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02/06/2022 | FRANCE | N°21PA00501

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 02 juin 2022, 21PA00501


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner le Grand Hôpital de l'Est Francilien à lui verser la somme totale de 89 631 euros, en réparation des préjudices résultant de la faute commise par le centre hospitalier de Meaux lors de sa prise en charge.

Par un jugement n° 1701869 du 4 décembre 2020, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 janvier 2021, 22 mars et 1e

r avril 2022, Mme D..., représentée par Me Binisti, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner le Grand Hôpital de l'Est Francilien à lui verser la somme totale de 89 631 euros, en réparation des préjudices résultant de la faute commise par le centre hospitalier de Meaux lors de sa prise en charge.

Par un jugement n° 1701869 du 4 décembre 2020, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 janvier 2021, 22 mars et 1er avril 2022, Mme D..., représentée par Me Binisti, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1701869 du 4 décembre 2020 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de condamner le Grand Hôpital de l'Est Francilien à lui verser la somme totale de 89 631 euros, en réparation des préjudices résultant de la faute commise par le centre hospitalier de Meaux lors de sa prise en charge ;

3°) de condamner le Grand Hôpital de l'Est Francilien aux dépens ;

4°) de mettre à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande de première instance est recevable, ses conclusions devant être regardées, en l'absence de développements relatifs à la responsabilité du centre hospitalier de Meaux comme reprenant les conclusions de l'expert judiciaire ;

- les premiers juges ont statué sur la responsabilité du centre hospitalier pour l'écarter alors que cette question n'était pas débattue par les parties, le centre hospitalier ayant admis sa responsabilité comme l'atteste la proposition d'indemnisation qu'il a présentée devant le tribunal ; le tribunal a ainsi statué en se fondant sur des moyens relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- les premiers juges ont insuffisamment motivé leur jugement quant à l'absence d'un défaut de surveillance et de l'absence d'un retard de diagnostic fautif du centre hospitalier lors de sa prise en charge ;

- la responsabilité du centre hospitalier dans la survenue du dommage a été reconnue à hauteur de 50 % par l'expert judiciaire ; au demeurant, le centre hospitalier lui-même a reconnu sa responsabilité ; en effet, malgré les examens post-opératoires effectivement réalisés par les différents médecins du centre hospitalier, l'abcès et ses complications n'ont pas été diagnostiqués, ce qui révèle une négligence dans la surveillance post-opératoire ;

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

- des dépenses de santé d'un montant de 28 euros sont restées à sa charge, dont la moitié doit être remboursée par le Grand Hôpital de l'Est Francilien ;

- les frais d'honoraires d'assistance à expertise s'élèvent à 2 990 euros et la moitié, soit 1 495 euros, doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;

- les frais d'avocat exposés lors de la procédure de règlement amiable s'élèvent à 2 650 euros ;

- les frais de transport sont évalués de manière forfaitaire à 800 euros dont la moitié doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;

- du fait de ses lésions, elle doit acquérir trois ensembles de sous-vêtements par an ce qui correspond à un coût annuel de 240 euros ; les achats déjà effectués s'élèvent à 960 euros ; les dépenses vestimentaires futures s'élèvent à 7 741 euros ; il s'ensuit que le Grand Hôpital de l'Est Francilien doit être condamné à lui verser la somme totale de 4 350,51 euros ;

- son état de santé a nécessité une aide par une tierce personne à hauteur de 4 heures par jour pour la période du 2 novembre 2010 au 7 décembre 2010, soit 35 jours ; sur la base d'un taux horaire de 18,81 euros qui tient compte des surcoûts liés aux jours fériés, aux congés et aux week-ends, l'indemnité allouée à ce titre s'élève à 2 633 euros, dont la moitié doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien, soit 1 316,50 euros ;

- la perte de gains professionnels actuels, après déduction des indemnités journalières versées par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, s'élève à 17 257 euros dont la moitié doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien, soit 8 628, 50 euros ;

S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :

- elle doit s'acquitter de produits d'hygiène et antiseptiques rendus nécessaires par l'accident médical pour un montant annuel de 187,20 euros ; du 11 avril 2011 au 31 mars 2015, ces dépenses de santé s'élèvent à 749 euros ; pour l'avenir, avec un taux d'un euro de rente en application du barème de la Gazette du Palais de 2013, la somme de 187,20 euros annuelle sera capitalisée à la somme de 6 038 euros (187,20 euros x 32,256) ; par suite, ce préjudice est évalué au montant global de 6 787 euros dont la moitié doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien, soit 3 393,50 euros ;

