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20/04/2022 | FRANCE | N°18PA01713

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 20 avril 2022, 18PA01713


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Wiame VRD a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean à lui verser la somme totale de 656 262 euros HT, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée, au titre du solde du marché afférent au lot n° 16 des travaux de restructuration du site de Jouarre.

Par un jugement n° 1300052 du 22 février 2018 précédé d'un jugement avant dire-droit du 23 avril 2015, le tribunal administratif de Melun a condamné le ce

ntre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean à verser à la sociét...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Wiame VRD a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean à lui verser la somme totale de 656 262 euros HT, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée, au titre du solde du marché afférent au lot n° 16 des travaux de restructuration du site de Jouarre.

Par un jugement n° 1300052 du 22 février 2018 précédé d'un jugement avant dire-droit du 23 avril 2015, le tribunal administratif de Melun a condamné le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean à verser à la société Wiame VRD la somme de 41 577,38 euros HT au titre du solde du marché afférent au lot n° 16 des travaux de restructuration du site de Jouarre assortie de la taxe sur la valeur ajoutée sur le seul capital inclus dans cette somme, le montant TTC portant intérêts au taux de 8 % à compter du 24 juin 2011, avec capitalisation.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 mai 2018, un mémoire en communication de pièces enregistré le 20 juin 2018, un mémoire enregistré le 5 avril 2019 et un mémoire ampliatif enregistré le 30 août 2021, la société Wiame VRD, représentée par Me Dubois, demande à la cour :

1°) de réformer les jugements n° 1300052, avant dire-droit du 23 avril 2015, et du

22 février 2018 du tribunal administratif de Melun en tant qu'ont été rejetées, totalement ou partiellement, ses demandes au titre de l'indemnisation des retards et décalages dans la réalisation des travaux compte tenu de l'allongement du chantier, de son préjudice au titre du devis n°06/ED206 " Mise en dépôt de terre végétale hors chantier ", de la révision des prix et de sa participation aux dépenses communes ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean à lui payer la somme totale de 302 689,60 euros HT au titre du solde du marché afférent au lot n° 16 des travaux de restructuration du site de Jouarre augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée (20 %), des intérêts au taux légal sur la somme de 167 111 euros HT à compter du 24 juin 2011 avec capitalisation, des intérêts au taux de 8 % à compter du 4 avril 2011 sur la somme de 25 751,30 euros avec capitalisation ;

3°) de rejeter l'appel incident formé par le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean ;

4°) de mettre à la charge de ce dernier la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le chantier litigieux a duré près de cinq ans au lieu de trente-six mois prévus contractuellement ; ainsi qu'il résulte de l'avis du CCIRA de Paris et du rapport d'expertise, cet allongement est consécutif à des fautes imputables au mandataire du maître d'ouvrage et au maître d'œuvre en raison d'une impréparation du chantier - mauvais phasage et absence de prévision de travaux préparatoires -, de décisions tardives prises au cours de celui-ci, de nombreuses demandes de travaux modificatifs révélées par le nombre pléthorique des ordres de services, d'un défaut de coordination du chantier, dans un contexte où les équipes de maîtrise d'œuvre et de maîtrise d'ouvrage déléguée n'ont cessé de changer ; il est également dû à la défaillance d'une autre entreprise dont les capacités ont mal été évaluées lors de l'attribution du marché ; ces fautes sont opposables au maître d'ouvrage au sens de la jurisprudence ; les retards et décalages dans l'exécution des travaux lui sont également directement imputables pour avoir tardé pendant deux mois à en ordonner le début ou à mettre l'entrepreneur défaillant en demeure de les commencer, à lui infliger des pénalités et à le remplacer, pour avoir également refusé certains ordres de service au titre de travaux supplémentaires demandés et préparés par le maître d'ouvrage délégué et la maîtrise d'œuvre ; aucune faute ne peut en revanche lui être reprochée dès lors que, contrairement à ce qui lui est opposé, elle a émis des réserves et contesté le délai d'exécution des travaux sans qu'aucun avenant ne soit régularisé, et que ses réclamations n'ont pas été prises en considération contrairement à d'autres entreprises ;

