Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 000 francs CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis résultant d'agissements constitutifs de harcèlement moral.
Par un jugement n° 2000442 du 23 février 2021, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 avril 2021, M. A..., représenté par
Me François Mestre, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2000442 du 23 février 2021 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 41 900 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi résultant d'agissements constitutifs de harcèlement moral ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en application de l'article R. 612-6 du code de justice administrative, l'administration est réputée avoir admis l'exactitude des faits exposés ;
- il a subi des agissements répétés de la part de l'administration constitutifs de harcèlement moral, qui ont concouru à dégrader ses conditions de travail et qui ont porté atteinte à ses droits et à sa santé ;
- il a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont il est fondé à demander la réparation à concurrence de la somme de 41 900 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 avril 2022, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 mai 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er juin 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi organique n° 2005-192 du 27 février 2004 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 97-874 du 7 octobre 1994 ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... relève appel du jugement n° 2000442 du 23 février 2021 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 000 000 francs CFP en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis résultant d'agissements constitutifs de harcèlement moral.
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé. En outre, pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique mais, dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions du fonctionnaire justifié par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.
4. M. A... soutient que, depuis son affectation au centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania en 2013, il a été victime d'agissements de la part de ses supérieurs hiérarchiques qui sont constitutifs de faits de harcèlement moral ayant entraîné une dégradation de son état de santé.
5. Il fait valoir, dans un premier temps, qu'après avoir intégré le centre pénitentiaire de Faa'a Nuutania en qualité d'élève-surveillant, il a été placé en congé de maladie ordinaire en raison d'une " pathologie dorsale sévère " pendant plus de quatre-vingt-dix-neuf jours et qu'à l'issue de ce congé, il a été convoqué à des " visites d'aptitude " au cours desquelles ont été réalisés des tests de détection de stupéfiants sans aucun rapport avec sa pathologie et que " cette tentative avortée de démontrer un comportement inapproprié " a marqué le point de départ de l'acharnement de l'institution à son encontre. Toutefois, M. A... n'apporte pas, à l'appui de ses dires, de faisceau d'indices de nature à faire présumer de la part de l'administration pénitentiaire un fait de harcèlement moral à son encontre. Il fait valoir, par ailleurs, que le nouveau directeur du centre pénitentiaire a émis un avis défavorable à sa titularisation en qualité de surveillant de l'administration pénitentiaire, ce qui a conduit à prolonger son stage et qu'il n'a pas été en mesure de formuler des observations sur ses fiches de stage, notamment, celle postérieure à la prolongation de celui-ci. Cependant, en raison de son placement en congé de maladie pendant plus de trois mois, M. A... avait droit, en application des dispositions de l'article 27 du décret du 7 octobre 1994, à une prolongation de son stage pour une durée supérieure à un an afin de lui permettre d'accomplir l'intégralité de son stage, dont la durée est fixée à un an par l'article 9 du décret du 14 avril 2006. La circonstance qu'il n'a pas été en mesure de présenter des observations à la prolongation de son stage, alors qu'il a été en mesure de signer les notices d'appréciation pour la période antérieure, n'est pas suffisante pour faire présumer un agissement constitutif de harcèlement moral. En outre, en se bornant à soutenir qu'il a été affecté contre son gré sur le poste d'agent au greffe et qu'en l'absence de formation, d'expérience et de soutien de sa hiérarchie sur ce poste, il a souffert d'anxiété et de dépression, M. A... n'apporte aucun élément de fait pertinent faisant présumer un harcèlement moral. Il résulte, au contraire, de l'instruction qu'il s'est rapidement adapté au service du greffe et " a fait montre d'investissement dans la formation spécifique qui lui a été dispensée ". Sa hiérarchie a, par ailleurs, souligné que " son sens de l'organisation et sa capacité à intégrer de nouvelles connaissance et à les mettre en pratique sont de réels atouts pour la suite de sa carrière ". M. A... ne produit aucune pièce permettant d'établir un lien entre la dégradation alléguée de son état de santé et la situation de harcèlement moral qu'il invoque.
