Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 24 juillet 2020 par laquelle le préfet de police a refusé d'abroger l'arrêté du 20 juin 2016 prononçant son expulsion du territoire français.
Par un jugement n° 2021015/4-2 du 29 novembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 24 juillet 2020 du préfet de police, lui a enjoint d'abroger l'arrêté du 20 juin 2016 par lequel il a prononcé l'expulsion du territoire français de M. C... et de réexaminer sa situation au regard de son droit au séjour dans un délai de deux mois, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 et 6 janvier 2022, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2021015/4-2 du 29 novembre 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que son refus d'abrogation de l'arrêté d'expulsion avait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. C... au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'intéressé n'est pas dépourvu de toutes attaches familiales au Sénégal ; il ne démontre pas la nécessité de demeurer auprès de sa sœur au vu de son handicap ; il ne démontre aucun lien affectif ni aucune implication concrète dans l'entretien et l'éducation de son enfant mineur, né, le 15 décembre 2018, de sa relation avec une ressortissante française ; il ne produit aucun élément de nature à établir une insertion significative et pérenne depuis son élargissement ; il a attiré défavorablement l'attention des services de police entre 2007 et 2015, notamment, pour des faits de braquage dont il était l'instigateur, pour lesquels il a été condamné par un arrêt du 18 janvier 2013 de la Cour d'appel de Paris à une peine d'emprisonnement de six ans ;
- pour le reste, il s'en remet à ses écritures de premières instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 février 2022, M. C..., représenté par Me Nicolas Putman, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par le préfet de police ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 14 février 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er mars 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bonneau-Mathelot,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,
- et les observations de Me Putman, avocat de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant sénégalais, a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion le 20 juin 2016. Par une décision du 24 juillet 2020, le préfet de police a rejeté sa demande présentée le 8 juillet 2020 tendant à l'abrogation de cet arrêté. Par un jugement du 29 novembre 2021, dont le préfet de police relève appel, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 24 juillet 2020 du préfet de police, lui a enjoint d'abroger son arrêté du 20 juin 2016 et de réexaminer la situation de M. C... au regard de son droit au séjour dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 524-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article L. 522-1, (...) ". Aux termes de l'article L. 524-3 du même code dans sa version alors en vigueur : " Il ne peut être fait droit à une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion présentée plus de deux mois après la notification de cet arrêté que si le ressortissant étranger réside hors de France. Toutefois, cette condition ne s'applique pas : / 1° Pour la mise en œuvre de l'article L. 524-2 ; / 2° Pendant le temps où le ressortissant étranger subit en France une peine d'emprisonnement ferme ; / 3° Lorsque l'étranger fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence pris en application des articles L. 523-3, L. 523-4 ou L. 523-5 ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public, sont de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée. Toutefois, si le ressortissant étranger réside en France et ne peut invoquer le bénéfice des exceptions définies par l'article L. 524-3 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité préfectorale a compétence liée pour rejeter la demande d'abrogation présentée. L'intéressé peut néanmoins utilement invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Pour faire droit à la demande de M. C..., les premiers juges ont estimé que, dans les circonstances particulières de l'espèce, et eu égard à sa situation familiale et aux gages de réinsertion qu'il présentait, le préfet de police avait, en prenant la décision en litige du 24 juillet 2020, porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle avait été prise et, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. C... a été condamné le 16 janvier 2007 à un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans pour offre ou cession et détention de stupéfiants, le 29 février 2008 à six mois d'emprisonnement pour extorsion par violence, menace ou contrainte de signature, promesse, secret, fonds, valeur ou bien, provocation à l'usage illicite ou trafic de stupéfiants et provocation à l'usage ou au trafic de stupéfiants, le 18 janvier 2013 à six ans d'emprisonnement pour des faits, commis le 13 septembre 2010, de vol en réunion avec violences, en état de récidive légale, de violences sur personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions, de recel de bien provenant d'un vol, d'acquisition, détention et transport sans autorisation d'une arme et munitions de la 4ème catégorie ou de la 1ère catégorie et le 25 septembre 2013, à un emprisonnement délictuel d'un an pour des faits d'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique commis, le
