Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser la somme de 37 059 400 F CFP (307 593,02 euros) en réparation de préjudices qu'elle impute à une faute commise par cet établissement de santé.
Par un jugement n° 1900453 du 8 septembre 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser la somme de 240 000 F CFP (1 992 euros) et à verser à la caisse de prévoyance de la Polynésie française celle de 272 003 F CFP (2 257,62 euros) augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2020.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 octobre 2020, et un mémoire, enregistré le 3 août 2021, Mme C..., représentée par Me Grattirola, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1900453 du 8 septembre 2020 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de condamner le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser la somme totale de 37 059 400 F CFP soit 307 593,02 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de la Polynésie française la somme de 330 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les entiers dépens.
Elle soutient que :
- elle est fondée à invoquer la responsabilité pour faute du centre hospitalier de la Polynésie française sur le fondement des articles L. 1142-1 du code de la santé publique et 16-3 du code civil en raison de l'oubli d'un résidu de câbles électriques dans son organisme à la suite de l'ablation d'un neuro-stimulateur imparfaitement réalisée, des complications post-opératoires liées au surdosage de morphine au bloc opératoire, de la monoplégie persistante inexpliquée dont elle souffre au niveau de la jambe gauche, consécutives à l'intervention du 20 novembre 2018 ;
- son préjudice s'élève aux sommes de :
* 36 000 000 F CFP, soit 298 800 euros, au titre de " l'occupation illicite du corps humain en tout ou partie " ;
* 59 400 F CFP, soit 4 930,27 euros, au titre d'un déficit temporaire total durant huit jours d'hospitalisation du 19 au 27 novembre 2018 et au titre de la journée du 28 au 29 octobre 2019 ;
* 1 000 000 F CFP, soit 8 300 euros, au titre des souffrances endurées.
Par un mémoire, enregistré le 2 février 2021, la caisse de prévoyance de la Polynésie française, représentée par Me Baraduc, déclare s'en rapporter à la justice.
Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 29 juillet 2021, le centre hospitalier de la Polynésie française, représenté par Me Le Prado, demande à la cour de ramener la somme allouée à Mme C... au titre du déficit fonctionnel temporaire total de 10 000 F CFP, soit 83,80 euros, à 1 551,30 F CFP euros, soit 13 euros et, en tout état de cause, de rejeter la requête.
Il soutient que la somme allouée au titre du déficit temporaire total, d'une journée, doit être limitée à 1 551,3 F CFP, soit 13 euros et que le jugement doit être confirmé s'agissant de l'indemnisation des souffrances endurées et du rejet de la demande formée par la requérante au titre de " l'occupation illicite du corps humain en tout ou partie ".
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., qui avait souffert d'une entorse de la cheville gauche à la suite d'une chute survenue le 26 juin 2006 suivie d'une déchirure ligamentaire sur fond de fragilité antérieure, a subi plusieurs interventions chirurgicales, notamment une ligamentoplastie en novembre 2006 et une section de l'aileron rotulien externe gauche suivie d'une transposition de la tubérosité tibiale antérieure du genou gauche, en 2007. Les suites de ces interventions ont été marquées d'un syndrome douloureux régional persistant, de lombosciatalgies chroniques, en conséquence de quoi la requérante a bénéficié, en 2008, de l'implantation d'un neuro-stimulateur électrique au niveau de l'abdomen. Le 20 novembre 2018, ce matériel médical, défaillant depuis près d'un an, a été retiré au centre hospitalier de la Polynésie française. Début avril 2019, Mme C... a cependant ressenti de vives douleurs au niveau de l'incision pratiquée pour le retirer. Le 25 avril 2019, une radiographie a révélé la présence dans son abdomen d'éléments résiduels du neuro-stimulateur. Le 14 mai 2919, à la demande de la patiente, le juge des référés du tribunal administratif de la Polynésie française a ordonné une expertise, confiée à un chirurgien orthopédiste. Ce dernier a rendu son rapport le
18 novembre 2019. Dans l'intervalle, Mme C... avait été hospitalisée du 28 au 29 octobre 2019 aux fins d'ablation du matériel résiduel. Par courrier du 13 décembre 2019, elle a adressé au centre hospitalier de la Polynésie française une demande indemnitaire préalable sans obtenir de réponse. Elle a ensuite demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner l'établissement public de santé à lui verser la somme globale de 37 059 400 F CFP en réparation de ses préjudices. La caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française est intervenue à l'instance et a demandé la condamnation du même établissement à lui rembourser ses débours évalués à
272 003 F CFP. Par un jugement du 8 septembre 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné le centre hospitalier de la Polynésie française à verser à Mme C... la somme de 240 000 F CFP et à la caisse de prévoyance de la Polynésie française celle de
272 003 F CFP. Mme C... en fait appel en tant que le tribunal n'a pas intégralement fait droit à sa demande et le centre hospitalier de la Polynésie française forme un appel incident en demandant que les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire total soient ramenées à de plus justes proportions.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de la Polynésie française :
2. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, et n'est pas contesté que des câbles ont été laissés dans l'abdomen de Mme C... à l'issue de l'intervention d'ablation du matériel d'électrostimulation pratiquée le 20 novembre 2018. Ce geste incomplet engage la responsabilité de l'établissement public hospitalier.