- ce retard, selon l'expert, l'a obligée à être présente sur le chantier 183 jours au lieu de 169 prévus pour la phase 1 (tranche ferme) et 84 jours au lieu de 55 pour la phase 2 (tranche conditionnelle), et ouvre en conséquence droit à indemnisation ;

- en tout état de cause, elle établit le bouleversement de l'économie du marché dont elle est également fondée à obtenir l'indemnisation ;

- au vu de l'avis de l'expert judiciaire, compte tenu des coûts induits par le retard, elle est fondée à obtenir le paiement à ce titre de la somme totale de 1 671 11 euros HT, se décomposant comme suit :

* 14 000 euros HT au titre des frais supplémentaires d'encadrement du chantier,

* 26 111 euros HT au titre des frais financiers,

* 27 200 euros HT au titre de la perte de rendement,

* 73 200 euros HT au titre de l'absence de couverture des frais généraux,

* 26 600 euros HT au titre de la perte d'industrie ;

- au titre des travaux supplémentaires correspondant au devis n° 06/ED206, c'est-à-dire la mise en dépôt de terre végétale hors chantier, c'est à tort que le tribunal administratif s'est borné à lui allouer la somme de 8 433,60 euros HT sur les 34 184,90 euros demandés, en limitant le cubage des terres évacuées à 762 m3 au lieu de 1 400 au vu d'un devis d'indice D qui aurait dû faire l'objet d'un ordre de service, validé par le CCIRA de Paris, soit un différentiel de 25 751,30 euros HT ;

- au titre de la variation des prix, le marché ayant été conclu à prix global forfaitaire actualisable aux termes des articles 3.3.1 et 3.4.1 du CCAP, c'est à tort qu'une réfaction de 26 004,20 euros HT, qualifiée d'abusive par le CCIRA de Paris, a été opérée dans le décompte général notifié le 20 mai 2011 ; par ailleurs, le mois d'établissement du prix en application de l'article 10.45 du CCAG doit être celui de mai 2005 dès lors que l'acte d'engagement a été signé le 30 juin suivant, et le mois d'actualisation doit être celui de décembre 2006 ; conformément à l'article 3.4.1 du CCAP, elle ouvre droit à une actualisation de sa créance sur la base d'un taux de 6% au lieu de 1,7 % tel qu'appliqué par le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean, soit 58 484,52 euros HT et un total de 84 488,72 euros ;

- au titre des dépenses communes du chantier, les travaux qu'elle a réalisés n'étant pas des travaux de bâtiments mais de génie civil extérieurs, en application de la norme AFNOR NF P 03.001 de décembre 2000 seule applicable, le lot VRD aurait dû être exclu du compte prorata, qui ne figure par ailleurs pas dans la décomposition du prix global forfaitaire de son marché ; elle n'a pas effectué de dépenses communes à la demande du gestionnaire de ce compte mais à celle de la maîtrise d'œuvre conformément à trois devis, pour des travaux supplémentaires non réglés ; elle n'a pas reçu les factures prises en compte pour le calcul des dépenses communes et aucune de ses prestations n'a été prise en considération à ce titre ; en tout état de cause, son assujettissement devra être limité aux délais contractuels de 19 mois pour la tranche ferme et de 16 mois pour la tranche conditionnelle, or les dépenses concernées sont postérieures à ces périodes et aucune somme ne saurait être due au titre de la tranche conditionnelle, soit une différence entre la somme qu'elle a réglée : 40 667,15 euros TTC et celle qui serait due : 15 328,55 euros TTC, de 25 338,60 euros TTC ;

- s'agissant des intérêts moratoires et de l'appel incident du centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean, contrairement à ce que ce dernier soutient, le délai global de paiement est de 50 jours et pas de 55 ; d'autre part, dans la computation des délais, il ne doit pas être tenu compte du délai de 45 jours que doit respecter le maître d'ouvrage pour l'établissement du décompte général, en conséquence de quoi son projet de décompte final ayant été reçu le 28 décembre 2010, le point de départ du calcul des intérêts est la date du 4 avril 2011 ; à défaut, celui retenu par le tribunal administratif devra être confirmé.

Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 28 novembre 2018, le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean, représenté par Me Dubois, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1300052 du 22 février 2018 du tribunal administratif de Melun en tant que le point de départ des intérêts a été fixé au 24 juin 2011 ;

2°) de rejeter la requête de la société Wiame Vrd ;

3°) de mettre à la charge de cette dernière la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les demandes indemnitaires de la société Wiame VRD, qui ne saurait soutenir à bon droit que le démarrage des travaux avec deux mois de retard aurait eu pour effet de la délier de ses engagements, ne sont pas fondées s'agissant de l'allongement des délais d'exécution des travaux dès lors qu'aucune faute à l'origine des retards ne lui est imputable en sa qualité de maître d'ouvrage ; le retard de démarrage a été sans incidence sur la durée de leur exécution ; elle n'a commis aucune faute dans l'estimation de ses besoins, la conception et la préparation du chantier dont la désorganisation n'est pas établie et qui ne saurait en tout état de cause lui être imputable ainsi que cela ressort du rapport d'expertise judiciaire qui confirme, en revanche, le retard pris par la société Wiame VRD dans la réalisation de ses propres travaux, voire celui pris par d'autres entreprises, principalement l'entreprise titulaire du lot n° 13 ou le maître d'œuvre ;

- les difficultés consécutives ne sauraient par ailleurs ouvrir droit à indemnisation au titre de sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du marché ; en effet les préjudices allégués, soit ne sont pas établis (cf. préjudices consécutifs à l'absence de couverture des frais généraux, aux pertes d'industrie et de rendement, frais d'encadrement), soit sont sans lien avec l'allongement des délais et les difficultés imprévisibles invoquées, (cf. frais de garantie décennale, d'horaires d'ingénieur conseil, de caution bancaire), ou encore ne sont pas justifiés dans leur montant ; ils ne sauraient, enfin, être regardés comme étant à l'origine d'un bouleversement de l'économie du marché eu égard au montant de ce dernier ;

- à titre subsidiaire, l'allongement de l'intervention de la société requérante sur le chantier n'est pas établi contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif dont le jugement est entaché d'erreur de droit et d'une contradiction interne ; en l'absence de justificatif, la proposition de l'expert entérinée par les premiers juges se fonde en effet sur un unique document, établi unilatéralement par la société Wiame VRD et produit trois ans après la fin du chantier, dépourvu de force probante auquel une telle force a pourtant été reconnue en l'absence de preuve contraire ;

- la demande de la société Wiame VRD en cause d'appel au titre de la variation du prix correspond à l'addition de deux demandes indemnitaires nouvelles, alors même que la société requérante reconnait désormais avoir bénéficié de la clause d'actualisation prévue au marché à hauteur de 64 352,03 euros, est par suite irrecevable et en tout état de cause infondée, pour être sans rapport avec la " variation de prix ", le décompte général étant par ailleurs devenu définitif ;

- la demande de remboursement formée au titre des dépenses communes ne saurait être dirigée contre le maître d'ouvrage s'agissant d'une somme qu'il n'a pas reçue, et repose sur un raisonnement inopérant, sans que le montant réclamé soit justifié ;

- celle formée au titre de travaux de mise en dépôt de terre végétale hors chantier au-delà de la somme déjà allouée en première instance n'est pas fondée ;

- à titre subsidiaire et dans l'hypothèse où il serait fait droit à des demandes de l'appelante, c'est à tort que le tribunal administratif a fait courir les intérêts moratoires sur le solde du marché à compter du 24 juin 2011, date de présentation par la société Wiame VRD d'un mémoire en réclamation sur le décompte général ; conformément à la décision du Conseil d'Etat n° 402691 du

13 avril 2018, ce délai doit en effet courir à l'issue d'un délai de 55 jours, soit à compter du 19 août 2011.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux dans sa version issue du décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me de Boissieu, représentant le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean (CHI de Jouarre) a entrepris des travaux d'extension et de restructuration de son site de Jouarre au titre d'une tranche ferme ainsi que la réhabilitation partielle de plusieurs bâtiments au titre d'une tranche conditionnelle. La société Icade G 3 A Santé devenue Icade Promotion était son mandataire et un groupement en assurait la maîtrise d'œuvre. Les travaux ont été répartis en 16 lots. Par un acte d'engagement définitivement signé le 29 septembre 2005, le lot n° 16 " VRD - Eclairages extérieurs - Espaces verts - Mobilier extérieur ", d'un montant total de 1 360 105,10 euros HT, a été attribué à la société Wiame VRD. Le marché a été conclu à prix ferme actualisable et à prix global forfaitaire. Selon ordre de service, le début des travaux a été notifié à la société Wiame VRD le 2 février 2006, avec prise d'effet rétroactive au 9 janvier précédant. Leur réception est intervenue, pour la tranche ferme, le 30 mars 2009, et, pour la tranche conditionnelle, le 1er octobre 2010. Le

