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22/04/2022 | FRANCE | N°21PA00474

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 22 avril 2022, 21PA00474


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a demandé au Tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'annuler la décision du 20 avril 2018 par laquelle le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a autorisé Mme A... à exercer en France la profession de masseur-kinésithérapeute et à titre subsidiaire, de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) une question préjudicielle en interprétation des directives n° 2004/38/CE et 2005/36/CE afin d'

établir la possibilité pour le préfet de délivrer une autorisation d'exercer à u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a demandé au Tribunal administratif de Paris, à titre principal, d'annuler la décision du 20 avril 2018 par laquelle le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a autorisé Mme A... à exercer en France la profession de masseur-kinésithérapeute et à titre subsidiaire, de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) une question préjudicielle en interprétation des directives n° 2004/38/CE et 2005/36/CE afin d'établir la possibilité pour le préfet de délivrer une autorisation d'exercer à un masseur kinésithérapeute non ressortissant européen dont le conjoint français réside en France.

Par un jugement n°1810483/6-1 du 27 novembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 janvier 2021 et 9 février 2022, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, représenté par Me Gonzalez, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1810483/6-1 du 27 novembre 2020 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 20 avril 2018 du préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, autorisant Mme A... à exercer en France la profession de masseur-kinésithérapeute ;

2°) d'annuler la décision du 20 avril 2018 du préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il justifie d'un intérêt à agir en vertu des articles L. 4321-14 et L. 4321-18 du code de la santé publique ;

- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire dès lors, d'une part, que le rapporteur public a conclu à l'application des dispositions de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt Hocsman, laquelle n'était pas débattue par les parties et, d'autre part, que ce moyen, communiqué ensuite aux parties comme un moyen d'ordre public soulevé d'office par le tribunal après renvoi de l'affaire, n'est pas un moyen d'ordre public et que le tribunal ne pouvait pas procéder à une substitution de motifs en l'absence de demande de l'administration ; en outre, le moyen communiqué aux parties comme étant susceptible d'être soulevé d'office par le tribunal portait sur la libre circulation des ressortissants de l'Union européenne et non sur le libre établissement invoqué par l'administration et Mme A... ;

- les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de l'irrégularité du moyen d'ordre public qu'ils ont soulevé après le renvoi de l'affaire ;

- la décision contestée méconnaît le principe général selon lequel un praticien non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ne peut pas bénéficier du régime de reconnaissance des diplômes prévu par la directive 2005/ 36/CE du 7 septembre 2005 et par les articles L. 4321-4 et R. 4321-27 du code de la santé publique ;

- Mme A... ne saurait être assimilée à une ressortissante de l'Union européenne ; par suite, elle ne peut pas bénéficier de l'application des dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation et à la liberté d'établissement ;

- sa situation est régie par les articles 27 à 32 de l'arrêté du 2 septembre 2015 relatif au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute ;

- elle ne peut pas bénéficier d'une reconnaissance de son diplôme " Licenciada Kinesiologa Fisiatra " obtenu à l'université de Buenos Aires le 13 mai 2013 par l'intermédiaire de la reconnaissance de ce diplôme par un Etat membre de l'Union européenne et elle ne justifie pas d'une expérience professionnelle d'au moins trois années en Espagne, ni même, en tout état de cause, d'une expérience professionnelle suffisante ; cette condition de l'expérience professionnelle est opposable à la demande de Mme A... présentée le 16 juin 2017, soit postérieurement à la modification, intervenue le 19 janvier 2017, de l'article L. 4321-4 du code de la santé publique ; en tout état de cause, ces dispositions sont applicables à la date de la décision en litige ; par suite, l'intéressée ne remplit pas les conditions de l'article L. 4321-4 du code de la santé publique ;

- l'administration et Mme A... ne peuvent utilement se prévaloir de la circulaire du 10 septembre 2010 ;

