ministre de l'intérieur le 25 février 2020 ;
- elle a droit au bénéfice de l'indemnité dès lors qu'elle est tenue de servir en-dehors du territoire où elle a le centre de ses intérêts matériels et moraux ; la décision lui en refusant le bénéfice est entachée d'erreur de droit et de détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2022, le Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme A... n'est fondé.
Les parties ont été informées, par lettre du 5 mai 2022, en application de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible de prescrire d'office une mesure d'exécution en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, tendant au réexamen de la situation de Mme A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 50-772 du 30 juin 1950 ;
- le décret n° 96-1028 du 27 novembre 1996 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... ;
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Jouanin, pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme Gey, secrétaire administrative de l'intérieur et de l'outre-mer de classe exceptionnelle, alors en disponibilité pour suivre son conjoint affecté en Nouvelle-Calédonie, a été réintégrée administrativement au sein de la préfecture du Var par arrêté du 10 février 2020 avant d'être affectée, par arrêté du 25 février 2020, au commandement de gendarmerie de Nouvelle-Calédonie, à compter du 3 février 2020. Elle a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie l'annulation de la décision du 30 avril 2020 par laquelle le secrétariat général pour l'administration de la police nationale en Nouvelle-Calédonie lui a refusé le versement de l'indemnité d'éloignement. Elle relève appel du jugement du 4 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes de l'article 2 de la loi du 30 juin 1950 fixant les conditions d'attribution des soldes et indemnités des fonctionnaires civils et militaires relevant du ministère de la France d'outre-mer, les conditions de recrutement, de mise en congé ou à la retraite de ces mêmes fonctionnaires : " Pour faire face aux sujétions particulières inhérentes à l'exercice de la fonction publique dans les territoires d'outre-mer, les fonctionnaires civils (...) recevront : / (...) / 2° Une indemnité destinée à couvrir les sujétions résultant de l'éloignement pendant le séjour et les charges afférentes au retour, accordée au personnel appelé à servir en dehors soit de la métropole, soit de son territoire, soit du pays ou territoire où il réside habituellement, qui sera déterminée pour chaque catégorie de cadres à un taux uniforme s'appliquant au traitement et majorée d'un supplément familial. Elle sera fonction de la durée du séjour et de l'éloignement et versée pour chaque séjour administratif, moitié avant le départ et moitié à l'issue du séjour. / (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 27 novembre 1996 relatif à l'attribution de l'indemnité d'éloignement aux magistrats et aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'Etat en service à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna : " Le droit à l'indemnité est ouvert lors de l'affectation en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna à la condition que cette affectation entraîne, pour l'agent concerné, un déplacement effectif pour aller servir en dehors du territoire dans lequel est situé le centre de ses intérêts matériels et moraux ". Il résulte de ces dispositions que le droit à l'indemnité d'éloignement est ouvert au fonctionnaire de l'Etat affecté en Nouvelle-Calédonie, à la condition qu'à la date de cette affectation, il se déplace effectivement dans cette collectivité.
3. Par ailleurs, aux termes des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. " En vertu de l'article L. 562-1 du même code, ces dispositions sont applicables de plein droit en Nouvelle-Calédonie aux relations entre le public, d'une part, et l'Etat, les communes et leurs établissements publics, d'autre part.
4. Enfin, aux termes des dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : " Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Ces dispositions sont applicables aux différents éléments de la rémunération d'un agent de l'administration. Eu égard à la possibilité ainsi donnée à l'administration de demander le remboursement des sommes qui seront versées en application de la décision illégalement retirée, l'annulation par le juge du retrait de la décision illégale attribuant un avantage financier à l'agent au motif qu'il est intervenu postérieurement à l'expiration du délai de retrait n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint à l'administration de verser les sommes correspondantes à l'agent si elles ne l'ont pas été, en tout ou partie, avant qu'intervienne le retrait. Il lui appartient seulement de lui enjoindre de réexaminer la situation de l'agent. De même, l'administration n'est pas tenue de verser les sommes dues en application d'une décision illégale attribuant un avantage financier qu'elle ne peut plus retirer dès lors qu'elle pourrait les répéter dès leur versement en application des dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000.
