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11/04/2022 | FRANCE | N°21PA00340

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 11 avril 2022, 21PA00340


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Faa'a à verser la somme totale de 68 743 600 francs Pacifique en réparation du préjudice subi par les ayants droit de Mme K..., du fait de l'occupation irrégulière de leur parcelle par la commune par l'installation d'une décharge municipale.

Par un jugement avant dire droit n° 1600355 du 19 septembre 2017, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté les conclusions de la demande

tendant à l'indemnisation du préjudice lié à la valeur vénale du lot n° 9 de la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Faa'a à verser la somme totale de 68 743 600 francs Pacifique en réparation du préjudice subi par les ayants droit de Mme K..., du fait de l'occupation irrégulière de leur parcelle par la commune par l'installation d'une décharge municipale.

Par un jugement avant dire droit n° 1600355 du 19 septembre 2017, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté les conclusions de la demande tendant à l'indemnisation du préjudice lié à la valeur vénale du lot n° 9 de la terre Mumuvai, et a sursis à statuer sur le surplus des conclusions jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se fût prononcée sur la quotité de propriété revenant à M. E... ainsi qu'à ses frères et sœur sur le lot n° 9 de la terre Mumuvai.

Par un jugement n° RG 17/00083 du 27 août 2020, le tribunal foncier de la Polynésie française s'est prononcé sur cette question.

Par un jugement n° 1600355 du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la commune de Faa'a à verser la somme de 1 400 000 francs Pacifique à M. C... E... et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire enregistrés les 19 décembre 2020 et 23 avril 2021 sous le n° 20PA04101, M. C... E..., Mme F... E..., M. H... E..., M. G... M... E... et M. D... I..., représentés par Me Ceran-Jerusalemy, demandent à la cour :

1°) d'annuler les jugements n° 1600355 des 19 septembre 2017 et 20 octobre 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de condamner la commune de Faa'a à leur verser la somme de 11 330 143 francs Pacifique au titre des indemnités d'occupation pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2020 ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel de Papeete statuant sur l'appel formé contre le jugement du 27 août 2020 du tribunal foncier de la Polynésie française ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Faa'a la somme de 339 000 francs Pacifique sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les co-indivisaires de la succession L... épouse E... étant tous représentés par le même conseil que M. C... E..., leur demande était recevable ; Mme F... E..., M. H... E..., M. G... M... E... et M. D... I... ont donné mandat à M. C... E... pour les représenter ;

- le tribunal n'a pas permis à leur conseil de nommer tous les consorts E... dans les écritures de première instance ;

- le tribunal administratif a méconnu le principe du contradictoire en rendant précipitamment son jugement dans un contexte sanitaire et social particulier et en n'attendant pas l'issue de l'appel formé devant la cour d'appel de Papeete contre le jugement du 27 août 2020 du tribunal foncier de la Polynésie française ; le jugement attaqué méconnaît par suite le principe d'égalité devant les charges publiques ;

- la commune de Faa'a occupe irrégulièrement, depuis plusieurs années, la terre dont ils sont propriétaires indivis ;

- la quote-part des ayants droit L... épouse E... sur la parcelle cadastrée R. 1004 doit être fixée à 3/14es ;

- ils représentent plus des trois quarts de l'indivision L... épouse E..., soit plus que la majorité des deux tiers fixée par l'article 815-3 du code civil ;

- ils sont donc fondés à réclamer la somme de 11 330 143 francs Pacifique au titre des loyers dus par la commune entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2020 du fait de l'occupation irrégulière de la terre Mumuvai, en tenant compte d'une valeur vénale revalorisée à 2 000 francs le mètre carré.