- la décision du 7 septembre 2017 n'est pas une décision créatrice de droits ; en tout état de cause, elle est distincte de la décision contestée du 20 avril 2018 prise à l'issue d'un nouvel avis de la commission du 12 avril 2018 attestant ainsi d'une nouvelle instruction du dossier de Mme A... ;

- Mme A... a commencé à exercer la profession de masseur-kinésithérapeute sans être inscrite au tableau de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes et a ainsi porté atteinte à l'intérêt général s'attachant à la sécurité des patients.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 janvier 2022, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à Mme A... qui n'a pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- la directive n° 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil du

20 novembre 2013 ;

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 2017-50 du 19 janvier 2017 ;

- l'arrêt C-456/12 du 12 mars 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-166/20 du 8 juillet 2021 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-31/00 du 22 janvier 2002 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Vilao, avocate du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Une note en délibéré, présentée pour le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, a été enregistrée le 24 mars 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante argentine, titulaire du diplôme de " Licenciada Kinesiologa Fisiatra " délivré par la faculté de médecine de l'Université de Buenos Aires le

13 mai 2013, s'est mariée avec un ressortissant français le 26 juin 2015. Les 28 août 2014,

9 octobre 2015 et 26 septembre 2016, Mme A... a sollicité l'autorisation d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute sur le territoire français. Le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a rejeté ces demandes. Le 16 juin 2017, Mme A... a présenté une nouvelle demande. Par une décision du 7 septembre 2017 prise après avis de la commission compétente, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a demandé à Mme A... de compléter sa formation avant de pouvoir exercer en France la profession de masseur-kinésithérapeute en choisissant soit de valider des stages d'adaptation en musculo-squelettique, en neurologie et en cardio-respiratoire de quatre semaines chacun, soit en satisfaisant à une ou des épreuves d'aptitude. Mme A... a effectué les stages d'adaptation à la clinique du Grand Stade de Saint-Denis et à l'hôpital Sainte-Marie de Paris D.... Par une décision du 20 avril 2018, prise après l'avis favorable de la commission compétente du

12 avril 2018, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a autorisé Mme A... à exercer la profession de masseur-kinésithérapeute en France. Le 26 novembre 2018,

Mme A... a été inscrite au tableau de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes B.... Par un jugement du 27 novembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes tendant à l'annulation de la décision du 20 avril 2018 du préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris. Le conseil national de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, l'article L. 7 du code de justice administrative dispose que : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ". La formation de jugement n'est pas tenue de suivre le sens des conclusions que le rapporteur public prononce à l'audience.

3. La circonstance que dans ses conclusions lues à l'audience du 9 octobre 2020, le rapporteur public aurait fondé celles-ci sur un moyen qu'il aurait soulevé d'office et qui n'aurait pas été communiqué aux parties avant l'audience est en tout état de cause sans incidence sur la régularité du jugement attaqué alors, au surplus, que l'affaire a de nouveau été appelée à l'audience du 13 novembre 2020.

4. En deuxième lieu, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision contestée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

5. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la demande du conseil national de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes a été appelée une première fois à l'audience du 9 octobre 2020, puis a été renvoyée à l'audience du 13 novembre 2020. Par un courrier du 13 octobre 2020, le tribunal a informé les parties qu'il était susceptible de relever d'office le moyen tiré de ce que " la circonstance que Mme A... ne justifie pas avoir exercé la profession de masseur-kinésithérapeute pendant trois ans dans l'Etat espagnol, qui a reconnu le titre de formation délivré en Argentine dont elle est titulaire, est sans incidence sur l'issue du litige dès lors que, de ce fait, la situation de Mme A... n'entre pas dans le champ d'application du régime général de reconnaissance des diplômes de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 transposé par l'article L. 4321-4 du code de la santé publique mais dans celui, subsidiaire, de la libre circulation de droit commun du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ". Les parties ont ainsi été informées de ce que le tribunal était susceptible d'examiner la situation de Mme A... au regard des dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en lieu et place de celles de l'article L. 4321-4 du code de la santé publique et de procéder éventuellement à une substitution de base légale, et non à une substitution de motifs comme le soutient le requérant. Par un mémoire en réponse à ce courrier et communiqué au conseil du requérant le 21 octobre 2020, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a fait valoir que la situation de Mme A... entrait effectivement dans le champ d'application des dispositions de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui énoncent le principe de la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne. Par un mémoire en réplique enregistré le 28 octobre 2020, en réponse au même courrier, le requérant a présenté ses observations et notamment contesté l'application des dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Dans ces conditions, la procédure suivie par le tribunal, qui n'a pas méconnu le principe du contradictoire, n'est pas entachée d'irrégularité.