23 décembre 2010, la société Wiame VRD a adressé au maître d'œuvre son projet de décompte final assorti d'un mémoire en réclamation. Le 20 mai 2011, le décompte général du marché lui a été notifié pour un montant total de 1 920 662,28 euros HT faisant apparaître un solde de 36 896,40 euros TTC prenant en compte sa réclamation à hauteur de 64 352,03 euros HT. Elle l'a signé et retourné, avec réserves, le 31 mai 2011. Le 24 juin suivant, la société Wiame VRD a présenté un 2nd mémoire en réclamation portant sur une somme de 656 262 euros HT, rejeté par la société Icade Promotion par un courrier du 5 octobre 2011. Le 29 mars 2012, la société appelante a alors saisi pour avis le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges (CCIRA) de Paris, lequel, le 11 décembre 2012, a considéré que le CHI de Jouarre était débiteur à son égard de la somme de 421 259,92 euros TTC portant intérêts à compter du 7 avril 2011. Cet avis n'a pas été accepté par l'intimé. Par ordonnance du 25 novembre 2013, saisi par la société Wiame VRD d'une demande de condamnation du CHI de Jouarre au paiement d'une provision de 450 581,92 euros, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a condamné ce dernier à verser une provision de 58 008,20 euros portant intérêts à compter du 5 octobre 2011. La société Wiame VRD a ensuite saisi le tribunal administratif, au fond, afin d'obtenir le paiement par le centre hospitalier intercommunal de Jouarre de la somme de 665 958 euros HT au titre du solde du marché. Par un jugement avant dire droit du 23 avril 2015, le tribunal administratif de Melun a, d'une part, ordonné une mesure d'expertise en donnant pour mission à l'expert de déterminer la chronologie des différentes interventions de la société Wiame VRD sur le chantier, de se prononcer sur les causes de l'allongement du délai global d'exécution des travaux, les éventuelles autres causes de dépassement de la durée de son intervention sur le chantier, ainsi que sur le caractère utile ou indispensable de travaux supplémentaires, et, d'autre part, ordonné un supplément d'instruction afin que la société requérante produise, pour chacun des acomptes sur lesquels étaient réclamés des intérêts moratoires, les documents attestant de la date de réception des situations de travaux par le maître d'œuvre et de la date de paiement effectif de ces acomptes. L'appel formé contre ce jugement par la société Wiame VRD a été rejeté comme irrecevable par la cour administrative d'appel de Paris par un arrêt du 14 mars 2016. L'expert judiciaire désigné ayant déposé son rapport le 18 mai 2016, la société Wiame VRD a demandé au tribunal administratif de condamner le CHI de Jouarre à lui verser la somme totale de 544 128 euros HT au titre du solde du marché, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée et assortie des intérêts moratoires y afférents à compter du 7 avril 2011 et de leur capitalisation. En défense, le CHI de Jouarre a demandé aux premiers juges de condamner la société Wiame VRD à lui payer la somme de 21 111,80 euros. Par un jugement du 22 février 2018, le tribunal administratif de Melun a condamné le CHI de Jouarre à verser à la société Wiame VRD la somme de 41 577,38 euros HT au titre du solde du marché litigieux, avec TVA sur la somme en capital, la somme TTC étant affectée d'intérêts au taux de 8 % à compter du 24 juin 2011, capitalisés. La société Wiame VRD en fait appel. Le CHI de Jouarre présente des conclusions d'appel incident en contestant le point de départ des intérêts mis à sa charge.