6. M. A... fait valoir, dans un deuxième temps, qu'à la suite de sa réussite au concours de lieutenant de l'administration pénitentiaire, à la deuxième session 2015, sa charge de travail s'est révélée particulièrement lourde au regard de celle d'autres agents compte tenu, notamment, de la mutation de trois agents. Il a, en outre, été désigné responsable de la prévention des suicides, a géré trois quartiers " disciplinaires ", " isolement " et " arrivants ", mis en place et assuré le suivi des personnes détenues, pris en charge le dossier de restructuration du centre pénitentiaire, du suivi des procédures disciplinaires, de la labellisation du processus " arrivant " ainsi que des fonctions de formateur. Il a, également, géré une quarantaine de surveillants stagiaires, assuré le remplacement de collègues titulaires absents et effectué de nombreuses heures supplémentaires. Cette situation a, d'après les dires de M. A..., conduit à une dégradation de son état de santé physique et psychologique. Il fait, de plus, valoir qu'après avoir informé le directeur du centre pénitentiaire de problèmes familiaux et de sa volonté d'être déchargé de certaines de ses attributions afin d'assurer la seule gestion des personnes détenues, son supérieur hiérarchique lui a indiqué que son message était " indigne de la fonction et du grade " qu'il occupait et l'a rétrogradé en lui retirant certaines de ses attributions et en le plaçant sous l'autorité d'un lieutenant stagiaire. Il résulte, toutefois, de l'instruction qu'en application des dispositions de l'article 22 du décret du 14 avril 2006,
M. A... a été désigné responsable du " grand quartier " et investi des missions susmentionnées en ce qu'elles étaient rattachées aux responsabilités qui lui avaient été confiées en cette qualité. Contrairement à ce qu'il soutient, il ne peut être regardé comme ayant fait l'objet d'une rétrogradation alors que la décharge de fonctions dont il a fait l'objet répondait à sa demande. Dans ces circonstances, compte tenu des nécessités de service, il appartenait au directeur du centre pénitentiaire, qui ne pouvait le maintenir en qualité de responsable du " grand quartier " eu égard à la réduction de ses attributions, de modifier l'organigramme du service en le désignant responsable adjoint du " grand quartier ". Il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été placé sous la responsabilité d'un lieutenant stagiaire. M. A... n'apporte aucun élément de fait susceptible, contrairement à ce qu'il soutient, de faire présumer des agissements constitutifs de harcèlement moral. La réduction du périmètre des missions qui lui avaient été confiées ne peut, dès lors, être regardée comme ayant excédé les limites du pouvoir hiérarchique.
7. M. A... fait valoir, en troisième et dernier lieu, que l'administration a adopté un comportement dilatoire lorsqu'il a sollicité à deux reprises la consultation de son dossier administratif et n'a pas hésité " à poursuivre ses actes de maltraitance " en s'opposant à son accès aux soins dans le cadre de l'accident dont il a été victime sur son lieu de travail le
19 septembre 2018. Toutefois, la circonstance qu'il n'ait pu récupérer le 24 janvier 2018, soit à la date à laquelle il a pu consulter son dossier administratif, les copies de certaines des pièces le composant en l'absence de régisseur n'est pas de nature à faire présumer des agissements constitutifs de harcèlement moral. Il en va de même de la circonstance alléguée que l'administration lui aurait refusé son accès aux soins dans le cadre de son accident. Il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait eu une attitude dilatoire en l'empêchant de se rendre aux urgences dans les suites immédiates de sa chute. En tout état de cause, si l'administration a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de son accident, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce qu'il reçoive les soins adaptés à son état de santé.
8. Il résulte de ce qui vient d'être énoncé aux points 4. à 7. du présent arrêt, que les faits invoqués par M. A..., pris isolément ou dans leur ensemble, ne peuvent être regardés comme laissant présumer des agissements répétés, constitutifs de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, dès lors qu'ils n'ont pas, pour certains, excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique mais étaient justifiés par l'intérêt du service. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat ni à demander la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter sa requête d'appel en toutes ses conclusions, y compris les conclusions qu'il a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2022.
Le rapporteur,
S. C...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
J. CHAMPESME
La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA02202