6. En dernier lieu, il appartient au tribunal d'apprécier la légalité de la décision administrative sur laquelle il doit statuer en examinant les moyens de légalité dont il est saisi et le cas échéant les moyens d'ordre public qu'il est tenu de soulever et s'il y a lieu, dans le cadre de l'office du juge, en opérant une substitution de base légale. Contrairement à ce que soutient le requérant, les premiers juges n'ont pas commis de défaut de réponse à un moyen en ne répondant pas à un moyen de procédure étranger à l'appréciation de la légalité de la décision dont ils étaient saisis.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'assimilation de Mme A..., ressortissante argentine, à une ressortissante de l'Union européenne :

7. Aux termes de l'article 3 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 : " 1. La présente directive s'applique à tout citoyen de l'Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu'aux membres de sa famille, tels que définis à l'article 2, point 2), qui l'accompagnent ou le rejoignent. (...) ". Aux termes de l'article 7 de la même directive : " 1. Tout citoyen de l'Union a le droit de séjourner sur le territoire d'un autre État membre pour une durée de plus de trois mois : a) s'il est un travailleur salarié ou non salarié dans l'État membre d'accueil, ou b) s'il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil au cours de son séjour, et d'une assurance maladie complète dans l'État membre d'accueil, ou, c) - s'il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l'État membre d'accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et - s'il dispose d'une assurance maladie complète dans l'État membre d'accueil et garantit à l'autorité nationale compétente, par le biais d'une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu'il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d'éviter de devenir une charge pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil au cours de leur période de séjour; ou d) si c'est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c). / 2. Le droit de séjour prévu au paragraphe 1 s'étend aux membres de la famille n'ayant pas la nationalité d'un État membre lorsqu'ils accompagnent ou rejoignent dans l'État membre d'accueil le citoyen de l'Union, pour autant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1, points a), b) ou c). (...). ". Enfin, aux termes de l'article 10 de la même directive : " 1. Le droit de séjour des membres de la famille d'un citoyen de l'Union qui n'ont pas la nationalité d'un État membre est constaté par la délivrance d'un document dénommé " Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union " au plus tard dans les six mois suivant le dépôt de la demande. Une attestation du dépôt de la demande de carte de séjour est délivrée immédiatement. (...) ".

8. Il résulte des dispositions précitées de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt C-456/12 du 12 mars 2014, que le ressortissant d'un État tiers, membre de la famille d'un citoyen de l'Union, bénéficie d'un droit de séjour dérivé lorsque ce citoyen de l'Union a exercé son droit de libre circulation en s'établissant et en séjournant avec ce membre de sa famille dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité avant de retourner dans l'État membre dont il possède la nationalité.

9. Il ressort des pièces du dossier qu'en 2015, Mme A..., de nationalité argentine, s'est mariée avec un ressortissant français et que le couple s'est installé en Espagne le

