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13/04/2022 | FRANCE | N°20PA03848

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 13 avril 2022, 20PA03848


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser, d'une part, à Mme A... D... la somme de 210 396 euros en réparation des préjudices résultant de l'infection nosocomiale qu'elle a contractée au centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts ou de l'accident médical consistant en la perte de s

on œil gauche, d'autre part, à Mme B... D... la somme de 30 000 euros au ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Paris, à titre principal, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser, d'une part, à Mme A... D... la somme de 210 396 euros en réparation des préjudices résultant de l'infection nosocomiale qu'elle a contractée au centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts ou de l'accident médical consistant en la perte de son œil gauche, d'autre part, à Mme B... D... la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice propre, et d'ordonner avant dire droit une expertise afin de permettre l'évaluation de l'ensemble des préjudices subis par Mme A... D... ; à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise médicale portant sur les causes du dommages et les préjudices subis.

Par un jugement n° 1802631/6-1 du 5 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a condamné l'ONIAM à verser à Mme A... D... la somme de 75 500 euros, à Mme B... D... la somme de 5 000 euros, et a ordonné avant dire droit une mesure d'expertise en vue de permettre l'évaluation de certains des préjudices subis par Mme A... D....

Par un jugement n° 1802631/6-1 du 9 octobre 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l'ONIAM à verser à Mme A... D... la somme de 32 909 euros et a mis à sa charge définitive les dépens de l'instance.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et deux mémoires enregistrés les 9 décembre 2020, 27 avril 2021 et 20 juillet 2021 sous le n° 20PA03847, l'ONIAM, représenté par Me Saumon, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler les jugements du tribunal administratif de Paris du 5 avril 2019 et du 9 octobre 2020 ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de Mmes D... ainsi que les conclusions qu'elles présentent par la voie de l'appel incident ;

3°) de condamner tout succombant aux dépens de l'instance.

Il soutient que :

- l'infection contractée par Mme A... D... n'est pas nosocomiale dès lors qu'elle ne résulte pas des soins ou du séjour dans l'environnement hospitalier, mais de l'état de santé antérieur de la patiente, dont l'œil était nécrosé, et de son évolution ; aucun élément du dossier ne permet d'établir que l'infection serait consécutive à la prise en charge du 15 septembre 2008 ;

- en tout état de cause, le dommage subi par l'intéressée ne saurait être qualifié d'anormal au regard de son état de santé antérieur et de l'évolution prévisible de celui-ci ; les préjudices qui en résultent ne peuvent donc être indemnisés au titre de la solidarité nationale ;

- la survenue du dommage présentait en outre une probabilité élevée, compte tenu de la nécrose de l'œil de Mme D..., ce qui exclut également l'intervention de la solidarité nationale ;

- le taux de déficit fonctionnel permanent strictement imputable à l'infection, qui doit être fixé à 10 %, est inférieur au seuil d'intervention de l'ONIAM.

Par un mémoire enregistré le 11 mars 2021, Mmes D..., représentées par Me Bouaziz, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de l'ONIAM ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer les jugements attaqués et de condamner l'ONIAM à verser la somme de 1 050 424 euros à Mme A... D... en réparation des préjudices qu'elle a subis, et la somme de 10 000 euros à Mme B... D... en réparation de ses préjudices propres ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- Mme A... D... a été victime d'une infection nosocomiale, résultant de l'acte chirurgical de septembre 2008 ;

- les dommages qu'elle subit, imputables à cette infection, présentent un caractère anormal au regard de son état de santé et de son évolution possible ;

- il y a lieu de retenir un taux d'incapacité permanente partielle de 28 % ;

- le déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé à hauteur de 2 396 euros ;

- les souffrances endurées doivent être réparées par la somme de 50 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire doit être évalué à 10 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent doit être indemnisé à hauteur de 70 000 euros ;

- elle subit un préjudice d'agrément qui doit être évalué à 15 000 euros ;

- le préjudice esthétique permanent doit être indemnisé à hauteur de 25 000 euros ;

- le préjudice sexuel doit être réparé par la somme de 23 000 euros ;

- les besoins en assistance par une tierce personne doivent être indemnisés à hauteur de 4 064 euros avant consolidation, de 100 116 euros entre 2009 et 2018, et de 755 964 euros après consolidation ;

- le préjudice scolaire doit être réparé par la somme de 25 000 euros ;

- l'incidence professionnelle doit être évaluée à 70 000 euros.