5. En tant qu'elles s'appliquent aux agents publics de l'Etat, les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 mars 2000 entrent dans le champ d'application du 5° du deuxième alinéa de l'article 6-2 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, selon lesquelles " (...) sont applicables de plein droit en Nouvelle-Calédonie, sans préjudice des dispositions les adaptant à son organisation particulière, les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives : / (...) Aux statuts des agents publics de l'Etat (...) ". Elles sont en conséquence applicables de plein droit en Nouvelle-Calédonie, indépendamment de l'absence de toute mention à cet égard dans l'article 41 de la loi du 12 mars 2000.
Sur la légalité de la décision du 30 avril 2020 :
6. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 25 février 2020, en son article 3, a accordé à Mme A... le bénéfice de l'indemnité d'éloignement sous la seule réserve du respect des dispositions de l'article 5 du décret du 27 novembre 1996, qui concernent les situations dans lesquelles un séjour ouvrant droit au bénéfice de l'indemnité prend fin avant son terme. Il ressort par ailleurs des termes de la décision litigieuse du 30 avril 2020 que l'administration a entendu retirer cette décision, créatrice de droit pour Mme A..., au motif qu'elle était illégale.
7. D'une part, il est constant que Mme A..., lorsqu'elle a été affectée en Nouvelle-Calédonie, par un arrêté du ministre de l'intérieur du 25 février 2020, à compter du 1er mars 2020, résidait, depuis au moins le mois d'avril 2018, sur ce territoire où, venant de la métropole, elle avait accompagné son époux affecté en Nouvelle-Calédonie, motif pour lequel elle avait sollicité et obtenu un placement en disponibilité du 16 avril 2018 au 29 février 2020. En l'absence de déplacement effectif pour rejoindre son affectation en Nouvelle-Calédonie à la date de celle-ci, Mme A... ne pouvait pas prétendre au bénéfice de l'indemnité d'éloignement. Il en résulte qu'en tant qu'il attribue, en son article 3, à Mme A..., l'indemnité d'éloignement, l'arrêté du 25 février 2020 méconnaît les dispositions de l'article 2 du décret du 27 novembre 1996, citées au point 2, et est, de ce fait, illégal.
8. D'autre part, si le retrait de cette décision illégale est intervenu le 30 avril 2020, soit avant l'expiration du délai de quatre mois fixé par les dispositions citées au point 3 de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, cette décision n'a toutefois pas été signé par ou pour le ministre de l'intérieur, mais par la cheffe du secrétariat général pour l'administration de la police en Nouvelle-Calédonie. Si l'administration fait valoir que cette dernière disposait pour ce faire d'une délégation de signature du Haut-Commissaire de la République, par arrêté n° 2020-12C du 20 février 2020, d'une part, cette délégation ne l'autorise qu'à signer les documents et correspondances préparatoires concernant, notamment, la gestion administrative des personnels titulaires et, d'autre part et en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué en défense, que le Haut-Commissaire disposait d'une délégation de pouvoir concernant les mutations avec changement de résidence des agents administratifs du ministère de l'intérieur, qui lui aurait donné compétence pour retirer la décision illégale prise par le ministre. Par suite, la décision du 30 avril 2020, qui retire celle par laquelle le ministre de l'intérieur a accordé à Mme A... le bénéfice de l'indemnité d'éloignement, a été prise par une autorité incompétente.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision litigieuse du 30 avril 2020.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 du présent arrêt que l'annulation de la décision du 30 avril 2020 n'implique pas nécessairement que l'indemnité d'éloignement soit versée à Mme A..., comme le demande l'intéressée, mais seulement que l'administration procède au réexamen de la situation de Mme A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à un tel réexamen, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme dont Mme A... demande le versement sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000209 du 4 février 2021 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et la décision du 30 avril 2020 de la cheffe du secrétariat général pour l'administration de la police nationale en Nouvelle-Calédonie sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la situation de Mme A... au regard de son droit au versement de l'indemnité d'éloignement, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au ministre des Outre-mer et au Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 1er juillet 2022.
La rapporteure,
C. C...La présidente,
H. VINOT
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA02563 2