- du fait des différentes interventions chirurgicales subies, elle souffre de dépression et a été placée en arrêt de travail à plusieurs reprises entre 2012 et 2015 ; elle a subi une perte de gains professionnels futurs s'élevant à 24 366 euros ; le Grand Hôpital de l'Est Francilien doit être condamné à lui verser la somme de 12 183 euros ;

- l'incidence professionnelle est évaluée à 18 225 euros dont la moitié doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien, soit 9 112,50 euros ;

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

- le déficit fonctionnel temporaire est évalué à 1 175 euros dont 587,50 euros doit être, eu égard au partage de responsabilité, mis à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;

- les souffrances endurées étant évaluées à 15 000 euros, la somme de 7 500 euros doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;

- elle a subi un préjudice esthétique temporaire évalué à 1 000 euros, dont la moitié doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux permanents :

- le déficit fonctionnel permanent évalué à 10 % par l'expert judiciaire sera réparé par une indemnité de 25 000 euros ; par suite, le Grand Hôpital de l'Est Francilien doit être condamné à lui verser la somme de 12 500 euros ;

- son préjudice d'agrément est évalué à 10 000 euros dont la moitié doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien, soit 5 000 euros ;

- son préjudice esthétique permanent est évalué à 10 000 euros ; au égard au partage de responsabilité, la somme de 5 000 euros doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;

- eu égard à son âge au moment des faits, son préjudice sexuel est évalué à 30 000 euros, dont la moitié de cette indemnité doit être mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;

- le juge judiciaire ne lui ayant alloué que la moitié des indemnisations sollicitées en divisant systématiquement par deux les sommes qu'il considérait être dues en réparation des préjudices, elle ne peut être regardée comme cherchant à être doublement indemnisée des préjudices subis.

Par des mémoires en défense enregistrés les 18 février et 29 mars 2022, le Grand Hôpital de l'Est Francilien, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il n'a pas reconnu sa responsabilité dans la survenue du dommage de Mme D... et il appartenait au tribunal de se prononcer sur sa responsabilité qui ne peut être engagée qu'en cas de faute ;

- si l'expert judiciaire a retenu une responsabilité partagée entre le docteur E... et le centre hospitalier de Meaux, il n'a cependant identifié aucun manquement aux règles de l'art de la part des médecins du centre hospitalier ; dans ces conditions, sa responsabilité ne saurait être engagée ;

- à titre subsidiaire, Mme D... a déjà obtenu réparation des préjudices résultant des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale en cause par un jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre ;

- au titre des dépenses de santé actuelles, il ne s'oppose pas à la demande de 14 euros à condition que la requérante n'ait pas déjà été indemnisée par le juge judiciaire ;

- la requérante est seulement fondée à solliciter le remboursement de la moitié des frais d'assistance à l'expertise à laquelle a participé le Grand Hôpital de l'Est Francilien sous la réserve qu'ils n'aient pas déjà été indemnisés par le juge judiciaire ;

- l'aide par une tierce personne doit être évaluée, dans les circonstances de l'espèce, sur la base d'un taux horaire de 12 euros ;

- Mme D... n'apportant pas la preuve des frais de transport dont elle demande réparation, sa demande doit être rejetée ;

- les frais vestimentaires demandés ne sont pas justifiés ;

- le lien de causalité entre la perte de revenus au titre des primes exceptionnelles perçues par la requérante en 2010 et 2011 et la prise en charge médicale au centre hospitalier de Meaux à partir du 15 novembre 2010 n'est pas établi ;

- il n'est pas établi que l'état de santé de la requérante nécessite l'achat de produits d'hygiène ; dans ces conditions, les dépenses de santé futures ne sont pas établies ;

- Mme D... a repris son travail à compter du 11 avril 2011 et aucune perte de salaires n'est établie à compter de cette date ; sa demande au titre des pertes de gains professionnels futurs doit être rejetée ;

- l'intéressée ayant pu poursuivre son activité professionnelle, sa demande indemnitaire au titre de l'incidence professionnelle doit être rejetée ;