Par deux mémoires enregistrés les 16 juillet 2021 et 2 août 2021, le centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts, représenté par Me Le Prado, conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient qu'aucun grief n'est dirigé contre lui et que le taux d'incapacité permanente partielle de 28 % ne saurait être remis en cause.

La clôture de l'instruction est intervenue le 11 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

II. Par une requête enregistrée le 9 décembre 2020 sous le n° 20PA03848, l'ONIAM, représenté par Me Saumon, demande à la cour :

1°) d'annuler les jugements du tribunal administratif de Paris du 5 avril 2019 et du 9 octobre 2020 ;

2°) de condamner tout succombant aux dépens de l'instance.

Il soutient que :

- l'infection contractée par Mme A... D... n'est pas nosocomiale dès lors qu'elle ne résulte pas des soins ou du séjour dans l'environnement hospitalier, mais de l'état de santé antérieur de la patiente, dont l'œil était nécrosé, et de son évolution ; aucun élément du dossier ne permet d'établir que l'infection serait consécutive à la prise en charge du 15 septembre 2008 ;

- en tout état de cause, le dommage subi par l'intéressée ne saurait être qualifié d'anormal au regard de son état de santé antérieur et de l'évolution prévisible de celui-ci ; les préjudices qui en résultent ne peuvent donc être indemnisés au titre de la solidarité nationale ;

- la survenue du dommage présentait en outre une probabilité élevée, compte tenu de la nécrose de l'œil de Mme D..., ce qui exclut également l'intervention de la solidarité nationale.

Par deux mémoires enregistrés les 16 juillet 2021 et 2 août 2021, le centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts, représenté par Me Le Prado, conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient qu'aucun grief n'est dirigé contre lui et que le taux d'incapacité permanente partielle de 28 % ne saurait être remis en cause.

La clôture de l'instruction est intervenue le 6 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bouaziz, représentant Mmes D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... D..., née le 16 juillet 1998, était suivie en Algérie depuis sa naissance en raison d'un glaucome congénital bilatéral, plusieurs fois opéré. En février 2008, les services médicaux algériens ont recommandé une prise en charge spécifique au sein du CHNO des Quinze-Vingts, sa tension oculaire n'étant pas contrôlée par le traitement local suivi depuis plusieurs années. Le 25 février 2008, elle a été opérée à l'œil droit, puis le 26 mai 2008, à l'œil gauche, en vue de la pose d'une " valve d'Ahmed ", système de drainage et de régulation de la pression oculaire. Les suites de la seconde opération ont été marquées par une inflammation et un déplacement de la valve, impliquant une reprise chirurgicale. Hayet D... a été à nouveau opérée le 7 août 2008, la valve de l'œil gauche étant changée. Après une fuite d'humeur aqueuse entraînant un décollement choroïdien, elle a subi une intervention le 15 septembre 2008 pour une réfection conjonctivale de l'œil gauche. En raison de la survenue d'un syndrome inflammatoire le 9 octobre 2008 sur ce même œil, d'abord traité par antibiothérapie et cortisone, elle a été à nouveau opérée le 27 octobre 2008 pour une ablation de la " valve d'Ahmed ", et le 29 octobre 2008, un prélèvement a mis en évidence la présence de germes streptococcus pneumoniae. Une endophtalmie infectieuse a entraîné la perte fonctionnelle définitive de l'œil gauche. Le 31 octobre 2008, une échographie a confirmé une hyalite majeure et un décollement de rétine total, sans possibilité de récupération.