Par un mémoire enregistré le 6 avril 2021, la commune de Faa'a, représentée par le cabinet Colin - Stoclet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge des consorts E... et I... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre le jugement avant dire droit du 19 septembre 2017, dès lors que ce dernier ne fait pas grief aux requérants en ce qu'il a retenu sa responsabilité et que les appelants ne critiquent ni le rejet de leur demande indemnitaire au titre de la valeur vénale de leur parcelle, ni la période d'indemnisation retenue, ni enfin le sursis à statuer dans l'attente d'une décision de l'autorité judiciaire ;

- la requête est également irrecevable en ce qu'elle est présentée pour Mme F... E..., M. H... E..., M. G... M... E... et M. D... I..., qui n'étaient pas parties en première instance ; aucun droit sur la terre Mumuvai n'a en outre été reconnu à M. D... I... par le jugement du 27 août 2020 du tribunal foncier de la Polynésie française ;

- les appelants ne justifient d'aucun préjudice propre ; à supposer que la réalité d'un préjudice soit établie du fait de l'occupation irrégulière, il ne peut avoir été causé qu'à l'indivision constituée par la souche B... a Mai, laquelle n'a pas fait l'objet d'un partage depuis le jugement du 9 juillet 2003 ; les appelants ne justifient pas agir au nom de l'indivision ;

- il ne saurait exister aucun préjudice de jouissance dès lors que, le bien étant indivis, il ne pouvait être occupé à titre privatif ; les requérants n'établissent pas en outre que l'indivision aurait été en mesure de tirer des ressources locatives de la parcelle susceptibles d'être partagées entre ses membres ;

- seul le juge civil est compétent réévaluer les droits des ayants droit L... sur la terre Mumuvai ;

- l'évaluation du préjudice ne saurait excéder 10 % de la valeur vénale de la parcelle, fixée à 1 500 francs Pacifique par France Domaine.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction est intervenue le 20 mai 2021.

II. Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 janvier 2021 et 2 avril 2021 sous le n° 21PA00340, la commune de Faa'a, représentée par le cabinet Colin - Stoclet, demande à la cour :

1°) d'annuler les jugements n° 1600355 des 19 septembre 2017 et 20 octobre 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. E... ;

3°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du 20 octobre 2020 est irrégulier dès lors que le mémoire qu'elle a produit le 19 septembre 2020 n'est pas visé, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- les jugements attaqués ne sont pas suffisamment motivés ; le tribunal n'a pas répondu aux moyens qu'elle opposait en défense, tirés d'une part de ce que M. C... E..., titulaire de droits indivis, ne pouvait engager seul une action indemnitaire du fait de l'occupation de la terre Mumuvai, d'autre part de l'absence de préjudice ;

- M. C... E... n'avait pas qualité pour agir en réparation d'un préjudice subi par l'indivision ;

- M. C... E... ne peut se prévaloir d'un préjudice propre en sa qualité d'indivisaire ; à supposer que la réalité d'un préjudice soit établie du fait de l'occupation irrégulière de la terre Mumuvai, il ne peut avoir été causé qu'à l'indivision constituée par la souche B... a Mai, en application des dispositions des articles 815-2, 815-3 et 815-10 du code civil ;

- sa responsabilité n'est pas engagée du fait de l'occupation du lot n° 9 de la terre Mumuvai ;

- la réalité du préjudice invoqué n'est pas établie ;

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté la prescription quadriennale ; M. E... a eu connaissance de la réalité et de l'étendue du préjudice invoqué au plus tard en 2005 ; ce préjudice présente le caractère d'un préjudice définitif, non évolutif, et n'est pas un préjudice continu ;

- l'évaluation du préjudice ne saurait excéder la valeur vénale du terrain.