- au titre du déficit fonctionnel temporaire, la demande indemnitaire de Mme D... doit être ramenée à un montant compris entre 100 et 450 euros par mois ;

- au titre des souffrances endurées, le montant de l'indemnité doit être compris entre 1 500 et 1 850 euros ;

- l'expert n'ayant pas retenu de préjudice esthétique temporaire, la demande indemnitaire de Mme D... doit être rejetée ;

- le montant de l'indemnité sollicitée au titre du déficit fonctionnel permanent doit être ramené à de plus justes proportions ;

- Mme D... n'établit pas avoir dû abandonner une activité sportive ou de loisir en raison des suites de l'intervention litigieuse ; le préjudice d'agrément n'est donc pas établi ;

- l'indemnité allouée en réparation du préjudice esthétique permanent ne peut excéder

900 euros ;

- le montant de l'indemnité sollicitée au titre du préjudice sexuel doit être ramené à de plus justes proportions ; il ne peut excéder 1 500 euros.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne qui n'a pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Janssens, avocate de Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que le 22 septembre 2010, Mme D..., née le

13 avril 1972, a consulté le docteur E..., gynécologue exerçant alors en tant que praticien libéral, pour une tuméfaction de la grande lèvre gauche, indolore, survenue depuis cinq jours. Le médecin a posé le diagnostic de kyste de la glande de Bartholin gauche. Le 27 octobre 2010, Mme D... a été hospitalisée à l'hôpital de Gonesse où exerçait également le docteur E... qui, le lendemain, a procédé à l'exérèse de ce kyste. Devant la persistance des douleurs post-opératoires, Mme D... a consulté le docteur E... à plusieurs reprises au cours du mois de novembre 2010. Elle s'est également rendue plusieurs fois au service des urgences du centre hospitalier de Meaux, notamment les 15 novembre et 7 décembre 2010 et

8 février 2011. Le 23 mars suivant, elle a subi une nouvelle intervention chirurgicale consistant en l'ablation de la zone cicatricielle douloureuse au centre hospitalier de Meaux. Par une ordonnance du 4 juin 2013, le président du Tribunal de grande instance de Nanterre a, à la demande de

Mme D..., ordonné une expertise médicale et désigné en qualité d'expert le docteur A.... Le 4 mars 2014, les opérations d'expertise ont été étendues au centre hospitalier de Meaux. Le docteur A... a remis son rapport le 12 février 2015. Par des courriers en date du 6 juillet 2015 et du 21 octobre 2016, Mme D... a adressé respectivement au docteur E... et au centre hospitalier de Meaux des demandes indemnitaires préalables qui ont été implicitement rejetées. Par un jugement du 18 avril 2018, le Tribunal de grande instance de Nanterre a retenu la responsabilité du docteur E... en raison du défaut de surveillance post-opératoire de

Mme D..., ce qu'au demeurant ce dernier ne contestait pas, et a condamné la MACSF, qui a absorbé le portefeuille de contrats de la compagnie Le Sou Médical, assureur du docteur E..., à réparer à hauteur de 50 % les préjudices subis par l'intéressée et à lui verser, par voie de conséquence, la somme de 32 194,30 euros. Par un jugement du 4 décembre 2020, le Tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de Mme D... tendant à la condamnation du centre hospitalier, intégré au Grand Hôpital de l'Est Francilien depuis le 1er janvier 2017, à lui verser une somme de 89 631 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa prise en charge dans cet établissement. Mme D... relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du Grand Hôpital de l'Est Francilien :

2. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise diligentée par le Tribunal de grande instance de Nanterre que, comme il a été dit, Mme D... a subi une intervention chirurgicale consistant en l'exérèse d'un kyste de la glande de Bartholin gauche réalisée le

28 octobre 2010 par le docteur E... au centre hospitalier de Gonesse. Les suites de la kystectomie ont été marquées par une plaie opératoire inflammatoire le 30 octobre 2010, puis par une suppuration de la loge de la kystectomie le 2 novembre 2010 qui a conduit le docteur E... à prescrire à Mme D... un antibiotique pour une durée de huit jours et un anti-inflammatoire. Ressentant toujours d'importantes douleurs au niveau de la plaie opératoire, Mme D... s'est rendue au service des urgences du centre hospitalier de Meaux le

