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09/05/2022 | FRANCE | N°21PA01919

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 09 mai 2022, 21PA01919


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 février 2019 par laquelle le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins a décidé de ne pas traduire devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins le sapiteur psychiatre désigné par une ordonnance rendue le 5 mars 2013 par le président du tribunal administratif de Nantes pour participer à une expertise judiciaire, et d'enjoindre au conseil départem

ental de la ville de Paris de l'ordre des médecins de traduire ce médecin de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 20 février 2019 par laquelle le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins a décidé de ne pas traduire devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins le sapiteur psychiatre désigné par une ordonnance rendue le 5 mars 2013 par le président du tribunal administratif de Nantes pour participer à une expertise judiciaire, et d'enjoindre au conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins de traduire ce médecin devant la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1907211/6-1 du 13 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 avril 2021 et un mémoire, enregistré le 5 avril 2022, M. C... A..., représentée par Me Le Gall, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1907211/6-1 du 13 novembre 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 20 février 2019 du conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins ;

3°) d'enjoindre au conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins de transmettre sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins d'Ile-de-France dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

4°) de mettre à la charge du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- son recours est recevable ;

- le jugement est insuffisamment motivé au sens de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il avait eu connaissance de l'ordonnance désignant le docteur E... avant 2017, que le " syndrome du nez vide " demeurait en 2013 une pathologie peu connue et sujette à discussion entre les scientifiques et qu'il avait bien remis son dossier médical au docteur E... ;

- la décision attaquée, qui a pour effet de restreindre son droit au recours, doit être motivée conformément aux dispositions des articles R. 4127-1 du code de la santé publique et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des manquements invoqués, de la méconnaissance par le sapiteur désigné des dispositions de l'article R. 4127-28 du code de la santé publique, le docteur E... ayant formé son opinion, sans fondement, de façon tendancieuse, erronée, fantaisiste et mensongère, avant même son arrivée à la réunion d'expertise et celle organisée par l'expert judiciaire et, consécutivement, induit ce dernier en erreur ; elle a manqué de professionnalisme et l'a empêché de bénéficier d'une mesure d'expertise alors que ce mode de preuve était capital ;

- les dispositions de l'article R. 4127-33 du code de la santé publique ont également été méconnues, faute pour le docteur E... d'avoir tenu compte des documents médicaux à sa disposition, d'avoir correctement retranscrit le contenu des échanges durant l'expertise ; ce médecin a inventé un certain nombre d'éléments relatifs à sa vie personnelle et en a mal compris d'autres, dans un contexte où le caractère somatique de sa pathologie ressortait sans équivoque des compte rendus, en conséquence de quoi une erreur de diagnostic de sa part est caractérisée, dans un contexte où plusieurs pré-rapports différents ont été établis, circonstance révélant un manque de sérieux du travail effectué ;

- le docteur E... a également enfreint les dispositions de l'article R. 4127-107 du code de la santé publique, faute d'avoir mentionné dans la convocation à la réunion d'expertise la teneur de sa mission ;

- elle n'a enfin pas daté ni signé son pré-rapport, en méconnaissance de l'article R. 4127-76 du code de la santé publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2021, le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins, représenté par Me Ganem-Chabenet à laquelle a succédé Me Piralian, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de M. C... A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- les observations de Me Le Gall, représentant M. C... A..., et les observations de

Me Cervello, représentant le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins.

Considérant ce qui suit :

1. En 2004, M. C... A... a souffert d'une fracture-enfoncement de la paroi antérieure du sinus frontal droit. Après avoir subi une intervention au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes le 26 octobre 2006, il a été à nouveau opéré le 7 juin 2007 au CHU de Nantes, par voie endo-nasale. Un pneumologue ayant diagnostiqué qu'il souffrait du " syndrome du nez vide ", à sa demande, par une ordonnance du 5 février 2013, le président du tribunal administratif de Nantes a ordonné une expertise judiciaire relative à sa prise en charge médicale lors de l'intervention du

7 juin 2007. L'expert oto-rhino-laryngologiste désigné ayant souhaité s'adjoindre un médecin psychiatre, le docteur E... a été désigné en qualité de sapiteur par une ordonnance du

5 mars 2013. Le rapport d'expertise a été remis le 29 octobre 2013. Cinq ans plus tard, le 5 juillet 2018, M. C... A... a saisi le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins d'une plainte dirigée contre le docteur E.... La tentative de conciliation ayant échoué, par une délibération du 20 février 2019, le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins a décidé de ne pas déférer ce médecin devant la chambre disciplinaire de première instance de la région d'Ile-de-France de l'ordre des médecins. M. C... A... relève appel du jugement du 13 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation de cette délibération.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce que soutient M. C... A..., les premiers juges ont suffisamment motivé leur réponse aux moyens tirés de l'insuffisance de motivation et de l'erreur manifeste d'appréciation soulevés à l'encontre de la décision du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins de ne pas traduire le docteur E... devant la chambre disciplinaire. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique : " Il est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d'au moins trois de ses membres. (...) / Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin (...) mis en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant le cas échéant. / (...) ".