Sur le solde du marché :

En ce qui concerne les surcoûts consécutifs au décalage et à l'allongement de la durée des travaux :

2. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

3. Il résulte des articles 3.2 et 4 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) que les délais de réalisation des travaux de la tranche ferme et de la tranche conditionnelle ont été respectivement fixés à 19 et 16 mois à compter de la notification des ordres de service de démarrage des travaux pour chacune des deux tranches concernées. Ils devaient être décomptés à partir de la première intervention de l'entrepreneur sur le chantier, expiraient en même temps que sa dernière intervention et incluaient toutes les contraintes de phasage. Après approbation par le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage ou son mandataire, les calendriers détaillés devaient être notifiés par ordre de service aux intervenants, le calendrier détaillé d'exécution final, notifié à la fin de la période de préparation, devenait alors, hors intempéries, le calendrier contractuel. Chaque entrepreneur était ainsi tenu de respecter les dates et échéances qui y étaient fixées. Au fur et à mesure de l'exécution des travaux, le calendrier détaillé d'exécution devait être tenu à jour par la maîtrise d'œuvre assurant l'Ordonnancement, le Pilotage et la Coordination, mais sans que cela emporte d'effet sur le délai global d'exécution, ni sur le délai contractuel total d'intervention de chaque entrepreneur. La même procédure devait être appliquée au délai global d'exécution de la tranche conditionnelle. En vertu des stipulations de l'acte d'engagement du marché attribué à la société Wiame VRD pour le lot n° 16, le délai de réalisation de ses travaux par cette entreprise a par ailleurs été fixé à six mois et une semaine pour les deux tranches concernées. Au regard des pièces du marché et de la commune intention des parties, c'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont estimé, d'une part, que ce délai correspondait au délai maximal d'intervention prévu pour la société requérante au titre de l'intégralité des travaux et des tâches confiées et qu'un tel délai devant être décompté en semaines de travail ininterrompues ou non ; d'autre part, que le point de départ du délai global d'exécution des travaux ayant en définitive été fixé, sans réserve par l'intéressée, par ordre de service au

9 janvier 2006, cette date était celle de début du délai global d'exécution de la tranche ferme du marché, et que, la réception des travaux de cette tranche étant intervenue le 30 mars 2009, ces derniers avaient ainsi été achevés avec un retard de 19 mois et 3 semaines, sans que soit opposable à la société Wiame VRD au vu dudit retard la circonstance qu'elle n'avait émis aucune réserve lors de la réception des ordres de service relatifs au déroulement des travaux de la tranche ferme. S'agissant de la tranche conditionnelle, l'article 3.2 du CCAP stipulant qu': " (...) Au cas où les prestations de la tranche conditionnelle ne seraient pas commandées dans les délais ci-dessus, aucune indemnité de dédit, aucune indemnité d'attente, ni aucune indemnité d'aucune sorte ne serait versée au titulaire. ", c'est également à bon droit que le tribunal a estimé que, le délai d'exécution ayant débuté le 8 juin 2009 - date prévue dans l'ordre de service de démarrage des travaux - et les travaux ayant été réceptionnés le 1er octobre 2010 soit dans un délai de 15 mois et 3 semaines, le délai global de 16 mois n'avait pas été dépassé, un décalage de 19 mois ayant été accepté sans indemnité.

4. En premier lieu, la société Wiame VRD impute les retards et décalages ayant selon elle engendré la mobilisation de moyens humains supplémentaires, des pertes de rendement et d'industrie de divers frais financiers, à la faute du CHI de Jouarre auquel il est reproché une désorganisation du chantier résultant d'erreurs et omissions. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les causes du retard constaté n'ont pu en définitive être clairement identifiées. Si la défaillance de la société attributaire du lot " électricité " a été principalement évoquée, la faute d'un autre entrepreneur, pas plus que celle du maître d'œuvre ou des architectes, ne saurait être opposable au maître d'ouvrage dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été défaillant dans ses choix ou en en gérant les défaillances. Par ailleurs, à défaut de conclusions claires et précises de l'expert, ni le constat du nombre important d'ordres de services émanant du maître d'ouvrage ou de son délégataire, pas plus que des propos évasifs et contestés tenus en cours d'expertise quant aux possibles conséquences de changements fréquents de personnes à la direction de l'hôpital, ne sauraient caractériser une désorganisation du chantier ou une défaillance imputable au CHI de Jouarre, dans un contexte où, notamment, les absences d'un représentant de la société Wiame VRD aux réunions de chantier, des retards de fourniture des équipements de la cuve à fuel et de réalisation de béton désactivé lui ont notamment été reprochés. Ainsi et alors même que la notification du marché au-delà de la période contractuelle, l'absence de conclusion d'avenants, le retard dans la notification du décompte général, des retards de paiement en cours de chantier et une réfaction opérée dans le décompte ne sauraient être à l'origine des préjudices invoqués, pas plus en appel que devant les premiers juges, il ne résulte de l'instruction que les retards et difficultés qui ont désorganisé le chantier auraient eu pour origine une faute imputable au CHI de Jouarre en sa qualité de maître d'ouvrage, au sens du point 2 susvisé.