21 octobre 2012, à Fleury-Mérogis. Par ailleurs, M. C..., qui est le père d'un enfant mineur né le 15 décembre 2018 de sa relation avec une ressortissante française de laquelle il est séparé, n'établit pas contribuer de manière effective à l'éducation et à l'entretien de son enfant, dont la mère a la garde, par la production de virements mensuels, qui ont débuté le 30 janvier 2020, soit postérieurement aux débats devant le juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Pontoise du 13 janvier 2020 et couvrant uniquement six mois, de façon discontinue, depuis la naissance de son fils, d'une attestation rédigée le 1er novembre 2020 par la mère de son enfant, de quelques clichés photographiques ainsi que de copies de tickets de caisse et d'honoraires de médecins, sans aucune précision sur l'identité du contributeur. Si M. C... s'est prévalu d'attaches familiales en France, où résident régulièrement ses parents et ses grands-parents maternels ainsi que deux oncles, une tante et un cousin de nationalité française, il est toutefois constant qu'il n'est pas dépourvu de toutes attaches familiales au Sénégal. Si M. C..., qui produit un certificat médical du 25 avril 2016 par lequel le docteur C. précise que l'état de santé de sa sœur, gravement handicapée, s'est aggravé depuis le mois de septembre 2015 et un certificat médical du 28 avril 2010 par lequel le docteur F., responsable médical du centre intersectoriel d'accueil permanent pour adolescents, atteste que l'intéressé est " un élément important du soutien familial apporté à sa sœur ", ces documents ne sauraient suffire à démontrer le caractère indispensable de la présence de M. C... auprès de sa sœur à la date de la décision contestée, alors qu'il ressort des pièces du dossier, ainsi que cela a été dit, que d'autres membres de sa famille résident en France et qu'une société de services à la personne intervient auprès de sa sœur, ainsi que cela résulte de l'attestation établie par la directrice de l'association Service Plus à la personne du 30 janvier 2022, certes postérieure à la décision en litige. Enfin, M. C... produit plusieurs documents tels qu'un contrat à durée déterminée du 6 mai 2016 de la D... pour exercer les fonctions de releveur des index des compteurs d'ERDF en raison d'un surcroît d'activité, ainsi que des contrats de mission temporaire de la société A..., dans le cadre d'un parcours de formation de deux ans, à compter du 26 juin 2016, justifiant des démarches entreprises après sa sortie de détention. Toutefois, ces éléments, pas plus d'ailleurs que l'" ancienne promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée " dont il se prévaut, ne constituent des gages suffisants de réinsertion alors, au demeurant, que l'intéressé ne produit aucun élément plus récent ni, en tout état de cause, contemporain de la décision litigieuse. Dans ces circonstances, eu égard à la gravité des faits relevés plus haut, le refus d'abroger l'arrêté du 20 juin 2016 n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par la décision contestée et, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il suit de là que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a, pour le motif sus-rappelé, annulé sa décision.
6. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... tant en première instance qu'en appel.
7. Il est constant que la demande d'abrogation a été présentée par M. C... plus de deux mois après la notification de l'arrêté d'expulsion du 20 juin 2016 alors qu'il ne résidait pas hors de France. Ainsi que cela a été dit au point 2. du présent arrêt, le préfet de police était donc tenu, en application des dispositions précitées de l'article L. 524-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de rejeter cette demande, M. C..., n'ayant pas exécuté l'arrêté d'expulsion après avoir purgé sa peine d'emprisonnement. En conséquence, le moyen tiré du vice d'incompétence est inopérant et doit dès lors être écarté. En revanche, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant est opérant.
8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Il résulte de ce qui a été énoncé au point 5. du présent arrêt qu'en l'absence d'éléments suffisants de nature à établir l'existence et l'intensité des liens entretenus entre M. C... et son fils, la décision contestée ne peut être regardée comme contraire à l'intérêt supérieur de son enfant et par suite comme ayant méconnu les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant. Il suit de là que le moyen invoqué ne peut qu'être écarté.
10. Enfin, M. C... ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant qui créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 24 juillet 2020, lui a enjoint d'abroger l'arrêté du 20 juin 2016 par lequel il a prononcé l'expulsion du territoire français de M. C... et de réexaminer la situation de l'intéressé au regard de son droit au séjour dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler les articles 1er à 3 de ce jugement et de rejeter la demande de M. C... ainsi que ses conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er à 3 du jugement n° 2021015/4-2 du 29 novembre 2021 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris est, dans cette mesure, rejetée, ainsi que les conclusions d'appel qu'il a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... C....
Copie sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 30 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2022.
Le rapporteur,
S. BONNEAU-MATHELOTLe président
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00007