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14/04/2022 | FRANCE | N°21PA03489

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 14 avril 2022, 21PA03489


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'établissement public territorial Plaine Commune à lui verser la somme de 40 000 euros, assortie des intérêts à compter du 16 juillet 2019, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive de la décision de préemption du 4 juillet 2018 portant sur un bien situé rue C... à Saint-Denis.

Par un jugement n° 1911513 du 5 mai 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa d

emande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'établissement public territorial Plaine Commune à lui verser la somme de 40 000 euros, assortie des intérêts à compter du 16 juillet 2019, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive de la décision de préemption du 4 juillet 2018 portant sur un bien situé rue C... à Saint-Denis.

Par un jugement n° 1911513 du 5 mai 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 24 juin et 21 octobre 2021, la société civile immobilière Saint-Denis 1, représentée par Me Jorion, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1911513 du 5 mai 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de condamner l'établissement public territorial Plaine Commune à lui verser la somme de 40 000 euros, assortie des intérêts à compter du 16 juillet 2019 ;

3°) de prononcer la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'établissement public territorial Plaine Commune la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'établissement public territorial Plaine Commune a commis une faute en prenant une décision de préemption illégale le 4 juillet 2018 dès lors qu'il ne disposait d'aucun projet sur le bien préempté ;

- la faute est également constituée en ce que la décision, qui a pour objectif de contrôler le niveau des prix de l'immobilier, ce qui ne constitue pas un motif légalement prévu, est ainsi entachée d'une erreur de droit ;

- en proposant un prix de préemption de 140 000 euros, soit à un prix inférieur au prix de 200 000 euros convenu initialement avec l'acquéreur, puis en renonçant sans explication à la préemption alors que le bien avait fait l'objet d'un accord au prix de 160 000 euros seulement entre les mêmes parties, l'établissement public territorial Plaine Commune a entaché sa décision d'un détournement de pouvoir ;

- le préjudice subi est de 40 000 euros, soit la baisse de prix qu'elle a été obligée de consentir sous la pression de l'établissement public territorial Plaine Commune.

Par des mémoires en défense enregistrés les 2 septembre, 3 et 4 novembre 2021, l'établissement public territorial Plaine Commune, représenté par Me Lherminier, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement et à ce qu'il soit mis à la charge de la société civile immobilière Saint-Denis 1 la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gobeill,

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique,

- les observations de Me Genies substituant Me Jorion, représentant la société civile immobilière Saint-Denis 1,

- et les observations de Me Bakari-Gardini substituant Me Lherminier, représentant l'établissement public territorial Plaine Commune.

Une note en délibéré a été produite le 1er mars 2022 pour l'établissement public territorial Plaine Commune.

Considérant ce qui suit :

1. Par un compromis de vente du 3 mai 2018, Mme B... et M. A... se sont engagés à acheter à la société civile immobilière Saint-Denis 1 les lots n° 3, 4, 5, 7 et 8, correspondant à un appartement et trois caves, d'un ensemble immobilier situé rue C... à Saint-Denis moyennant une somme de 200 000 euros. Par une décision du 4 juillet 2018, l'établissement public territorial Plaine Commune a décidé d'user de son droit de préemption urbain sur ce bien. La société civile immobilière Saint-Denis 1 ayant renoncé à la première cession envisagée, elle a, par acte authentique du 20 septembre 2018, vendu aux acquéreurs mentionnés ci-dessus l'ensemble immobilier en litige pour un prix de 160 000 euros. Elle a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'établissement public territorial Plaine Commune à lui verser la somme de 40 000 euros, assortie des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité fautive de la décision de préemption du 4 juillet 2018. Par un jugement du 5 mai 2021 dont elle relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. La société civile immobilière Saint-Denis 1 soutient qu'en prenant la décision contestée, l'établissement public territorial Plaine Commune a commis une illégalité fautive dès lors que la réalité du projet de logement n'est pas établie.

3. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, (...), de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

5. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat, les exigences résultant de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme, et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. À cette fin, la collectivité peut, soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.

6. Si la décision contestée mentionne la délibération du conseil de territoire du 31 janvier 2017 instituant le droit de préemption urbain territorial sur la commune de Saint-Denis et décidant de l'appliquer à certains ilots dont celui où se trouve l'immeuble concerné, relève que plusieurs quartiers, dont le quartier " Plaine Trezel C... ", ont été retenus par le décret n° 2014-1750 du 30 décembre 2014 fixant la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville dans les départements métropolitains, précise que les opérations réalisées dans le cadre du Nouveau programme national de renouvellement urbain contribuent à la mise en œuvre des orientations n° 1 " avoir une offre de logements diversifiée pour répondre au besoin des habitants " et n° 4 " poursuivre la requalification " du programme local d'habitat communautaire 2016-2020 et rappelle que l'expropriant doit disposer d'un parc de logements relai, dont le logement préempté, afin de reloger les locataires, ces considérations générales ne sont pas, en l'absence d'autres précisions, de nature à établir que l'établissement public territorial Plaine Commune participerait, à la date de la décision, à la politique locale de l'habitat et disposerait en l'espèce d'un projet précis, alors qu'il a au demeurant renoncé à la préemption sans en justifier et sans y recourir de nouveau. Il en résulte que l'établissement public ne justifiait pas, à la date de la décision de préemption litigieuse, de la réalité d'un projet entrant dans les prévisions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme.