5. En second lieu, s'agissant de la responsabilité sans faute du fait de difficultés exceptionnelles et imprévisibles rencontrées dans l'exécution d'un marché et de sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, il ne résulte pas de l'instruction, notamment de l'expertise en l'absence de pièces justificatives communiquées à l'expert, ou encore versées au dossier, que les différents chefs de préjudices invoqués par la société Wiame VRD, à supposer qu'ils soient en lien direct avec l'allongement et le décalage du chantier, seraient établis tant dans leur principe que dans leur montant. Par ailleurs, en l'absence d'intempéries, le surcoût invoqué ne saurait constituer un bouleversement de l'économie du contrat, alors même que l'expert a estimé que la société Wiame VRD était en définitive intervenue pour la réalisation de ses travaux en 183 jours au lieu de 169 pour la tranche ferme et 84 jours au lieu de 55 pour la tranche conditionnelle.

6. Les conclusions de la société Wiame VRD tendant à l'indemnisation des surcoûts résultant d'une faute du CHI de Jouarre ou de sujétions imprévues doivent ainsi être rejetées.

En ce qui concerne les travaux supplémentaires :

7. Lorsque l'entrepreneur est rémunéré par un prix forfaitaire pour l'exécution du marché, seule une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une augmentation de sa rémunération. Toutefois, le titulaire d'un marché à prix forfaitaire a droit au paiement des travaux supplémentaires qui, bien qu'ils aient été réalisés sans ordre de service du maître d'ouvrage, ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art.

8. La société Wiame VRD, dont le marché stipule un prix forfaitaire, fait valoir que les travaux supplémentaires qu'elle a réalisés à la demande du maître de l'ouvrage et du maître d'œuvre mentionnés à l'article 3.02.000 " Terrassements " du CCTP concernaient un volume de 1 400 m3 et non 762 comme retenu à tort par le tribunal administratif, et sollicite en conséquence à ce titre le versement de la somme de 25 751,30 euros HT. Il résulte de l'instruction que les travaux supplémentaires de stockage hors du chantier de la terre après décapage excédant le marché ont fait l'objet d'un ordre de service OS 22/L16/05, sans précision de prix mais mentionnant que le montant de la prestation devait être défini dans un prochain avenant, suite à un compte-rendu de réunion de chantier mentionnant la nécessité de trouver une solution pour la terre en question. Le droit à rémunération de sa prestation par la société Wiame VRD n'étant pas contestable, compte-tenu du volume revendiqué par la société requérante dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle soit inexacte, en tenant toutefois compte de la profondeur stipulée au CCTP soit 0,25 m, et sur la base du prix au m3 de 9,5 euros, la somme de 8 433,60 euro HT allouée par les premiers juges doit être portée à celle de 17 383 euros HT.

En ce qui concerne la variation/révision du prix :

9. La société Wiame VRD sollicite, ensuite, le versement d'une indemnité de 84 488,72 euros au titre de la compensation de l'absence de révision des prix ou de leur nécessaire revalorisation du fait de l'allongement du chantier. Il résulte toutefois de l'instruction, qu'alors qu'elle a déjà bénéficié de la clause d'actualisation prévue au marché à hauteur de 64 352,03 euros, la somme réclamée correspond pour partie à une créance distincte de la compensation invoquée ainsi qu'à l'indemnisation de l'allongement du chantier, en l'absence de clause contractuelle distincte de celle d'actualisation des prix. La demande à ce titre ne peut dès lors qu'être écartée.