Sur l'étendue des préjudices réparables de Mme C... :
3. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise diligentée à la demande de Mme C... qui a porté exclusivement sur l'intervention du 20 novembre 2018 et non sur les suites de celle pratiquée en 2006, que la responsabilité du centre hospitalier de la Polynésie française ouvrant droit à indemnisation est uniquement celle consécutive à la faute commise le 20 novembre 2018, dans un contexte où, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, la monoplégie persistante au niveau de la jambe gauche dont s'est plainte la requérante préexistait à l'intervention fautive litigieuse. Ni cette affection, ni les complications liées à un surdosage de morphine lors de son hospitalisation, ne sauraient ainsi être indemnisées comme étant en lien avec le préjudice consécutif à l'ablation incomplète du neuro-stimulateur.
Sur l'évaluation des préjudices :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, qu'à la suite de l'ablation incomplète fautive du matériel d'électrostimulation pratiquée le 20 novembre 2018, Mme C... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 19 au 20 novembre 2018, soit pendant un jour. Mme C... soutient que cette indemnité est insuffisante et le centre hospitalier de la Polynésie française qu'elle est excessive. Dans la mesure où il résulte de l'instruction que Mme C... vit à Aratika, dans les îles Tuamotou, et qu'ainsi tout déplacement pour se rendre à un examen médical à Papeete est nécessairement complexe, fatiguant et long, en lui allouant à ce titre la somme de
10 000 F CFP, soit 83 euros, les premiers juges n'ont pas procédé, dans ces circonstances particulières de l'espèce, à une évaluation exagérée de son préjudice.
S'agissant des souffrances endurées :
5. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'intervention fautive et en l'absence d'infection, Mme C... a principalement subi des troubles psychologiques et moraux. Les souffrances endurées par la patiente pouvant être évaluées à 2 sur une échelle allant de 1 à 7, les premiers juges ont ainsi procédé à une juste évaluation de son préjudice en allouant à ce titre à la requérante la somme de 230 000 F CFP, soit 1 909 euros.
S'agissant d'un préjudice spécifique :
6. Mme C... demande l'indemnisation à hauteur de 36 000 000 F CFP d'un préjudice qualifié d'autonome " d'occupation illicite du corps humain en tout ou partie ". Pour autant, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, alors même qu'elle a supporté sans difficulté pendant dix ans la présence dans son organisme d'un électro-simulateur, câbles inclus, un tel préjudice ne se distingue pas de celui déjà indemnisé résultant des souffrances morales subies à raison de la présence dans son corps d'une partie du matériel médical oublié à la suite de l'intervention fautive.
7. Il résulte ainsi de ce qui précède que ni Mme C..., ni le centre hospitalier de la Polynésie française ne sont fondés à demander la réformation du jugement entrepris.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de la Polynésie française, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme C... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... et les conclusions d'appel incident du centre hospitalier de la Polynésie française sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... C..., à la caisse de prévoyance de la Polynésie française et au centre hospitalier de la Polynésie française.
Délibéré après l'audience publique du 7 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe 29 mars 2022.
La rapporteure,
M-D A...Le président,
I. LUBEN
Le greffier,
E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02942