15 novembre 2010 où les praticiens ont effectué un nettoyage de la plaie et lui ont conseillé de consulter de nouveau le docteur E.... Le 18 novembre 2010, ce dernier a prescrit à l'intéressée des soins infirmiers consistant en des irrigations de la plaie deux fois par jour pendant trois semaines. Sur les conseils de l'infirmière qui réalisait ces soins et qui suspectait l'apparition d'une fistule, Mme D... s'est à nouveau rendue au service des urgences du centre hospitalier de Meaux le 26 novembre 2010. Lors de cette consultation, le praticien a relevé que la cicatrisation était incomplète mais propre, a prescrit des soins locaux et a fixé la date d'une nouvelle consultation. Lors de cette nouvelle consultation du 7 décembre 2010, le praticien a constaté la présence de deux pertuis au niveau de la face externe de la grande lèvre gauche et sur la face interne en regard de l'hymen de l'intéressée et a prescrit des antiseptiques locaux. Ressentant toujours des douleurs au niveau de la cicatrice, Mme D... est retournée le 12 janvier 2011 au centre hospitalier de Meaux. Le praticien qui l'a prise en charge a posé le diagnostic d'une fistulisation de l'abcès de la cicatrice de la loge de kystectomie de la glande de Bartholin gauche. Le 23 mars 2011, comme il a déjà été dit, Mme D... a dû subir une nouvelle intervention chirurgicale consistant en une résection d'une partie de la muqueuse de la petite lèvre gauche afin de retirer la zone cicatricielle douloureuse.

3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que Mme D... a présenté une infection de la plaie opératoire survenue dans les suites de l'intervention chirurgicale. Cette infection a provoqué l'apparition d'un abcès sous-jacent ou interne de la cicatrice de la loge de kystectomie de la glande de Bartholin gauche qui, du fait de l'insuffisance des soins locaux, a évolué à bas bruit en une fistulisation de cet abcès du côté externe de la peau. Or, l'état de Mme D... qui présentait une plaie opératoire avec un retard de cicatrisation et qui, malgré une antibiothérapie et des soins locaux notamment infirmiers, ressentait d'importantes douleurs persistant au-delà de la quinzaine de jours d'arrêt de travail habituelle pour une kystectomie, associé à la circonstance que, selon l'expert, le risque de développer un abcès est une complication connue des interventions chirurgicales situées au niveau du périnée du fait de la grande vascularisation de cette zone et de l'importante flore microbienne, auraient dû alerter les praticiens du centre hospitalier de Meaux quant à la survenue d'un abcès interne ou sous-jacent et ce d'autant plus qu'ils ont examiné la patiente à quatre reprises entre le 15 novembre 2010 et le 12 janvier 2021. Un tel manquement, qui révèle un défaut de surveillance post-opératoire et une absence de prise en charge adaptée de Mme D... dont l'abcès aurait dû être traité rapidement par drainage afin d'éviter une fistulisation, est constitutif d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. La circonstance que le tabagisme de Mme D... constituait un facteur de risque ayant pu aggraver la mauvaise cicatrisation de la plaie opératoire est sans incidence quant au défaut de surveillance post-opératoire de l'intéressée par les praticiens du centre hospitalier de Meaux et n'est pas de nature à exonérer, même partiellement, le centre hospitalier de sa responsabilité. Il en résulte que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 4 décembre 2020, le Tribunal administratif de Melun a estimé qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre du centre hospitalier. La responsabilité du Grand Hôpital de l'Est Francilien doit être fixée à hauteur de 50 %, la responsabilité dans la survenue du dommage étant partagée avec le docteur E..., praticien libéral.

Sur l'évaluation des préjudices de Mme D... :

4. Il résulte de l'instruction, comme il a été dit au point 1, que par un jugement du

18 avril 2018, le Tribunal de grande instance de Nanterre a retenu la responsabilité du docteur E... en raison du défaut de surveillance post-opératoire de Mme D... et a condamné la MACSF à réparer à hauteur de 50 % les préjudices subis par l'intéressée et à lui verser, par voie de conséquence, la somme de 32 194,30 euros. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Meaux n'est pas fondé à soutenir devant la Cour que la requérante a déjà obtenu la réparation de l'intégralité de ses préjudices.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

Quant aux dépenses de santé :

5. Il résulte de l'instruction que des dépenses de santé d'un montant total de 28 euros sont restées à la charge de Mme D.... Eu égard au partage de responsabilité retenu, l'intéressée a droit au remboursement par le Grand Hôpital de l'Est Francilien de la somme de 14 euros.