2. Le 5 mars 2010, Mme B... D..., mère d'Hayet, a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France, qui a fait réaliser une expertise. Un rapport a été établi le 13 janvier 2011, et par un avis du 19 juillet 2011, la commission a conclu au rejet de la demande indemnitaire. L'ONIAM demande à la cour d'annuler les jugements du 5 avril 2019 et du 9 octobre 2020 par lesquels le tribunal administratif de Paris a retenu le caractère nosocomial de l'infection, a ordonné une nouvelle expertise et l'a condamné à verser à Mme B... D... la somme de 5 000 euros, et à Mme A... D... la somme totale de 108 409 euros.

Sur la jonction :

3. Les requêtes enregistrées sous les numéros 20PA03847 et 20PA03848, introduites par l'ONIAM, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; il y a lieu par suite de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé des jugements attaqués :

4. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; (...) ". Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du même code : " (...) Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. ". Enfin, aux termes du II de ce même article : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. ".

5. Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial, au sens de ces dispositions, une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation d'Île-de-France, que la perte définitive de l'œil gauche de Mme A... D... résulte de l'infection dont elle a été victime par des germes streptococcus pneumoniae, identifiés le 29 octobre 2008. Il résulte par ailleurs de l'instruction que l'inflammation a débuté le 9 octobre 2008, alors que la patiente avait quitté le CHNO des Quinze-Vingts peu après l'opération de réfection conjonctivale qu'elle y avait subi vingt-quatre jours plus tôt, le 15 septembre 2008. Ayant ensuite rejoint son domicile, elle a été vue en consultation de suivi les 25 septembre 2008 et 2 octobre 2008 ; au cours de ces consultations, aucun signe d'infection n'a été relevé. Ainsi, si contrairement à ce que soutient l'ONIAM, la circonstance que l'œil était nécrosé avant l'intervention n'est pas de nature à exclure, le cas échéant, la qualification d'infection nosocomiale, les pièces du dossier, qui ne contiennent aucun élément relatif au délai d'incubation d'une infection à streptococcus pneumoniae, notamment sur un œil fragilisé, ne permettent pas d'établir que cette infection est survenue au cours ou au décours de la prise en charge du 15 septembre 2008, eu égard au délai écoulé entre la sortie de l'hôpital de Mme D... et l'apparition de l'inflammation le 9 octobre 2008.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de solliciter un complément d'expertise médicale sur les points précisés à l'article 1er ci-dessous.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les requêtes susvisées, procédé à un complément d'expertise par un infectiologue ; l'expert aura pour mission :

- de prendre connaissance de l'ensemble des pièces du dossier, du dossier médical de Mme A... D... ainsi que des rapports d'expertise déjà réalisés ; de convoquer et entendre les parties et tous sachants ;

- de préciser le délai d'incubation généralement constaté d'une infection oculaire à streptococcus pneumoniae ;

- d'indiquer le délai d'incubation à ces mêmes germes dans le cas particulier d'un œil fragilisé par une opération de réfection conjonctivale après un décollement choroïdien ;

- de fournir à la cour, de manière générale, tout élément médical permettant de déterminer si l'infection apparue le 9 octobre 2008 a pu être contractée par Mme A... D... avant sa sortie du CHNO des Quinze-Vingts à l'occasion de l'intervention du 15 septembre 2008.

Article 2 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre Mmes D..., l'ONIAM et le CHNO des Quinze-Vingts. L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit et déposera son rapport dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.

Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à Mme A... D..., à Mme B... D... et au centre hospitalier national d'ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2022.

La rapporteure,

G. C...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA03847, 20PA03848


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03848
Date de la décision : 13/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : LE PRADO;LE PRADO;LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-13;20pa03848 ?
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