Par un mémoire enregistré le 29 mai 2021, M. C... E..., Mme F... E..., M. H... E..., M. G... M... E... et M. D... I..., représentés par Me Ceran-Jerusalemy, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de la commune de Faa'a ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- d'annuler les jugements n° 1600355 des 19 septembre 2017 et 20 octobre 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

- de condamner la commune de Faa'a à leur verser la somme de 11 153 200 francs Pacifique au titre des indemnités d'occupation pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2020 ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel de Papeete statuant sur l'appel formé contre le jugement du 27 août 2020 du tribunal foncier de la Polynésie française ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Faa'a la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement n'est pas irrégulier dès lors que la commune n'est pas fondée à critiquer le jugement du 9 juillet 2003 du tribunal civil de première instance de Papeete ;

- la demande indemnitaire transmise par M. C... E... à la commune de Faa'a le 22 juin 2015 a interrompu le délai de prescription quadriennale ; le fonctionnement d'un ouvrage public cause des dommages qui se répètent chaque année, contrairement à l'existence d'un tel ouvrage, qui cause un dommage unique ;

- les co-indivisaires de la succession L... épouse E... étant tous représentés par le même conseil que M. C... E..., leur demande était recevable ; Mme F... E..., M. H... E..., M. G... M... E... et M. D... I... ont donné mandat à M. C... E... pour les représenter ;

- ils ont subi un préjudice personnel ; leur action indemnitaire peut en outre être assimilée à un acte de disposition au sens de l'article 815-3 du code civil ;

- leur préjudice est certain et il présente un caractère grave et spécial dès lors que la commune de Faa'a occupe irrégulièrement, depuis plusieurs années, la terre dont ils sont propriétaires indivis ;

- la quote-part des ayants droit L... épouse E... sur la parcelle cadastrée R. 1004 doit être fixée à 12/56es ;

- ils sont donc fondés à réclamer la somme de 11 153 200 francs Pacifique au titre des loyers dus par la commune entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2020 du fait de l'occupation irrégulière de la terre Mumuvai, en tenant compte d'une valeur vénale revalorisée à 2 000 francs le mètre carré.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction est intervenue le 27 juillet 2021.

Vu :

- la Constitution,

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004,

- le code civil,

- la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III,

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La terre Mumuvai, située à Faa'a en Polynésie française, fait l'objet depuis plusieurs décennies d'une occupation par la commune aux fins de décharge municipale, avec enfouissement de déchets ménagers et assimilés. M. C... E..., en sa qualité de copropriétaire indivisaire du lot n° 9 de cette terre, a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Faa'a à verser la somme totale de 68 743 600 francs Pacifique en réparation du préjudice subi par les ayants droit de Mme K... du fait de l'occupation irrégulière de la parcelle. Par un jugement avant dire droit du 19 septembre 2017, le tribunal a rejeté les conclusions du requérant tendant à l'indemnisation de la valeur vénale de cette parcelle, et a sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la demande jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se fût prononcée sur la quotité de propriété revenant à M. E... ainsi qu'à ses frères et sœurs sur le lot n° 9 de la terre Mumuvai. Par un jugement du 20 octobre 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné la commune de Faa'a à verser la somme de 1 400 000 francs Pacifique à M. C... E... et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Les consorts E... et I... ainsi que la commune de Faa'a relèvent appel des deux jugements des 19 septembre 2017 et 20 octobre 2020.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous les nos 20PA04101 et 21PA00340 présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; il y a lieu par suite de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la recevabilité de l'appel formé par Mme F... E..., M. H... E..., M. G... M... E... et M. D... I... :

3. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. (...) ". Et aux termes de l'article 815-3 du code civil : " Le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité : / 1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ; / 2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ; / 3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ; / 4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal. / Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers. / Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°. / Si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux. ".

4. Il est constant que seul M. C... E... avait la qualité de partie en première instance. S'il a produit, devant le tribunal, des mandats de représentation établis par M. H... E..., son frère, Mme F... E..., sa sœur et M. D... I..., son neveu, ces personnes ne sont pas des majeurs sous tutelle et le requérant n'est pas lui-même avocat, de telle sorte qu'elles ne sauraient être de ce fait regardées comme ayant été présentes en première instance. Par ailleurs, l'action indemnitaire formée par M. C... E... ne peut davantage être regardée comme régulièrement formée au nom de l'indivision possédant le lot n° 9 de la terre Mumuvai constituée, comme il ressort d'un jugement de partage du 9 juillet 2003 du tribunal civil de première instance de Papeete, par l'ensemble des héritiers de Mme B... a Mai, dès lors qu'il ne disposait ni des deux tiers des droits indivis, ni du consentement de tous les indivisaires du lot n° 9 de ladite terre. Enfin, M. C... E... demande réparation de préjudices qu'il subit en sa qualité de copropriétaire indivisaire, et non en sa qualité d'ayant droit de Mme B... a Mai, décédée avant l'occupation par la commune de Faa'a de la parcelle lui appartenant ; aucun droit à réparation ne lui a donc été transmis au sens de l'article 724 du code civil. Par suite, Mme F... E..., M. H... E..., M. G... M... E... et M. D... I... ne sont pas recevables à former appel des jugements attaqués.