4. Par dérogation à ces dispositions, l'article L. 4124-2 du code la santé publique prévoit, s'agissant des " médecins (...) chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ", qu'ils " ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit (...) ". Les actes reprochés au psychiatre désigné par ordonnance du juge administratif comme sapiteur, chargé à ce titre d'un service public, ont été réalisés à l'occasion d'actes de sa fonction publique, si bien que les dispositions citées ci-dessus lui sont applicables. Lorsqu'il est saisi d'une plainte d'une personne qui ne dispose pas du droit de traduire elle-même un médecin devant la chambre disciplinaire de première instance, il appartient ainsi au conseil départemental de l'ordre des médecins, après avoir procédé à l'instruction de cette plainte, de décider des suites à y donner. Il dispose, à cet effet, d'un large pouvoir d'appréciation et peut tenir compte notamment de la gravité des manquements allégués, du sérieux des éléments de preuve recueillis ainsi que de l'opportunité d'engager des poursuites compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Les personnes et autorités publiques mentionnées à cet article ayant seules le pouvoir de traduire un médecin chargé d'un service public devant la juridiction disciplinaire à raison d'actes commis dans l'exercice de cette fonction publique, en la matière un conseil départemental de l'ordre des médecins exerce une compétence propre et les décisions par lesquelles il décide de ne pas déférer un médecin devant la juridiction disciplinaire peuvent faire directement l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4127-112 du code de la santé publique :

" Toutes les décisions prises par l'ordre des médecins en application du présent code de déontologie doivent être motivées. / Celles de ces décisions qui sont prises par les conseils départementaux peuvent être réformées ou annulées par le conseil national soit d'office, soit à la demande des intéressés ; celle-ci doit être présentée dans les deux mois de la notification de la décision ". D'une part, les décisions visées par ces dispositions sont les décisions d'ordre administratif prises par les instances ordinales en application du code de déontologie des médecins, lesquelles ne comprennent pas les décisions que ces instances peuvent prendre en matière disciplinaire, comme celles qui sont mentionnées aux articles L. 4124-2 et L. 4123-2 du code de la santé publique, cités aux points précédents. D'autre part, lorsque l'attention du conseil départemental de l'ordre des médecins a été appelée, par un particulier, sur un acte réalisé, au titre de ses fonctions publiques, par un médecin chargé d'un service public, la décision par laquelle cette autorité retient qu'il n'y a pas lieu de traduire ce médecin devant la juridiction disciplinaire, laquelle procède ainsi qu'il a été dit de l'exercice du large pouvoir d'appréciation dont il dispose quant à l'opportunité d'engager une telle procédure, ne constitue pas, à l'égard du particulier concerné, une décision administrative individuelle défavorable, au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Ainsi, elle n'a pas à être motivée en application de cet article. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision litigieuse doit être écarté comme inopérant.

6. M. C... A... a saisi le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins en lui demandant d'engager une action disciplinaire à raison des faits reprochés au docteur E..., rappelés au point 1 du présent arrêt. S'agissant tout d'abord de la mission du sapiteur et de la rédaction de son rapport, si le requérant fait grief à ce dernier de ne pas l'avoir informé´ de sa mission, il est toutefois constant que les actes intervenus dans le cadre de la procédure d'expertise judiciaire initiée à sa demande - en ce comprise la désignation d'un sapiteur qu'il n'a pas contestée- lui ont nécessairement été notifiés ; par ailleurs, aussi regrettable que soit la circonstance que plusieurs versions du rapport ont été établies sans que le requérant soit en mesure d'identifier avec certitude la version réellement transmise à l'expert et celle que le pré-rapport ne serait pas signé, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces différentes versions auraient varié sur le fond, a fortiori dans le but de tromper M. C... A... ou de lui dissimuler une partie des conclusions. Le requérant contestant, ensuite, une grande partie des constatations faites par le sapiteur qu'il estime erronées, tronquées et révélatrices du caractère " bâclé " de la mission, de telles circonstances ne sont pas établies par les pièces du dossier dont il ressort que les erreurs purement factuelles commises par le docteur E..., ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, étaient uniquement dues au fait que celle-ci n'avait pas eu accès aux documents relatifs à l'accident dont

M. C... A... avait été victime en 2004 avant la réunion du 28 juin 2013, faute de diligences de la part de ce dernier en dépit de l'engagement souscrit. Par ailleurs, dès lors qu'il n'est pas établi que le requérant aurait bénéficié en 2013 d'une prise en charge psychiatrique ou psychologique spécialisée, l'absence de diligences du sapiteur pour se faire communiquer le dossier médical et d'accès à ce dernier ne saurait être regardés comme l'ayant empêché de rendre un avis éclairé, compte-tenu de l'objet de sa mission, et ce sur la base des déclarations du requérant et de ses propres constatations. Le docteur E..., au visa de la littérature médicale, ayant en définitive estimé aux termes d'un avis médical, circonstancié, dépourvu de termes outranciers, méprisants ou désinvoltes ni porteurs de jugement sur la personne de l'intéressé, que M. C... A... souffrait de troubles principalement psychosomatiques, il n'est pas établi que ce diagnostic, quand bien même serait-il contesté, ne serait pas conforme aux données acquises de la science et susceptible d'engager la responsabilité du médecin psychiatre pour manquement à ses obligations déontologiques. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que les comportements reprochés dans le courrier du 27 août 2018, sur lesquels devait porter la délibération attaquée, ne justifiaient pas la saisine de la chambre disciplinaire de première instance d'une plainte dirigée contre ce médecin.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8 Le présent arrêt n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction de M. C... A... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par

M. C... A... et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par ce dernier ne peuvent dès lors être accueillies.

10. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'appelant la somme demandée par le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins.

Délibéré après l'audience publique du 11 avril 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2022.

Le rapporteur,

M-D B...Le président,

I. LUBEN

La greffière,

N. DAHMANILa République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce que le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA01919


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01919
Date de la décision : 09/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : PIRALIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-05-09;21pa01919 ?
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