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29/03/2022 | FRANCE | N°20PA02113

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 29 mars 2022, 20PA02113


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser une somme de 219 072 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2018, date de sa demande indemnitaire, en réparation des préjudices résultant du décès de Mme D... C..., son épouse ; subsidiairement, d'ordonner une expertise afin de déterminer les causes et les conséquences dommageables du décès de celle-ci et d'évaluer les préjudices qu'elle a

subis.

Par un jugement n° 1807062/6-1 du 12 juin 2020, le tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser une somme de 219 072 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2018, date de sa demande indemnitaire, en réparation des préjudices résultant du décès de Mme D... C..., son épouse ; subsidiairement, d'ordonner une expertise afin de déterminer les causes et les conséquences dommageables du décès de celle-ci et d'évaluer les préjudices qu'elle a subis.

Par un jugement n° 1807062/6-1 du 12 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 août 2020, et un mémoire, enregistré le 9 juin 2021,

M. C..., représenté par Me Garbarini, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement n°1807062/6-1 du 12 juin 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'ordonner avant dire-droit une expertise judiciaire ;

3°) à défaut, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 111 375 euros au titre des préjudices subis par Mme C..., son épouse décédée, et celle de 77 697 euros au titre de ses préjudices propres, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2018 ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- sa demande d'expertise judiciaire n'est pas frustratoire et pourra établir la cause du décès de son épouse ;

- la responsabilité de l'AP-HP est engagée sur le fondement des articles L. 1111-2, R. 4127-34 et R. 4127-35 du code de la santé publique, et 35 du code de déontologie, pour méconnaissance de l'obligation d'information, une sonde double J ayant été posée le 20 septembre 2011 sans recueil préalable du consentement de la patiente s'agissant du choix du traitement, ni indication que les sondes devaient être changées régulièrement ; les risques et conséquences de cette pose ne lui ont par ailleurs pas été précisés ; son épouse, mentalement diminuée, n'a pas bénéficié d'une information claire, compréhensible, appropriée et adaptée eu égard à sa vulnérabilité, sachant que lui-même ne maîtrise pas le français ;

- elle l'est également sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique en raison d'un mauvais suivi à partir de mars 2012 alors que la patiente souffrait d'un diabète déséquilibré et que les sondes posées devaient faire l'objet d'une surveillance accrue, également du fait de l'absence de leur remplacement, à l'origine du décès, aucune négligence de la part de l'intéressée ne pouvant être opposée ;

- elle l'est enfin sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique en raison d'une infection nosocomiale contractée au sein du service de réanimation ;

- les fautes commises par l'AP-HP sont à l'origine directe du décès de Mme C... ;

- il est fondé à demander la réparation de son préjudice moral à hauteur de la somme de 75 000 euros et celle de son préjudice financier au titre des frais d'obsèques d'un montant de 2 697 euros ;

- les préjudices subis par son épouse sont constitués d'un préjudice moral d'un montant de 75 000 euros, d'un déficit fonctionnel temporaire d'un montant de 1 375 euros, d'un préjudice d'agrément d'un montant de 5 000 euros et des souffrances endurées indemnisables à hauteur de 30 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2021, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsouderos, conclut à titre principal au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à l'irrecevabilité de la demande tendant à l'indemnisation du préjudice subi par Mme C... et à ce que les sommes allouées soient réduites à de plus justes proportions.

Elle soutient que le contentieux n'a pas été lié s'agissant des demandes formées au titre des préjudices subis par Mme C..., qu'aucune faute n'est de nature à engager sa responsabilité ; qu'elle ne s'oppose pas, tout en formulant les protestations et réserves d'usage sur le principe même de sa responsabilité, à la désignation d'un expert spécialisé en urologie.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine qui n'a pas produit de mémoire.

Par ordonnance du 30 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Tsouderos, représentant l'AP-HP.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 septembre 2011, Mme C... qui souffrait d'un diabète de type II connu depuis 2005 mais non traité, de coliques néphrétiques et d'un syndrome de la jonction pyélo-urétérale bilatérale, a été hospitalisée à l'hôpital Louis-Mourriez à Colombes, pour une décompensation acido-cétosique de son diabète. Une pyélonéphrite à Escherichia Coli multi sensible, une insuffisance rénale aiguë sur insuffisance rénale chronique et une dilatation bilatérale des cavités pyélo-calicielles avec des arguments pour un syndrome de la jonction pyélo-urétérale bilatérale ont été diagnostiquées. Le 20 septembre 2011, Mme C... a été transférée dans le service de néphrologie de l'hôpital Bichat où elle a subi une intervention chirurgicale consistant en la pose de sondes " double J ". Le 14 octobre 2013, elle a été hospitalisée dans le service de réanimation médico-chirurgicale de l'hôpital Louis-Mourriez pour une hyperkaliémie menaçante sur l'acutisation de ses pathologies. En dépit d'une correction rapide de l'hyperkaliémie, de l'hyperglycémie et de la cétonémie et en dépit de l'introduction d'une antibiothérapie, Mme C... a été victime d'un choc septique. L'examen des prélèvements a révélé notamment la présence d'Escherichia Coli et de Candida dans de multiples foyers d'abcédation. Le 12 novembre suivant, une hémorragie digestive a nécessité une nouvelle transfusion et un traitement par IPP à forte dose pendant 72 heures. L'amélioration de l'état de santé de la patiente a permis son extubation le

14 novembre puis son transfert, cinq jours plus tard, dans le service de réanimation médico-chirurgicale de l'hôpital Louis-Mourriez pour la poursuite du sevrage respiratoire et la prise en charge de l'insuffisance rénale persistante. Toutefois, à partir du 27 novembre, après un épisode de détresse respiratoire aiguë sur un bouchon muqueux entre le 20 et le 22 novembre, l'état de santé de Mme C... a été marqué par une évolution progressive vers un nouvel état de choc septique. Le