Quant aux frais divers :

6. En premier lieu, il ressort des notes d'honoraires des 10 et 21 octobre 2013 et

28 avril 2014 que Mme D... a engagé des dépenses d'un montant total de 2 990 euros au titre des honoraires d'un médecin conseil qui l'a assistée lors des opérations de l'expertise diligentée par le président du Tribunal de grande instance de Nanterre et qui ont été étendues au centre hospitalier de Meaux le 4 mars 2014. Eu égard au partage de responsabilité retenu et même si le centre hospitalier n'était pas partie à la réunion du 10 octobre 2013, l'intéressée a droit au remboursement par le Grand Hôpital de l'Est Francilien de la somme de 1 495 euros.

7. En deuxième lieu, la demande de Mme D... tendant à ce que les frais d'avocat qu'elle a exposés lors de la procédure de règlement amiable avec l'assureur du docteur E... soient mis à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien est rejetée dès lors que ce dernier n'était pas partie à cette procédure de règlement amiable et que, par conséquent, ces frais n'apparaissent pas utiles à la solution du présent litige.

8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que Mme D... a dû se rendre à deux réunions au cabinet de l'expert judiciaire situé à une cinquantaine de kilomètres de sa commune ainsi qu'au centre hospitalier de Meaux à six reprises pour des consultations et pour l'intervention chirurgicale du 23 mars 2011. Dans ces conditions, et même si la requérante ne produit pas de pièces justificatives, il y a lieu d'allouer à la requérante, après le partage de responsabilité retenu, une somme forfaitaire de 100 euros au titre de ses frais de déplacements.

9. En dernier lieu, Mme D... soutient que du fait des lésions subies à la suite de l'intervention chirurgicale du 28 octobre 2010 et des produits de soins qu'elle utilise, elle a dû acquérir des sous-vêtements supplémentaires pour un montant total de 3 870,50 euros. Elle sollicite également à ce titre une rente de 240 euros par an. Toutefois, il ressort de l'expertise que l'expert n'a pas retenu ce chef de préjudice. En outre, Mme D... ne verse au dossier aucune facture relative à tels achats, ni aucune prescription médicale tendant à l'utilisation de produits de soins ou d'hygiène spécifiques. Dans ces conditions, la demande de Mme D... est rejetée.

Quant à l'assistance par tierce personne :

10. Il ressort du rapport d'expertise que l'état de santé de Mme D... a justifié une aide humaine non spécialisée à raison de quatre heures par jour entre le 2 novembre 2010 et le 7 décembre 2010, soit durant 36 jours. Cependant, il convient de déduire de cette période les quinze jours pendant lesquels l'intéressée aurait nécessairement eu besoin d'une aide au quotidien du seul fait de l'intervention chirurgicale du 28 octobre 2010. Il s'ensuit que la période à prendre en compte couvre 21 jours. Le coût de l'assistance par une tierce personne à domicile doit être calculé sur la base du coût horaire de 18 euros sur une durée annuelle de 412 jours, les congés payés et les jours fériés étant ainsi pris en considération, comprenant les charges sociales dues par l'employeur d'un salarié à domicile. La durée de 21 jours susmentionnée doit ainsi être réévaluée à 24 jours sur cette base. Il s'ensuit que le montant des frais afférents à l'assistance à domicile par une tierce personne s'élève, après application du partage de responsabilité, à 864 euros.

Quant à la perte de gains professionnels :

11. Il résulte de l'instruction que Mme D... a bénéficié d'arrêts de travail pendant les périodes comprises entre les 27 octobre et 7 décembre 2010 et les 23 mars et

14 avril 2011 pendant lesquelles elle a perçu la somme de 1 984,20 euros au titre des indemnités journalières versées par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne. La requérante soutient que son préjudice est constitué de la perte de deux jours de RTT, des " indemnités repas " et d'une partie des primes exceptionnelles. Si Mme D... verse au dossier un courriel du