Sur la régularité des jugements attaqués :

En ce qui concerne le jugement du 20 octobre 2020 :

5. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L. 731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) ".

6. Le jugement du 20 octobre 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française ne mentionne pas, comme le soutient la commune de Faa'a, le mémoire qu'elle a produit le 19 septembre 2020, après intervention du jugement du 27 août 2020 rendu par le tribunal foncier de la Polynésie française en réponse à la question préjudicielle posée par les premiers juges s'agissant des droits des consorts E... sur le lot n° 9 de la terre Mumuvai. Les motifs du jugement ne répondent pas aux moyens de ce mémoire produit avant la clôture de l'instruction et tirés, d'une part, de l'absence de qualité à agir de M. C... E... faute de certitude quant à sa qualité de propriétaire indivis du lot n° 9, le jugement du 27 août 2020 faisant part de doutes quant à l'origine de propriété dudit lot, d'autre part de l'absence de qualité à agir du requérant en application de la prescription extinctrice prévue par l'article 789 du code civil, dans sa version de 1803 applicable en Polynésie française, enfin de l'absence de qualité à agir de M. E... dès lors que la succession de Mme B... a Mai ne comprenant pas uniquement le lot n° 9 de la terre Mumuvai, il n'est pas certain que M. E... disposera de droits sur celle-ci à l'occasion d'un partage à venir. Ces lacunes ne sauraient être compensées par la circonstance que le jugement avant dire droit du 19 septembre 2017 a écarté les fins de non recevoir opposées par la commune du fait d'un défaut d'intérêt à agir, dès lors qu'elles reposaient sur une argumentation différente. Par suite, le jugement du 20 octobre 2020 est entaché d'irrégularité et doit donc être annulé.

En ce qui concerne le jugement avant dire droit du 19 septembre 2017 :

7. Comme il a été dit au point 4 du présent arrêt, M. C... E... ne saurait être regardé comme ayant pu représenter, dans le cadre de la première instance, ni ses frères et sœur, ni l'indivision constituée par l'ensemble des héritiers de Mme B... a Mai. Dans ces conditions, la commune de Faa'a est fondée à soutenir que le jugement du 19 septembre 2017 est entaché d'irrégularité dès lors qu'il a à tort considéré que M. E... présentait de façon recevable une action en réparation au nom de ses frères et sœur. Ce jugement avant dire droit doit par suite également être annulé.

8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de la Polynésie française.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la compétence de la juridiction administrative :

9. Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'État ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. Cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l'autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.

10. Il résulte de l'instruction que la commune de Faa'a occupe, depuis au moins le milieu des années 1970, la terre Mumuvai aux fins de décharge municipale, avec enfouissement de déchets ménagers et assimilés. Il est par ailleurs constant qu'elle ne dispose d'aucun droit ni titre autorisant une telle occupation. Si cette emprise irrégulière a porté atteinte au libre exercice du droit de propriété des copropriétaires indivis de cette terre, elle n'a pas eu pour effet de les en déposséder définitivement. Le juge administratif est par suite compétent pour connaître de l'action en réparation des conséquences dommageables de cette occupation.