En ce qui concerne la demande relative au compte de prorata :

10. La société Wiame VRD sollicite, enfin, le remboursement de la somme de 25 338,60 euros HT au titre de sa participation aux dépenses communes. Aux termes de l'article 8.5.1 du CCAP : " Tous les entrepreneurs seront tenus de participer aux dépenses communes du chantier. (...) ". Alors même que les stipulations du marché n'imposent pas au maître de l'ouvrage d'intervenir dans la gestion et la répartition du compte prorata, il résulte des stipulations précitées que c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que, quelle que soit la nature des travaux effectués, tous les entrepreneurs ayant accepté cette clause étaient tenus de participer à ces dépenses, sans que ni l'allongement du chantier, ni la circonstance que les propres dépenses de la requérante n'auraient pas été prises en compte, soient opposables.

11. Il s'ensuit que le solde du marché litigieux s'établit à 50 526,78 euros hors taxes.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

12. Le CHI de Jouarre demande que la somme mise à sa charge au titre du solde du marché porte intérêts au taux de 8% à compter du 19 août 2011 et non du 24 juin 2011.

13. Aux termes de l'article 96 du code des marchés publics, dans sa version alors en vigueur, auquel renvoient les stipulations de l'article 3.6 du cahier des clauses administratives particulières : " Le délai global de paiement d'un marché public ne peut excéder 45 jours. Toutefois, pour les établissements publics de santé et les établissements du service de santé des armées, cette limite est de 50 jours. Le dépassement du délai de paiement ouvre de plein droit et sans autre formalité, pour le titulaire du marché ou le sous-traitant, le bénéfice d'intérêts moratoires, à compter du jour suivant l'expiration du délai. ". Aux termes de l'article 1er du décret susvisé du

21 février 2002 : " I. - Le point de départ du délai global de paiement prévu aux articles 54 et 55 de la loi du 15 mai 2001 susvisée et à l'article 96 du code des marchés publics est la date de réception de la demande de paiement par les services de la personne publique contractante ou, si le marché le prévoit, par le maître d'œuvre ou tout autre prestataire habilité à cet effet. Le marché indique les conditions administratives et techniques auxquelles sont subordonnés les mandatements et le paiement. Toutefois : - le point de départ du délai global de paiement est la date d'exécution des prestations lorsqu'elle est postérieure à la date de réception de la demande de paiement ;- pour les marchés de travaux, le point de départ du délai global de paiement du solde est la date d'acceptation du décompte général et définitif (...)". Aux termes de l'article 5 du même décret : " (...) II. - Le taux des intérêts moratoires est référencé dans le marché. Ce taux est celui de l'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, augmenté de deux points. A défaut de la mention de ce taux dans le marché, le taux applicable est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points. (...) ".

14. Il résulte de ces dispositions que le point de départ des intérêts moratoires au taux de 8 % doit être fixée au 4 avril 2011. Conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus à la date du 4 avril 2012, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les frais liés au litige :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHI de Jouarre le versement d'une somme de 1 500 euros à la société Wiame VRD sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Wiame VRD la somme que réclame le CHI de Jouarre au même titre.

En ce qui concerne les dépens de l'instance et les frais d'expertise :

16. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...). Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 591 euros TTC par une ordonnance du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Melun du 13 juin 2016, à la charge du CHI de Jouarre.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 41 577,38 euros hors taxes que le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean a été condamné à verser à la société Wiame VRD par l'article 1er du jugement attaqué est portée à celle de 50 526,78 euros hors taxes portant intérêts au taux de 8% à compter du 4 avril 2011. Les intérêts échus à la date du 4 avril 2012 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Les articles 1er et 3 du jugement n° 1300052 du 22 février 2018 du tribunal administratif de Melun sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 7 591 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean.

Article 4 : Le centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean versera à la société Wiame VRD la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Wiame VRD et au centre hospitalier intercommunal de Jouarre, La Ferté, Saint-Jean.

Délibéré après l'audience publique du 7 mars 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

- Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2022.

La rapporteure,

M-D A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01713


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01713
Date de la décision : 20/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP KRAMER LEVIN NAFTALIS FRANKEL

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-20;18pa01713 ?
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