4 avril 2011 par lequel son employeur l'informe qu'elle a effectivement disposé de deux jours de RTT en moins du fait de ses arrêts de travail et si l'intéresse évalue cette perte à 246 euros, elle ne produit aucun élément de nature à justifier ce montant. Dans ces conditions, sa demande indemnitaire au titre de la perte de deux jours de RTT est rejetée. En outre, Mme D... n'est pas fondée à solliciter le versement des " indemnités repas " qu'elle n'a pas perçues pendant ses arrêts de travail, ces indemnités constituant un remboursement de frais professionnels et non un complément de salaire. Il résulte de l'instruction que Mme D... ayant bénéficié d'un congé maternité en 2009, les années de référence à retenir pour calculer le montant de la prime exceptionnelle qu'elle aurait obtenue si elle n'avait pas été placée en arrêt maladie du fait des complications post-opératoires dues à un défaut de surveillance médicale sont les années 2007 et 2008. L'intéressée a perçu au titre de la prime exceptionnelle 18 824,71 euros en 2007 et 16 473,10 euros au titre de 2008, soit une moyenne annuelle de 17 648,90 euros. Or, Mme D... n'a perçu que 15 186,59 euros en 2010, soit une perte de 2 462,10 euros. En revanche, si elle a été placée en arrêt maladie pour une période d'environ trois semaines en 2011, elle n'établit pas avoir subi, au titre de 2011, une perte de prime exceptionnelle qui serait en lien direct et certain avec la faute commise par le centre hospitalier de Meaux. Il s'ensuit que, compte tenu du partage de responsabilité retenu, l'indemnité allouée à ce titre est de 1 232 euros.

S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :

Quant aux frais de soins :

12. La requérante soutient qu'elle est contrainte d'utiliser des produits d'hygiène et des produits antiseptiques depuis l'infection qu'elle a subie dans les suites de l'intervention chirurgicale du 28 octobre 2010 et verse au soutien de ces affirmations une facture d'une officine de pharmacie du 20 mars 2015 d'un montant de 31,20 euros. Toutefois, Mme D... ne produit aucune prescription médicale ni aucun certificat médical de nature à établir que l'utilisation de tels produits a un lien direct et certain avec le défaut de surveillance post-opératoire commis par les praticiens du centre hospitalier. Dans ces conditions, sa demande indemnitaire est rejetée.

Quant aux pertes de gains futurs :

13. La requérante soutient que depuis les interventions chirurgicales des 28 octobre 2010 et 23 mars 2011, elle souffre de dépression laquelle a conduit à plusieurs arrêts maladie entre juillet 2012 et mars 2015 et que la perte de salaires et de primes exceptionnelles pendant cette période s'élève à 12 183 euros. S'il résulte de l'instruction que Mme D... a été placée en arrêt maladie en juillet 2012 ainsi qu'en mai et juillet 2013, elle ne produit aucune pièce médicale de nature à établir que ces arrêts de travail ainsi que les arrêts de travail postérieurs dont elle se prévaut mais dont les dates ne sont pas précisées et qui ne sont pas établis par les pièces versées au dossier auraient un lien direct et certain avec la faute commise par les praticiens du centre hospitalier de Meaux alors que ce lien de causalité n'a pas été retenu par l'expert judiciaire. Dans ces conditions, la demande de Mme D... doit être rejetée.

Quant à l'incidence professionnelle :

14. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que si Mme D... a pu continuer à exercer le métier de visiteuse médicale, les douleurs ressenties en particulier lors de la conduite automobile sur de longs parcours entraînent une pénibilité plus importante dans l'exercice de son activité professionnelle. Eu égard à son âge à la date de consolidation de son état de santé, il sera fait une juste appréciation du préjudice lié à l'incidence professionnelle des séquelles de l'infection post-opératoire en allouant à Mme D..., après l'application du partage de responsabilité, une somme de 6 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

15. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme D... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire de 50 % du 12 novembre 2010, début de la période indemnisable suivant celle de quinze jours liée à l'intervention chirurgicale comme il a été dit au point 10, au 7 décembre 2010, soit pendant 26 jours, d'un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 % du 8 décembre 2010 au 22 mars 2011, soit pendant 105 jours, et d'un défit fonctionnel temporaire total le 23 mars 2011, imputables aux conséquences dommageables du défaut de surveillance post-opératoire. Il sera fait une juste appréciation de l'indemnisation due à ce titre en l'évaluant à la somme de 1 175 euros et en allouant à Mme D..., après l'application du partage de responsabilité, une somme de 587,50 euros.