10 mars 2016. Mme A... a obtenu une carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union européenne délivrée par les autorités espagnoles le 19 avril 2017. Il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient le requérant, que la délivrance de ce titre de séjour est irrégulière. Le mari de Mme A... ayant exercé son droit à la libre circulation au sein de l'Union européenne en s'établissant dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, Mme A... dispose, en vertu du principe énoncé au point précédent, d'un droit de séjour dérivé en sa qualité de ressortissante d'un État tiers, membre de la famille d'un citoyen de l'Union. Elle bénéficie à ce titre non seulement du droit de séjourner en France et du droit à y accéder à une activité professionnelle, salariée ou non salariée, y compris réglementée, mais également de l'égalité de traitement dont les ressortissants des Etats membres de l'Union bénéficient dans l'exercice de ce droit, sur le fondement des articles 18, 20, 26, 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 7, 16, 23 et 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004. Il s'ensuit que l'administration n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que la demande d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute de Mme A... devait être traitée comme une demande émanant d'une personne assimilée à un ressortissant de l'Union européenne dans la mesure où l'intéressée disposait d'un droit de séjour dérivé en application de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004.

En ce qui concerne l'application des articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

10. Aux termes de l'article L. 4321-3 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Le diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute est délivré après des études préparatoires et des épreuves dont la durée et le programme sont fixés par décret (...) ". Aux termes de l'article L. 4321-4 du même code, pris pour la transposition de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du

7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, dans sa rédaction applicable à la date de la décision du 20 avril 2018 : " L'autorité compétente peut, après avis d'une commission composée notamment de professionnels, autoriser individuellement à exercer la profession de masseur-kinésithérapeute les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui, sans posséder le diplôme prévu à l'article L. 4321-3, sont titulaires : / (...) 3° Ou d'un titre de formation délivré par un Etat tiers et reconnu dans un Etat, membre ou partie, autre que la France, permettant d'y exercer légalement la profession. L'intéressé justifie avoir exercé la profession pendant trois ans à temps plein ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente dans cet Etat, membre ou partie. Dans ces cas, lorsque l'examen des qualifications professionnelles attestées par l'ensemble des titres de formation initiale, de l'expérience professionnelle pertinente et de la formation tout au long de la vie ayant fait l'objet d'une validation par un organisme compétent fait apparaître des différences substantielles au regard des qualifications requises pour l'accès à la profession et son exercice en France, l'autorité compétente exige que l'intéressé se soumette à une mesure de compensation. Selon le niveau de qualification exigé en France et celui détenu par l'intéressé, l'autorité compétente peut soit proposer au demandeur de choisir entre un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude, soit imposer un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude, soit imposer un stage d'adaptation et une épreuve d'aptitude. (...) ".

11. En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-31/00 du 22 janvier 2002, confirmée en dernier lieu par l'arrêt

C-166/20 du 8 juillet 2021, il découle des articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, que, lorsque les autorités d'un Etat membre sont saisies par un ressortissant de l'Union d'une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme, d'une qualification professionnelle ou encore à des périodes d'expérience pratique, et que, faute pour le demandeur de disposer de l'expérience pratique exigée dans l'Etat membre d'origine, pour y exercer une profession réglementée, sa situation n'entre pas dans le champ d'application de la directive 2005/36 modifiée, elles sont tenues de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en rapport avec cette profession, acquis tant dans l'Etat membre d'origine que dans l'Etat membre d'accueil, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale.

12. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est titulaire d'un diplôme de " Licenciada Kinesiologa Fisiatra " délivré par la faculté de médecine de l'Université de Buenos Aires le 13 mai 2013 qui a été reconnu et homologué par les autorités compétentes de l'Etat espagnol pour l'exercice de la profession de masseur kinésithérapeute. Toutefois, il n'est pas contesté qu'elle n'a pas exercé la profession de masseur-kinésithérapeute en Espagne pendant trois ans. Par suite, Mme A... ne remplissait pas les conditions fixées par l'article L. 4321-4 du code de la santé publique dans sa version applicable à l'espèce.