28 novembre, à l'issue d'une réunion pluridisciplinaire, les chirurgiens urologues, les néphrologues de l'hôpital Bichat et les radiologues interventionnels ont conclu à l'impossibilité de réaliser un drainage percutané, ont renoncé à la réalisation d'une néphrectomie sur l'unique rein de Mme C... et ont mis en œuvre un traitement médical d'épreuve. Le 6 décembre suivant, constatant son échec, l'aggravation des lésions, l'extension des abcès ainsi que l'absence d'amélioration hémodynamique et de l'état général de Mme C..., ils ont décidé collégialement de ne pas recourir à un traitement chirurgical, d'arrêter les traitements agressifs et d'instaurer un traitement antalgique de confort. Mme C... est décédée le lendemain, 7 décembre 2013. Le

5 janvier 2018, son époux M. C..., a adressé une réclamation indemnitaire au directeur de l'hôpital Bichat, demandant l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de la somme de 150 000 euros. Le 16 février 2018, il lui a été répondu qu'une enquête médicale était en cours. En l'absence d'autre réponse, M. C... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande d'indemnisation et sollicité, avant dire droit, une expertise judiciaire. Il relève appel du jugement du 12 juin 2020 par lequel le tribunal administratif a rejeté ses demandes.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le manquement au devoir d'information :

2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. ".

3. Il résulte de ces dispositions que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé.

4. Il résulte de l'instruction, d'une part, que le médecin urologue a expliqué en présence de son époux à Mme C... - dont il n'est pas soutenu qu'elle aurait fait l'objet d'une mesure de

tutelle -, les deux options thérapeutiques aux fins de prise en charge du syndrome de la jonction pyélo urétérale dont elle souffrait, à savoir une cure chirurgicale ou un changement itératif des sondes double J et que la patiente a préféré la pose de sondes double JJ, dès lors que celle-ci était bien supportée ; d'autre part, que la nécessité du remplacement, chaque année, de ces sondes lui a été indiquée et, à cette fin, un rendez-vous fixé. Ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, M. C... ne saurait dès lors soutenir, sans pouvoir valablement opposer que sa propre maîtrise du français serait défaillante, que son épouse n'a pas été informée de l'obligation de remplacer régulièrement ces sondes.

En ce qui concerne la faute médicale :

5. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, des documents médicaux suffisamment probants figurant au dossier que, dans un contexte de syndrome de défaillance multi-viscérale, le décès de la patiente est consécutif à un choc septique sur pyélonéphrite obstructive compliqué d'une insuffisance rénale chronique terminale, clairement d'origine obstructive et infectieuse, causé par l'absence de remplacement des sondes, et non par leur dysfonctionnement comme le soutient le requérant. Cette absence de remplacement, qui a favorisé l'infection qui a gagné le rein droit et l'a en partie détruit, est la cause directe du décès. Porteuse d'une double sonde JJ depuis le 20 septembre 2011, Mme C... avait depuis lors été suivie, d'une part, par le docteur B..., urologue, tous les mois à compter de cette date et jusqu'au 22 février 2012, date à laquelle une consultation à 5-6 mois lui a été indiquée pour programmer le remplacement des sondes devant intervenir chaque année, d'autre part, au sein du service de diabétologie, le 17 janvier 2012, pour un diabète déséquilibré, une éducation diététique et la mise en place d'un nouveau traitement, un rendez-vous fixé au sein de ce service le 4 avril 2012 n'ayant toutefois pas été honoré ; enfin, au sein du service de néphrologie les 21 novembre et 30 décembre 2011 ainsi que le 12 mars 2012. Si le requérant soutient que son épouse n'aurait pas fait l'objet d'un suivi adapté, il résulte de l'instruction qu'alors qu'elle faisait l'objet d'un suivi rapproché par trois services différents, Mme C... a omis de se rendre aux rendez-vous indiqués ou fixés six mois après les précédents, en conséquence de quoi elle n'a plus fait l'objet d'une surveillance régulière à compter du 12 mars 2012, alors que la pose des sondes JJ entraînait un risque accru d'infection et nécessitait un suivi régulier et leur remplacement annuel, ce dont elle avait été informée ainsi qu'il a été dit au point 4. Il s'en infère que le défaut de remplacement des sondes est imputable à sa seule carence et qu'aucune faute ne saurait être retenue à l'encontre des médecins de l'hôpital Bichat, sans que soient valablement opposables, à les supposer établies, la vulnérabilité intellectuelle de la patiente et l'absence de maîtrise du français par son conjoint, ou encore la mention, dans un compte-rendu d'intervention chirurgicale du 14 octobre 2013, que Mme C..., diabétique, était " mal suivie mais observante ".

En ce qui concerne l'infection nosocomiale :

7. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ".

8. Si pour la première fois en appel, M. C... soutient que le décès de son épouse serait consécutif à un choc septique sur PVA à Stenotrophomas Maltophilia, il résulte de ce qui précède que le décès de la patiente n'est pas consécutif à une pneumopathie acquise sous ventilation mécanique contractée en réanimation. Dès lors, la réparation du préjudice invoqué ne saurait être prise en charge au titre de la solidarité nationale, par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) qu'il n'y a dès lors pas lieu d'appeler dans la cause.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise dont l'utilité n'est pas caractérisée et de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée à la demande formée au titre du préjudice subi par Mme C..., que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine et à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Délibéré après l'audience publique du 7 mars 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.

La rapporteure,

M-D A...Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02113


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02113
Date de la décision : 29/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : GARBARINI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-03-29;20pa02113 ?
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