Quant aux souffrances endurées :

16. Il ressort du rapport d'expertise que l'expert a évalué les souffrances endurées par Mme D... du fait de l'évolution de l'abcès interne ou sous-jacent en une fistulisation du côté externe de la peau à 2 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme D... en lui allouant, après le partage de responsabilité retenu, une somme de 1 500 euros.

Quant au préjudice esthétique :

17. Il résulte de l'instruction que Mme D... a subi un préjudice esthétique temporaire caractérisé par une cicatrice opératoire inflammatoire, par les pertuis situés au niveau de la face externe de la grande lèvre gauche et sur la face interne en regard de l'hymen et de la fistulisation de l'abcès de la cicatrice de la loge de kystectomie de la glande de Bartholin. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme D... en lui allouant, après le partage de responsabilité retenu, une somme de 250 euros.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

18. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme D... subit un déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 10 % du fait des douleurs ressenties lors de longs trajets en automobile et de longues marches à pied, de la dyspareunie due à l'amputation du tiers inférieur de la petite lèvre gauche et du syndrome dépressif réactionnel présenté par l'intéressée. Eu égard à l'âge de Mme D... à la date de consolidation de son état de santé fixée au 11 avril 2011, soit 39 ans, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 15 000 euros. Par suite, en application du partage de responsabilité, une somme de 7 500 euros est mise à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien.

Quant au préjudice esthétique :

19. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme D... a subi le 23 mars 2011 l'amputation du tiers inférieur de la muqueuse de la petite lèvre gauche afin de retirer la zone cicatricielle douloureuse. L'expert a évalué son préjudice esthétique à 2 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme D... en lui allouant, après le partage de responsabilité retenu, une somme de 2 000 euros.

Quant au préjudice d'agrément :

20. Si Mme D... se prévaut, au titre du préjudice d'agrément, des douleurs ressenties lors de longues marches, cet élément a toutefois été pris en considération au titre de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent. Mme D... n'établit pas avoir pratiqué la marche ou la randonnée dans un club, ni exercé une activité sportive régulière avant sa prise en charge par le centre hospitalier de Meaux. Dans ces conditions, Mme D... ne justifiant pas avoir subi un tel préjudice, il n'y a pas lieu de condamner le centre hospitalier de Meaux à lui verser une indemnité à ce titre.

Quant au préjudice sexuel :

21. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que la requérante, qui était âgée de 38 ans lors de l'intervention chirurgicale du 28 octobre 2010, souffre de dyspareunie et que l'expert a qualifié de moyen son préjudice sexuel. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme D... en lui allouant, après le partage de responsabilité retenu, une somme de 5 000 euros.

22. Il résulte des points 5 à 21 que les préjudices subis par Mme D... dont elle doit être indemnisée par le Grand Hôpital de l'Est Francilien en réparation des préjudices subis du fait du défaut de surveillance post-opératoire du centre hospitalier de Meaux, qui, comme il a été dit au point 4, n'ont pas été indemnisés par le Tribunal de grande instance de Nanterre, doivent être fixés à un montant de 26 542,50 euros.

23. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que Mme D... est seulement fondée à demander la condamnation du Grand Hôpital de l'Est Francilien à lui verser une somme de 26 542,50 euros.

Sur les dépens :

24. Il ressort du jugement du 18 avril 2018 que le Tribunal de grande instance de Nanterre a mis les frais de l'expertise ordonnée par le président du Tribunal de grande instance de Nanterre le

4 juin 2013 à la charge de la MACSF, assureur du docteur E.... Mme D... n'établit pas que d'autres dépens seraient restés à sa charge. Dans ces conditions, les conclusions de Mme D... tendant à la condamnation du centre hospitalier de Meaux aux dépens doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Meaux le versement à Mme D... de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1701869 du 4 décembre 2020 du Tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : Le Grand Hôpital de l'Est Francilien est condamné à verser à Mme D... la somme totale de 26 542, 50 euros.

Article 3 : Le Grand Hôpital de l'Est Francilien versera à Mme D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., au Grand Hôpital de l'Est Francilien et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2022.

La rapporteure,

V. C...Le président,

R. LE GOFF

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA00501


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00501
Date de la décision : 02/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : BINISTI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-02;21pa00501 ?
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