13. Il appartenait alors à l'autorité compétente, en application des articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne dans sa jurisprudence rappelée au point 11, pour statuer sur la demande d'autorisation de Mme A..., assimilée à une ressortissante de l'Union européenne comme il a été dit, de se livrer à une appréciation de l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que de l'expérience pertinente de l'intéressée. Les dispositions des articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être ainsi substituées à celles de l'article L. 4321-4 du code de la santé publique sur le fondement desquelles l'autorisation en litige a été accordée à Mme A... dès lors que cette substitution de base légale, dont les parties, comme il a été dit au point 5, ont été informées par les premiers juges qu'ils entendaient y procéder et qui n'était pas subordonnée à une demande expresse de l'administration qui, au demeurant, a reconnu le bien-fondé de cette substitution de base légale dans son mémoire en réponse au courrier communiqué par le tribunal aux parties, ne prive Mme A... d'aucune garantie et que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.

14. Il découle du point 13, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, que la circonstance que Mme A... ne justifiait pas d'une expérience professionnelle de trois années en Espagne et, ainsi, ne remplissait pas l'ensemble des conditions énoncées par l'article L. 4321-4 du code de la santé publique est par elle-même sans incidence sur la légalité de l'autorisation d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute accordée par l'administration.

15. Il ressort des pièces du dossier que par une décision du 7 septembre 2017, prise sur avis de la commission compétente, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, après avoir procédé à une comparaison entre, d'une part, les compétences attestées par l'ensemble de la formation de Mme A..., en particulier celles lui ayant permis d'obtenir le diplôme de " Licenciada Kinesiologa Fisiatra " de l'université de Buenos Aires, reconnu et homologué par les autorités compétentes de l'Etat espagnol pour l'exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute, le contenu et la durée des stages qu'elle avait effectués et son expérience professionnelle, et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par les dispositions nationales, a estimé que la durée des stages qu'elle avait effectués était insuffisante pour lui permettre d'accéder à l'exercice de la profession en France. Il a, en conséquence, demandé à Mme A... afin de combler l'écart entre ses compétences et les qualifications requises de compléter sa formation par des mesures compensatoires consistant à valider trois stages dans les domaines musculo-squelettique, neurologique et cardio-respiratoire d'une durée totale de 420 heures ou à réussir une épreuve d'aptitude dans chacun de ces domaines. Par un courrier du 22 septembre 2017, Mme A... a accepté d'effectuer les stages demandés. Les rapports d'évaluation des fonctions de l'intéressée, qui a effectué les trois stages demandés à la clinique du Grand Stade de Saint-Denis et à l'hôpital Sainte-Marie de Paris durant la période comprise E..., sont élogieux, en particulier sur ses compétences professionnelles tant théoriques que pratiques. La commission compétente a rendu un nouvel avis favorable à la demande de Mme A.... Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en autorisant Mme A... à exercer la profession de masseur-kinésithérapeute en France.

16. Le moyen tiré de ce que l'administration et Mme A... ne peuvent utilement se prévaloir de la circulaire du 10 septembre 2010 ne peut en tout état de cause qu'être écarté, la décision en litige n'étant pas fondée sur ce texte.

17. Contrairement à ce que soutient le requérant, la situation de Mme A... qui a sollicité l'autorisation d'exercer l'activité de masseur kinésithérapeute en France et non l'autorisation de poursuivre sa formation dans les établissements d'enseignement français n'entre pas dans le champ d'application de l'arrêté du 2 septembre 2015 relatif au diplôme d'Etat de masseur-kinésithérapeute.

18. Enfin, la circonstance, à la supposer établie, que Mme A... aurait commencé à exercer la profession de masseur-kinésithérapeute sans être inscrite au tableau de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes relève en tout état de cause d'un litige distinct de celui qui est porté devant la Cour.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par le conseil national de l'ordre des masseurs kinésithérapeutes au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au conseil national de l'ordre des masseurs- kinésithérapeutes, au ministre des solidarités et de la santé et à Mme C... A....

Copie en sera adressée au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 avril 2022.

La rapporteure,

V. LARSONNIER Le président,

R. LE GOFF

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA00474


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00474
Date de la décision : 22/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : CABINET ARISTEE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-22;21pa00474 ?
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