En ce qui concerne la responsabilité :

11. Il résulte de l'instruction, comme il a été dit au point 10 du présent arrêt, que la commune de Faa'a occupe irrégulièrement la terre Mumuvai. Cette occupation est de nature à engager sa responsabilité à l'égard des personnes disposant de droits indivis sur cette parcelle, lesquels peuvent obtenir chacun réparation du préjudice causé à l'indivision dans la mesure n'excédant pas la part du préjudice total correspondant à leurs droits dans l'indivision. Par ailleurs, la commune ne saurait s'exonérer de sa responsabilité au motif que les services de l'État auraient manqué de diligence dans la mise en œuvre d'une procédure d'expropriation de la terre occupée pour cause d'utilité publique, cette circonstance, à la supposer établie, étant sans lien avec le fait générateur des dommages.

12. Toutefois, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public. ". Et aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence ou au paiement de la créance alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (....). ".

13. La demande d'indemnisation formée par M. C... E..., à laquelle la commune de Faa'a a opposé la prescription quadriennale, ne présente pas le caractère d'une action relative à un droit réel, mais celui une action relative à des créances. Dès lors, ces créances ne sont pas exclues du champ d'application de la loi du 31 décembre 1968.

14. Or, il résulte de l'instruction que la cause des dommages dont il est demandé réparation n'est pas temporaire, dès lors que les installations de la décharge, indispensables à l'exécution du service public de traitement des déchets, sont présentes sur le site de manière pérenne depuis au moins le milieu des années 1970, et sont insusceptibles d'être enlevées, alors que la terre est profondément et durablement polluée par les déchets de toute nature qui y ont été déposés puis recouverts de terre par couches successives ; des incendies régulièrement déclenchés avant l'année 2005 n'étaient en outre toujours pas éteints en 2013, comme l'indique une étude d'impact produite par la commune de Faa'a, et sont sources de dégagements permanents de gaz toxiques. Dans ces conditions, les dommages subis par les copropriétaires indivisaires de la parcelle Mumuvai présentent un caractère définitif et non un caractère continu. Par suite, les droits de créance invoqués par ces copropriétaires indivis en vue d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. C... E... a été informé de ses droits indivis sur la terre Mumuvai au plus tard par le jugement de partage du 9 juillet 2003 du tribunal civil de première instance de Papeete. À supposer qu'il n'ait eu des indications suffisantes quant à la nature et à l'ampleur de sa créance qu'en 2005, date à laquelle il a sollicité auprès de la commune des informations relatives à la procédure d'expropriation que cette dernière a engagée pour cause d'utilité publique, et non dès la constitution du fait générateur par l'occupation illégale de la terre Mumuvai plusieurs années auparavant, il n'a formé aucune demande indemnitaire avant l'introduction de sa demande de première instance le 11 juillet 2016 ; les différents courriers qu'il a reçus ainsi que ceux qu'il a adressés au maire de Faa'a avant cette date, relatifs à l'état d'avancement de la procédure d'expropriation, étaient insusceptibles d'interrompre la prescription en application de l'article 2 de la loi précitée. À la date d'introduction de la demande de première instance, plus de quatre années s'étaient écoulées depuis 2005 ; il s'ensuit que la créance dont M. C... E... demande réparation est prescrite.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non recevoir opposées par la commune de Faa'a ni de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel de Papeete statuant sur l'appel formé contre le jugement du 27 août 2020 du tribunal foncier de la Polynésie française, que les conclusions indemnitaires présentées par M. C... E... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Faa'a, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces derniers le versement d'une somme à la commune de Faa'a sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Les jugements n° 1600355 des 19 septembre 2017 et 20 octobre 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française sont annulés.

Article 2 : La demande de première instance de M. E... et les conclusions d'appel des consorts E... et I... sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Faa'a est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., à Mme F... E..., à M. H... E..., à M. G... M... E..., à M. D... I... et à la commune de Faa'a.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2022.

La rapporteure,

G. A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 20PA04101, 21PA00340


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00340
Date de la décision : 11/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SAS CABINET COLIN - STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-04-11;21pa00340 ?
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