7. L'illégalité ainsi commise est fautive et de nature à engager la responsabilité de l'établissement public territorial Plaine Commune à l'égard de la société civile immobilière Saint-Denis 1 qui est, dès lors, fondée à demander réparation des préjudices directs et certains en résultant. Par suite, le jugement n° 1911513 du 5 mai 2021 du tribunal administratif de Montreuil doit être annulé.

Sur le lien de causalité et le préjudice :

8. A l'issue d'une procédure de préemption qui n'a pas abouti, le propriétaire du bien en cause peut, si la décision de préemption est entachée d'illégalité, obtenir réparation du préjudice que lui a causé de façon directe et certaine cette illégalité. Lorsque le propriétaire a cédé le bien après renonciation de la collectivité, son préjudice résulte en premier lieu, dès lors que les termes de la promesse de vente initiale faisaient apparaître que la réalisation de cette vente était probable, de la différence entre le prix figurant dans cet acte et la valeur vénale du bien à la date de la décision de renonciation. Pour l'évaluation de ce préjudice, le prix de vente effectif peut être regardé comme exprimant cette valeur vénale si un délai raisonnable sépare la vente de la renonciation, eu égard aux diligences effectuées par le vendeur, et sous réserve que ce prix de vente ne s'écarte pas anormalement de cette valeur vénale.

9. L'établissement public territorial Plaine-Commune soutient que la vente n'était pas probable dès lors que les conditions prévues par le compromis de vente du 3 mai 2018 n'étaient pas remplies, ce dernier stipulant que l'acquéreur s'obligeait à effectuer les démarches nécessaires à l'obtention du prêt de 197 000 euros avant le 23 juin 2018 et que la réception de l'offre devait intervenir au plus tard dans le délai de soixante jours à compter de la date de signature, délai augmenté d'un mois par avenant du 15 juillet 2018. Si la simulation du prêt est datée du 27 juin 2018 et si l'attestation bancaire du 1er juillet 2020 certifie que le prêt a été consenti le 21 août 2018, soit dans les deux cas postérieurement aux délais prévus par les stipulations du contrat, ces circonstances ne sont toutefois pas en l'espèce de nature à établir que la vente ne revêtait pas un caractère probable dès lors qu'il résulte de l'instruction que le prêt octroyé pour un montant de 245 000 euros correspondait à la fois au montant de l'acquisition à hauteur de 200 000 euros et à celui des travaux et que la vente a finalement été conclue avec les mêmes acquéreurs dès le 20 septembre 2018 soit dans un délai raisonnable.

10. Il sera dans ces conditions fait une exacte appréciation du préjudice subi par la société civile immobilière Saint-Denis 1 en le fixant au montant correspondant à la différence entre le prix figurant au compromis de vente du 3 mai 2018 et le prix de vente au 20 septembre 2018, soit à la somme de 40 000 euros.

En ce qui concerne les intérêts :

11. La somme de 40 000 euros sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019, date de la réception de la demande indemnitaire préalable de la société civile immobilière Saint-Denis 1 par l'établissement public territorial Plaine-Commune.

En ce qui concerne la capitalisation des intérêts :

12. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par la société civile immobilière Saint-Denis 1 dans son mémoire enregistré au greffe de la Cour le 24 juin 2021, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts. Il y a donc lieu de prononcer la capitalisation des intérêts au 24 juin 2021 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. la société civile immobilière Saint-Denis 1 n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de l'établissement public territorial Plaine Commune tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge au titre des dispositions précitées doivent être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'établissement public territorial Plaine Commune le versement à la société civile immobilière Saint-Denis 1 d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1911513 du 5 mai 2021 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : L'établissement public territorial Plaine Commune est condamné à verser à la société civile immobilière Saint-Denis 1 une somme de 40 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019. Les intérêts échus le 24 juin 2021 puis à chaque échéance annuelle seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La société civile immobilière Saint-Denis 1 versera à l'établissement public territorial Plaine Commune une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Saint-Denis 1 et à l'établissement public territorial Plaine Commune.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Gobeill, premier conseiller,

- M. Doré, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 avril 2022.

Le rapporteur,

J.-F. GOBEILL

Le président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

2

N° 21PA03489


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03489
Date de la décision : 14/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-02-01-01 Urbanisme et aménagement du territoire. - Procédures d'intervention foncière. - Préemption et réserves foncières. - Droits de préemption.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : JORION

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-14;21pa03489 ?
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